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mon oncle et mon tuteur.

      Roman disait vrai.

      —Je me nomme de Courtivon! dit à son tour le jeune homme qui ne pouvait, sans manquer aux convenances, cacher plus longtemps son nom à son compatriote.

      —Ce jeune homme nous cache son véritable nom! dit Roman à son ami... Personne à Pourrières ne porte le nom de Courtivon.

      —Qu'il se nomme Pierre, Paul ou Jean, lui répondit Salvador, l'important pour nous est de nous emparer du portefeuille.

      —Tout vient à point à qui sait attendre, reprit Roman, qui continua de causer avec le jeune homme qui s'était donné le nom de Courtivon: il lui parlait des beaux sites de leur pays, de son beau ciel des jolies filles d'Arles et des beaux garçons de Tarascon. Salvador prit part à la conversation; de Courtivon charmé d'avoir rencontré d'aussi aimables compatriotes les pria de venir dîner avec lui. Salvador et Roman firent quelques façons pour la forme, mais de Courtivon ayant renouvelé ses instances, ils le suivirent au café Anglais.

      De Courtivon fit très-honorablement les choses. Il fit servir à ses convives les mets les plus succulents et les vins les plus généreux, de sorte qu'au dessert la plus parfaite harmonie régnait entre ces trois personnages. Salvador et Roman, qui voulaient provoquer la confiance de leur Amphytrion, lui avaient chacun raconté une histoire, qu'ils avaient inventée pour les besoins du moment. De Courtivon ne voulant pas se montrer moins communicatif que ses nouveaux amis, prit à son tour la parole.

       Table des matières

      —Je me nomme Alexis de Pourrières, dit le jeune homme.

      —J'avais deviné que de Courtivon n'était pas votre nom, dit Roman.

      —C'est par habitude que je vous ai donné ce nom que je porte déjà depuis longtemps; je n'ai plus, aujourd'hui, hélas! de raisons pour cacher celui de ma famille. Pourrières, vous le savez aussi bien que moi, est un village assez considérable du département du Var, entre Brignoles et Saint-Maximin, on remarque aux environs de ce village les ruines d'un monument élevé par Marius pour perpétuer le souvenir de la grande victoire qu'il remporta sur plus de trois cents mille barbares qui étaient sortis des sombres forêts de la Germanie, pour entreprendre la conquête de l'Espagne, et le vieux château des anciens seigneurs du village, les réparations qu'il a fallu faire à cette ancienne demeure ont beaucoup altéré sa physionomie primitive, les fossés ont été comblés, le pont-levis a été remplacé par une grille qui est surmontée de l'écusson de la famille, et dont le style rococo rappelle le règne de Louis XV, des fenêtres tiennent la place des meurtrières; les vieux portraits de famille, les trophées qui garnissaient la salle d'armes, qui n'est plus aujourd'hui qu'une vaste antichambre, ont été dispersés pendant la période révolutionnaire; cependant, tel qu'il est aujourd'hui, le château de Pourrières n'est pas indigne de l'attention des touristes; on peut encore admirer les gracieuses tourelles qui flanquent les grosses tours, les sveltes colonnettes, l'architecture denticulée et les magnifiques vitraux coloriés de la chapelle du vieux manoir féodal.

      Ce vieux château, échappé par miracle au marteau démolisseur de la bande noire, fut rendu à ma famille avec tous ceux de ses biens qui n'avaient pas été vendus pendant la première révolution, lors de la première rentrée des émigrés en France; quoiqu'il eût perdu la plus grande partie de sa fortune, mon père, le marquis de Pourrières, possédait encore au moins 80,000 francs de rente lorsque je vins au monde. Cette fortune était plus que suffisante pour lui permettre de tenir à la cour un rang distingué, et les services qu'il avait rendus aux princes de la branche aînée pendant l'émigration, lui donnaient le droit de solliciter un emploi honorable. Mon père était un de ces gentilshommes que leurs princes rencontrent sur les champs de bataille et qu'ils cherchent en vain au milieu de la foule de leurs courtisans lorsque des jours sereins ont remplacé les jours d'orage; il fit cependant un voyage à Paris en 1816, mais ses manières étaient peut-être un peu rudes, il ne savait pas arrondir ses discours en périodes élégantes, en un mot il faisait une assez triste figure parmi les courtisans du nouvel Œil-de-Bœuf. Il revint chez lui sans avoir obtenu l'emploi qu'il avait sollicité, et se détermina, sans éprouver beaucoup de peine, à mener la vie de gentilhomme campagnard.

      Mon père avait confié le soin de faire mon éducation à un prêtre sécularisé qui lui avait été recommandé par un de ses frères d'armes de l'armée de Condé; c'était un excellent homme; ses mœurs étaient pures, et il avait acquis une vaste érudition; en un mot, il possédait toutes les qualités hormis celles que doit posséder un instituteur. Il ne savait du monde que ce qu'il en avait appris dans ses livres, la timidité de son caractère était si grande qu'il n'osait me faire les réprimandes ou m'infliger les punitions que je méritais trop souvent, et la crainte que lui inspirait mon père était telle, qu'il ne pouvait se résoudre à solliciter son intervention.

      Les enfants, comme tous les êtres faibles, sont toujours disposés à abuser de l'indulgence que l'on a pour eux. Comme vous devez bien le penser, je faisais très-peu de cas des exhortations et des réprimandes de mon digne précepteur dont je connaissais la faiblesse; au lieu d'étudier, je passais toutes mes journées à parcourir, avec les jeunes garçons de mon âge, les vastes dépendances du château. Aussi, à l'âge de douze ans, si j'étais aussi fort qu'il est possible de l'être à cet âge et doué d'une santé très-florissante, j'étais en revanche le plus ignorant polisson qu'il fût possible de rencontrer. Je savais lire, un peu écrire; j'avais retenu quelques bribes de latin, c'était tout. Mon père, qui savait mieux manier une épée qu'une plume, et qui connaissait mieux La curne de Sainte Palaye, le Miroir du vrai Gentilhomme français et le parfait Ecuyer, que le de Viris illustribus, ayant remarqué que je pratiquais avec assez de succès tous les exercices du corps, avait félicité plusieurs fois mon précepteur qui, je dois le croire, s'était à la fin persuadé que, grâce à ses bons conseils, j'étais devenu un jeune gentilhomme très-distingué.

      J'avais un peu plus de dix-huit ans, lorsque mon père et mon professeur (ma mère était morte peu d'années après ma naissance), persuadés que ce n'est qu'après avoir voyagé que l'on devient un gentilhomme accompli, résolurent de me faire visiter les principales contrées de l'Europe. Mon père se serait fait volontiers mon compagnon de voyage, mais les fatigues qu'il avait supportées pendant l'émigration, l'avaient rendu valétudinaire et les blessures qu'il avait reçues l'enchaînaient au seuil du foyer patrimonial. Il fut donc décidé entre mon père et mon précepteur que ce dernier continuerait auprès de moi ses fonctions de Mentor. Mentor bien incapable, hélas! et qui avait formé un pauvre Télémaque.

      Lorsque mon père, m'ayant fait appeler dans son cabinet, me fit connaître la décision qui venait d'être prise, j'éprouvai tout d'abord, je dois en convenir, un vif sentiment de joie; j'étais charmé de quitter pour quelque temps le vieux château de mes pères, que je savais par cœur, les bois que j'avais parcouru en tous sens, les collines si souvent gravies par moi. Les rêves de ma jeune imagination allaient enfin se réaliser; j'allais visiter des contrées qui devaient selon moi renfermer plus de merveilles que celles parcourues par Sinbad, le marin. J'allais voir le monde!

      Cependant quelque grande que fût la joie que j'éprouvais, lorsque mon père, après m'avoir tenu longtemps serré sur sa poitrine, m'eût enfin dit adieu; je sentis mes yeux se mouiller de larmes, je ne pouvais me résoudre à le quitter. Etait-ce une voix intérieure que j'entendais sans pouvoir la comprendre, qui me disait que je ne devais plus le revoir?

      Avant de commencer ma tournée en Europe, je devais habiter quelques mois Marseille, chez des parents de ma mère, qui devaient guider mes premiers pas dans le monde; ces bons parents me reçurent à merveille, et l'amitié qu'ils me portaient les ayant sans doute aveuglés sur mon compte, ils eurent l'extrême bonté de me trouver charmant, tout en convenant toutefois que les voyages que j'allais entreprendre devaient me faire gagner beaucoup.

      Ma mère appartenait à une

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