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je ne pensais pas un instant qu'on dût faire banal pour être sûrement compris. On pouvait donner au lecteur tout le temps nécessaire (il l'a pris d'ailleurs), et lui faire observer que, de même qu'il ne peut pas, sans une certaine préparation, s'intéresser à la science même élémentaire, il lui faut aussi quelque préparation pour s'y connaître en littérature.

      La troisième idée c'est que le poëme en prose était insuffisant et que c'était le vers, la strophe qu'il fallait modifier.

       Une quatrième idée, c'est que le nouveau poète se devait et devait aux autres, quoique l'occupation ne fut pas fort amusante, de faire de la critique. Pour pouvoir écrire l'œuvre d'art pure, il fallait pouvoir l'expliquer dans des travaux latéraux.

      Pourtant j'ajournai cette partie fatale de mon travail, car j'avais rapporté d'Afrique, outre des idées nettes, une certaine paresse, et je ne me pressai point d'écrire, n'étant pas ambitieux, hors des vers, quand il me semblait que c'était absolument nécessaire pour fixer quelque papillon fugitif de l'idée. Et puis j'avais aussi des anciens rêves d'érudit à satisfaire, des musées à revoir, des livres à lire, à relire, des lacunes d'instruction à combler, je ne me hâtais guère de lancer une œuvre ou des manifestes, j'avais envie de voyager, d'errer, de sentir sous mes pieds une multiple Europe. Quant à l'enseignement oral, aux longues parlottes, avec un peu de prêche, je ne les craignais point et m'y décidai assez volontiers. C'était encore une trace de l'influence de Mallarmé, et je ne pense pas que ces sortes de conférences vagues, au hasard des rencontres et des réunions, furent toujours et pour tous inutiles. Mais il me tarde de rentrer dans l'histoire générale du symbolisme.

      ⁂

      En 1885, il y avait des décadents et des symbolistes, beaucoup de décadents et peu de symbolistes. Le mot de décadent avait été prononcé, celui de symboliste pas encore; nous parlions de symbole, nous n'avions pas créé le mot générique de symbolisme, et les décadents et les symbolistes c'était tout autre chose, alors. Le mot de décadent avait été créé par des journalistes, quelques-uns l'avaient, disaient-ils, ramassé comme les gueux de Hollande avaient arboré l'épithète injurieuse; pas si injurieuse et pas si inexacte.

      On se souvient de l'admirable étude de Théophile Gautier qui précède l'édition des Fleurs du Mal et où Gautier développe la beauté particulière et chatoyante du style aux époques de décadence. Ce sont des lignes qui ne tombèrent pas dans les oreilles sourdes, et, quoique le mot fût surtout applicable à ce qu'on dit de la décadence latine, on arriva à l'appliquer à notre époque, par dérivation plutôt politique, l'Empire, le Bas-Empire, Paris, Byzance et autres sornettes.

      Mallarmé, autrefois, m'avait parlé du vicomte de Montesquiou avec des éloges pour son aménité, son dandysme, son élégance, (sans souffler mot de son art).

      Le raffinement particulier de M. de Montesquiou, son goût pour le chantournement, sa façon de dissimuler les portes de son appartement et d'égayer les tapis aux frais de la santé des tortues orfévrées, avaient infiniment séduit l'intelligence avide de petites nouveautés de M. J. K. Huysmans.

      Notre grand dyspeptique avait aimé notre grand fleuriste. M. J. K. Huysmans, qui eut un beau talent un peu lourd et simple avant de se jeter dans le bain trouble de Sainte-Lydwinne, venait de Gautier, de Baudelaire, et aussi des Précieuses, et aussi de Zola. Ses livres naturalistes, en dehors du meilleur, En Ménage, jolie étude sentimentale amère, à la Flaubert (Education Sentimentale), présentaient une curieuse étude de l'argot.

       Las des Titines de Montparnasse et de leurs amis, las de ces romanciers moyens et de ce Tibaille où il a mis joliment beaucoup de lui-même, fatigué, par avance, d'être le triste commensal de M. Folantin, hanté de quelque mysticisme de riddeck qui lui faisait paraître le naturalisme insuffisant, M. Huysmans saisit avec bonheur l'occasion d'appliquer ses méthodes à un portrait aristocratique, et au lieu d'être un maussade Jordaens, il rêva de s'élever à être un Van Dyck prophétique, et A Rebours, qui n'était point un livre facile à réussir, qui n'est pas un bouquin méprisable, exerça sur beaucoup de gens une fort mauvaise influence. C'était une grosse lanterne foraine qui attira beaucoup de gros phalènes curieux, et, d'avoir contemplé le jeu capricieux de ses feux versicolores, certains lettrés en sont demeurés encore en cet état, que le style populaire fixe, sous ce terme: baba, et qui veut dire éberlué. On imita le duc des Esseintes; il y donnait prise, il était hermétique et se jouait dans des teintes mourantes de cravates et de chaussettes; il enseignait la préciosité, et tentait à dire rien avec pittoresque. Il faut différencier des Esseintes et M. de Montesquiou; des Esseintes et, sous son masque, M. de Montesquiou eurent quelque influence, mauvaise mais précise, surtout en Belgique. Depuis l'apparition de son premier volume, M. de Montesquiou a perdu toute existence réelle, et sa gloire mondaine persiste seule pour ceux qui se soucient de cet ordre de faits sociaux.

      Verlaine avait donné les Poëtes Maudits, allait donner Jadis et Naguère, rééditer Sagesse et développé tout le spectacle de son âme enfantine et de sa sensibilité d'écorché. Si instinctif fut-il, il avait tout de même brièvement esthétisé, et son art poétique (Jadis et Naguère) donnait bref et bien sa méthode. De la musique avant toute chose: avant tout préfère l'impair, prends l'éloquence et tords-lui le cou... la rime, bijou d'un sou... Le fruit des années de recueillement de Verlaine concordait à merveille avec la germination sourde et l'éclosion première des idées parallèlement en marche.

      Verlaine, le créateur avec Rimbaud du vers libéré, avait dans son esthétique complexe et peu certaine, avec des éclairs superbes, des coins où régnait encore du baudelairisme de l'ordre le moins supérieur. Il lui demeurait quelques restes d'avoir été, parmi les Parnassiens, le Saturnien; il était croyant et satanique, avait quelque ironique respect pour le Saint-Sulpice qui lui semblait, je pense, aussi louable qu'une autre sorte d'imagerie populaire. Très clair, précis, poignant, dès qu'il écoutait sa sensibilité, laquelle était amoureuse, susceptible et mêlée de crédulité religieuse, il était très embarrassé sur les terrains d'exégèse et de critique. Encore qu'il ait, à mon souvenir, merveilleusement développé dans une conversation le type de Parsifal (ses idées en ont été vulgarisées sans ses soins) il brillait moins par la pénétration critique que par un don de se traduire tout entier dans une simple chanson, avec son âme douce, rodomontante et peureuse. Il mêle donc au symbolisme initial, dont il fut une forte colonne, du décadentisme, c'est-à-dire du satanisme, de l'innocente perversité, et du catholicisme poétique; le sonnet de Bérénice, si célèbre, si joli, ne veut pas peindre Rome au temps de la décadence, mais bien rythmer une sorte d'état de convalescence charmante, d'éveil atténué, d'idées rafraîchies par un bref sommeil qui fut assez familier à Verlaine; ce fut comme beaucoup de poèmes symbolistes, l'état allégorisé ou le symbole, soit la traduction bien précise et sans oiseux commentaire, d'un état d'âme. N'importe, le succès du sonnet aida à la fortune du mot décadence; la presse, dont nous nous souciions fort peu en général, rattrapa le mot (déjà Robert Caze et quelques autres portaient de l'attention à ce mouvement) et l'école décadente eut plus de consistance après ce sonnet.

      Cette idée de décadence, elle tenait encore à de vieux errements. Baudelaire avait longuement parlé d'une traduction de Pétrone qu'il n'écrivit pas, ce qui serait la perte irréparable d'un grand et raffiné plaisir d'art si mon cher ami, Laurent Tailhade, ne terminait une traduction de Pétrone; tenant ainsi la promesse de notre grand aîné, il répare une des blessures qu'a faites la mort à la littérature en lui fauchant si vite l'admirable poète des Harmonies du soir et des Bienfaits de la lune. On parlait assez couramment, entre autres Paul Adam qui réalisa son désir, de romancer sur Byzance. Jean Richepin, déjà, avait annoncé un Elagabal, dont quelques rares fragments parurent au Courrier français. Il y avait certainement une curiosité vers des époques qu'on disait faisandées, encore que leur logique d'être eut été depuis longtemps démontrée par Amedée Thierry; les recherches de Fustel n'étant pas sans écho, la petite pièce latine des Fleurs du Mal portait ses fruits; de divers côtés on préparait des anthologies des pièces de basse latinité; ce fut plus tard M. de Gourmont qui réalisa, pour sa part, ces projets antérieurs que sans doute il ignora. Il y avait aussi l'idée que les Prussiens de 70 avaient été les barbares, que

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