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avec le poème en prose baudelairien, et la prose propre?

      Ce sont nos successeurs qui résoudront ce problème.

       Ma conjecture est que se demandant de plus en plus et avec inquiétude sur quelles bases sérieuses on s'appuierait pour boucler l'évolution rythmique et la réduire à des variations sur le principe binaire, on ira au vers libre.

      Et je vais dire toute ma pensée: je crois que même si une réaction condamnait le vers libre, si, pour des raisons multiples, excellentes, irréfragables on en revenait à la pratique littéraire d'avant 1884, si on décrétait nos innovations hasardées, inutiles, cela n'aurait qu'une importance relative. Une évolution faite dans le sens de la liberté du rythme et de son élargissement est toujours destinée, à la longue au moins, malgré les réactions, à s'imposer; les réactions sont fatales, l'action les cause. Et puis, les jeunes gens qui ne partagent point nos idées théoriques sont tellement imbus de l'application pratique que nous en avons faite, ont absorbé assez de l'influence de l'un ou l'autre de nous, ou bien sont assez fortement pénétrés de l'influence d'un de nos aînés, de ceux qui ont travaillé au défrichement des routes que nous avons tracées, que leur vers libéré et même leur vers parnassien profondément modifié n'est plus, sauf exception, l'ancien vers, et que tel qui nie le symbolisme se sert du vers verlainien comme un sourd, que tel qui se relie étroitement au passé, développe et fait aboutir des conceptions que nous avions indiquées. Je ne discute pas les détails; je ne veux pas dire que des jeunes gens venus après nous sont nos vassaux littéraires. Je dis simplement qu'à les lire on voit que nous sommes passés, l'un ou l'autre lu et consulté par eux avec plaisir, et s'ils font autre chose que nous, c'est non seulement leur droit mais leur devoir; tout de même nous avons compté dans leur évolution.

      Donc, je crois, selon l'expression de Stéphane Mallarmé, le vers libre viable; quoiqu'il arrive désormais, il existe; il peut régner, il peut être utilisé occasionnellement; ceci c'est sa fortune, sa chance, son hasard, en tout cas il est. Une gamme est ajoutée à notre poésie.

      Je crois aussi qu'il est prématuré d'écrire l'histoire du symbolisme. Aussi n'est-ce point son histoire que je donne aujourd'hui mais des notes pour servir à l'histoire de ses commencements.

      Elles seront à l'histoire littéraire de notre époque ce que sont les Mémoires du temps à l'histoire sociale et politique. Je veux bien admettre que l'acteur d'une période ne peut la décrire complètement, que l'impartialité est difficile pour parler de ses émules, de soi et qu'il se peut que lorsqu'on croit l'atteindre on se trompe. C'est possible; il est possible que l'histoire, même des débuts d'une période ne soit réalisable qu'avec un recul plus grand, et peut-être n'appartient-il pas à ceux qui posèrent les prémisses de tirer la conclusion. En tout cas, on a toujours admis volontiers le rôle de ceux qui sont venus dire: «j'étais là, telle chose m'advint», c'est leur droit, il y a intérêt pour tous à ce qu'ils le disent, et qu'ils disent aussi pourquoi ils ont agi de telle façon. Ce sera l'utilité de ces notes.

      ⁂

       On est toujours le fils de quelqu'un, et de plus on dépend de son pays, de son ambiance, de l'aspect général de l'époque où l'on naît, et du contraste de cet aspect général. Vers ses dix-huit ans, le jeune homme franchement libre du joug des humanistes, plutôt parfois, l'enfant qui sait grimper jusqu'à la lucarne qu'on lui laisse sur la vie, se pénètre des nouveautés d'art. Elles sont de sortes diverses. Il y a celles que l'on est en train de consacrer, celles qui conquièrent la faveur publique, celles dont l'on se détourne, mais non point avec simplicité et unanimité en laissant tomber le médiocre livre, mais celles qu'on discute, qu'on vitupère, qu'on honnit, le chef-d'œuvre de demain, ou quelque manière de beau livre, plein de défauts mais où le don a fait étinceler son éclair d'aurore, ou l'aigrette diamantée d'une fée des crépuscules, cri jeune de coq pas assez entendu, ou noble parole attristée qui tombe aux lacs d'oubli.

      La jeunesse à Paris a l'oreille très fine. Elle est très distincte à cet égard, et pour les nouveautés littéraires, de la jeunesse de province. Le petit provincial n'apprend pas grand chose en dehors de ce que lui disent ses professeurs, le critique autorisé du journal de Paris qu'affectionnent son père ou son petit café, et le critique du journal local, habituellement moins lumineux qu'un phare. Le filtre est très serré qui laisse pénétrer jusqu'à lui les efforts nouveaux. Les revues provinciales actuelles qui renseignent plus ou moins les jeunes gens, et toujours tendancieusement, c'est-à-dire inexactement, sont de création toute récente. Elles sont faites pour faire connaître aux aînés de Paris un petit groupe qui veut à son tour conquérir le monde, et non point pour renseigner sur Paris la province pensante. Les défenseurs de la décentralisation artistique objectent, à des centralisateurs qui voudraient enrichir le Louvre et le Luxembourg du trésor d'art épars dans nos musées de province sous la serrure rouillée, la clef oisive, et la sieste tranquille d'un conservateur qui est souvent un politicien casé et former ainsi une collection d'art complète,—ils objectent le jeune homme pensif et sage dont la vocation d'art pictural ou littéraire s'éveillerait au contact fréquent d'un beau chef-d'œuvre, et l'objection est assez forte pour que les centralisateurs n'insistent que platoniquement. Ce musée d'art, où par le hasard peut se glisser une toile moderniste, n'a pas d'équivalent littéraire pour nos jeunes hommes de province. En tout cas, il n'y verrait pas d'impressionnistes ou ils n'en ont vu de longtemps; le garde qui veille en habit à palmes vertes à la barrière du Luxembourg n'est point tolérant. C'est pourquoi, lorsqu'à Paris, le jeune homme a déjà des clartés de tout et médite des révolutions, son premier adversaire est le jeune homme du même âge venu de sa ville lointaine. Dans ma prime jeunesse, ces jeunes gens, ceux qui n'étaient plus Lamartiniens ou Hugolâtres, se souciaient surtout de Coppée et de Richepin; leurs cheveux étaient longs sur des pensers antiques, et, en somme, malgré que le temps qui marche a tout de même produit quelques modifications, les choses n'ont pas beaucoup changé.

       A Paris, un jeune homme qui avait dix-huit ans vers 1878 ou 1879, venait d'assister à une apothéose d'Hugo, faite au théâtre avec les reprises d'Hernani, de Manon, de Ruy-Blas, avec Mounet en bandit superbe et le prestige de Sarah et sa voix inoubliablement fraîche et veloutée. Les tragédiens italiens, Rossi et Salvini, étaient venus sur une scène vide, vide du départ des rossignols italiens jugés oiseux dans leur Gazza Ladra, et la leçon de chant du Barbier, devant des salles vides malgré leur talent, jouer les grands drames shakespeariens, et Catulle Mendès les remerciait, en vers, d'être venus nous donner le grand coup d'éperon du drame.

      C'était un bel antidote contre les matinées Ballande recommandées par l'Alma mater à la jeunesse studieuse.

      Ces jeunes gens virent aussi la réaction contre tout ce romantisme. C'était la fille de Roland acclamée, le nouveau Ponsard était très à la mode, pas tant que Déroulède exalté, pinaclisé, mais enfin on citait des mots du pauvre M. de Bornier, devenu le plus parisien des bibliothécaires quasi-suburbains.

      On disait des poètes parnassiens d'alors, (Leconte de Lisle et Banville, leurs aînés, étaient bien peu populaires), qu'ils avaient forgé un outil excellent dont ils ne savaient pas se servir, que la coupe était fort bien ciselée, mais qu'ils n'y versaient que des vins d'Horace assez surets, définition peu applicable à Léon Dierx, aux autres non plus, et qu'on a toujours, malgré sa vieillesse, essuyée et mise en circulation pour toutes les écoles poëtiques. Le Naturalisme triomphait avec fracas, dans la rue; les acclamations se croisaient parmi les éclaboussements d'injures. Charpentier couvrait Paris d'affiches; les journaux engueulaient Zola qui ripostait, courtois, calme, technique, entêté, dans ses feuilletons du Bien public. Les quais et l'Odéon étaient alors une joie; on n'y trouvait point Zola accaparé déjà en placements de bibliothèque, mais tous les livres de Goncourt, Manette si séduisante alors, où Chassagnol babille tant et si finement d'art, d'Ingres, de Delacroix, de Decamps, où Anatole bonimente, Manette, où un paysage de prose, alors encore tout neuf, donne, comme un Rousseau, la forêt de Fontainebleau, et Demailly où tant de portraits se coudoient depuis Champfleury jusqu'à Banville, et parmi eux Gautier, kaléidoscope amusant d'une salle de rédaction, éden entrevu dans le mirage, et tous les bouquins sur le XVIIIe siècle; les grands Flaubert, La Tentation et l'Education, jetés

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