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Littérature et Philosophie mêlées. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Littérature et Philosophie mêlées
Год выпуска 0
isbn 4064066075965
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
EXTRAIT DU COURRIER FRANÇAIS DU JEUDI 14 SEPTEMBHE 1792 (IV DE LA LIBERTÉ).—N° 257.
«La municipalité d'Herespian, département de l'Hérault, a signifié à M. François, son pasteur, qu'elle entendait à l'avenir avoir un curé qui ne fût pas célibataire. Le curé François a répondu d'une manière qui a surpassé les espérances de ses paroissiens. Il entend, lui, avoir cinq enfants; le premier s'appellera J.-J. Rousseau; le second, Mirabeau; le troisième, Pétion; le quatrième, Brissot; le cinquième, Club-des-Jacobins. Le bon curé léguera son patriotisme à ses enfants, et il les remettra aux soins de la patrie qui veille sur tous les citoyens vertueux.»
APRÈS UNE LECTURE DU _MONITEUR
Proëthès et Cyestris, vieux philosophes dont on ne parle plus, que je sache, soutinrent jadis contradictoirement une thèse à peu près oubliée de nos jours. Il s'agissait de savoir s'il était possible à l'homme de rire à gorge déployée et de pleurer à chaudes larmes tout à la fois. Cette querelle resta sans décision, et ne fit que rendre un peu plus irréconciliables les disciples d'Héraclite et les sectateurs de Démocrite. Depuis 1789, la question est résolue affirmativement; je connais un in-folio qui opère ce phénomène, et il est convenable que la solution d'une dispute philosophique se trouve dans un in-folio. Cet in-folio est le Moniteur. Vous qui voulez rire, ouvrez le Moniteur; vous qui voulez pleurer, ouvrez le Moniteur; vous qui voulez rire et pleurer tout ensemble, ouvrez encore le Moniteur.
Quelque bonne volonté que l'on apporte à juger l'époque de notre régénération, on ne peut s'empêcher de trouver singulière la façon dont cet âge de raison préparait notre âge de lumières. Les académies, collèges des lettres, étaient détruites; les universités, séminaires des sciences, étaient dissoutes; les inégalités de génie et de talent étaient punies de mort, comme les inégalités de rang et de fortune. Cependant il se trouvait encore, pour célébrer la ruine des arts, des orateurs éclos dans les tavernes, des poëtes vomis des échoppes. Sur nos théâtres, d'où étaient bannis les chefs-d'oeuvre, on hurlait d'atroces rapsodies de circonstance, ou de dégoûtants éloges des vertus dites civiques. Je viens de tomber, en ouvrant le Moniteur au hasard, sur les spectacles du 4 octobre 1793; cette affiche justifie du reste les réflexions qu'elle m'a suggérées:
«THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE NATIONAL. La première représentation de la Fête civique, comédie en cinq actes.
—THÉÂTRE NATIONAL. La Journée de Marathon; ou le Triomphe de la Liberté, pièce héroïque en quatre actes.
—THÉÂTRE DU VAUDEVILLE. La Matinée et la Veillée villageoises; le Divorce; l'Union villageoise.
—THÉÂTRE DU LYCÉE DES ARTS. Le Retour de la flotte nationale.
—THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE. Le Divorce tartare, comédie en cinq actes.
—THÉÂTRE FRANÇAIS COMIQUE ET LYRIQUE. Buzot, roi du Calvados.»
En ces dix lignes littéraires, la révolution est caractérisée. Des lois immorales dignement vantées dans d'immorales parades; des opéras-comiques sur les morts. Cependant je n'aurais point dû prostituer le noble nom de poëtes aux auteurs de ces farces lugubres; la guillotine, et non le théâtre, était alors pour les poëtes.
Après l'odieux vient le risible. Tournez la page. Vous êtes à une séance des jacobins. En voici le début: «La section de la Croix-Rouge, craignant que cette dénomination ne perpétue le poison du fanatisme, déclare au conseil qu'elle y substituera celle de la section du Bonnet-Rouge…» Je proteste que la citation est exacte.
Veut-on à la fois de l'atroce et du ridicule? Qu'on lise une lettre du représentant Dumont à la Convention, en date du 1er octobre 1793: «Citoyens collègues, je vous marquais, il y a deux jours, la cruelle situation dans laquelle se trouvaient les sans-culottes de Boulogne, et la criminelle gestion des administrateurs et officiers municipaux. Je vous en dis autant de Montreuil, et j'ai usé en cette dernière ville de mon excellent remède—la guillotine.—Après avoir ainsi agi au gré de tous les patriotes, j'ai eu le doux avantage d'entendre, comme à Montreuil, les cris répétés de vive la Montagne! Quarante-quatre charrettes ont emmené devant moi les personnes…»
Le Moniteur, livre si fécond en méditations, est à peu près le seul avantage que nous ayons retiré de trente ans de malheurs. Notre révolution de boue et de sang a laissé un monument unique et indélébile, un monument d'encre et de papier.
L'hermine de premier président du parlement de Paris fut plus d'une fois ensanglantée par des meurtres populaires ou juridiques; et l'histoire recueillera ce fait singulier, que le premier titulaire de cette charge, Simon de Bucy, pour qui elle fut instituée en 1440, et le dernier qui en fut revêtu, Bochard de Saron, furent tous deux victimes des troubles révolutionnaires. Fatalité digne de méditation!
Tout historien qui se laisse faire par l'histoire, et qui n'en domine pas l'ensemble, est infailliblement submergé sous les détails.
Sindbad le marin, ou je ne sais quel autre personnage des Mille et une Nuits, trouva un jour, au bord d'un torrent, un vieillard exténué qui ne pouvait passer. Sindbad lui prêta le secours de ses épaules, et le bonhomme s'y cramponnant alors avec une vigueur diabolique, devint tout à coup le plus impérieux des maîtres et le plus opiniâtre des écuyers. Voilà, à mon sens, le cas de tout homme aventureux qui s'avise de prendre le temps passé sur son dos pour lui faire traverser le Léthé, c'est-à-dire d'écrire l'histoire. Le quinteux vieillard lui trace, avec une capricieuse minutie, une route tortueuse et difficile; si l'esclave obéit à tous ses écarts, et n'a pas la force de se faire un chemin plus droit et plus court, il le noie malicieusement dans le fleuve.
FRAGMENTS DE CRITIQUE A PROPOS D'UN LIVRE POLITIQUE ÉCRIT PAR UNE FEMME
Décembre 1819.
I
Le Baile Molino demandant un jour au fameux Ahmed pacha pourquoi Mahomet défendait le vin à ses disciples: Pourquoi il nous le défend? s'écria le vainqueur de Candie; c'est pour que nous trouvions plus de plaisir à le boire.» Et en effet, la défense assaisonne. C'est ce qui donne la pointe à la sauce, dit Montaigne; et, depuis Martial, qui chantait à sa maîtresse: Galla, nega, satiatur amor, jusqu'à