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avoir lacéré des paillassons, enfoncé des portes, étranglé de vagues huissiers, il pénétra comme un obus dans le cabinet d'un prince de la science.

III

      Le prince était un vieux petit monsieur pâle et grêle et de qui les traits arborèrent à l'entrée tumultueuse d'Hercule l'expression polie mais réservée de l'antilope des Cordillères quand les hasards de la promenade la mettent subitement en présence de la panthère noire du Bengale.

      Il tenta même de s'enfuir; mais Cassoulade le rattrapa d'une main et, de l'autre, tint le crachoir, à peu près dans le sens que voici:

      –Je suis un mâle; il me faut un remède sérieux, un remède comme pour cinq chevaux! D'ailleurs, c'est bien simple: si vos médicaments ne me font pas d'effet, je vous casse la gueule.

      À cet ultimatum très net, Cassoulade crut devoir ajouter la suivante proclamation:

      –Je suis bon type, mais je ne veux pas qu'on se foute de moi!

      Le docteur, après avoir ausculté son terrible client, fit entendre ces humbles mots:

      –Allez à Arcachon et baladez-vous sous les sapins. La senteur balsamique des sapins est tout ce qu'il y a de meilleur pour l'affection dont vous souffrez.

      Il dit, et faisant un bond, se barricada dans sa chambre, sans réclamer ses honoraires.

IV

      —Aller à Arcachon, réfléchit Hercule, quand il fut dehors, ça me coûtera très cher, et puis il me faudra changer de café, ce qui est toujours malsain… Mais, j'y pense, s'écria-t-il plaisamment en imitant le rire bête d'Archimède, il y a des sapins à Paris—pourquoi ne pas en profiter?

      Et il s'en fut sur la place du Théâtre-Français, sapinière redoutable, bois sacré tout le jour retentissant de cris d'écrasés et d'un horrible mélange de songe d'Athalie et d'imprécations de Camille.

      Tranquillement, loin de tout refuge, il se coucha sur la chaussée, et pendant une heure, d'innombrables fiacres se livrèrent sur son ventre au noble jeu des Montagnes russes.

      –Mais je ne me sens pas mieux! cria bientôt Cassoulade, que la colère commençait à gagner; les sapins ne me font rien du tout, c'est un remède de fillette!

      Prophète, il dit encore:

      –Ça finira mal pour le docteur: je suis bon type, mais je n'aime pas qu'on se foute de moi!

      Et il se retournait, afin de gifler, sans exception, toutes les personnes qui auraient pu avoir l'air de rigoler, quand l'omnibus des Batignolles survint et l'aplatit de telle sorte qu'il n'y eut plus qu'à réunir dans une bière les morceaux épars du colosse, et à mettre le tout dans la terre glaise, à Ménilmontant (bis).

V

      … Hercule Cassoulade patienta quelques jours, mais quand il vit que, décidément, l'odeur résineuse du sapin ne guérissait pas son rhume, il se fâcha, assez sérieusement.

      –Mais je ne me sens pas mieux, hurla-t-il, le sapin ne me fait rien du tout, c'est un remède de…

      L'indignation l'étouffait. Il brisa le cercueil, brisa la pierre et se rendit chez son médecin.

      Ce qui se passa dans cette interview, nul ne pourra jamais le dire.

      Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'on ne trouva plus désormais aucunes traces de l'illustre savant, ni dans ses bottines, ni, chose plus extraordinaire encore, dans le Botin!

      Hercule Cassoulade vécut jusqu'à l'âge de cent trente ans. Parfois, dans un cercle de voisins respectueux, il aimait à conter l'anecdote:

      –Parfaitement… il m'avait ordonné un remède de fillette, à moi! un mâle! un homme de bronze!… C'était une cure de je ne sais plus quoi… de pin… de sapin… Enfin, un remède de gosse. Ça n'a rien fait.

      Avec l'accent froid et terrible du Destin, il ajoutait:

      –Le charlatan me l'a payé. Je suis bon type, mais je n'aime pas qu'on se foute de moi!

      Et d'un regard sévère, il fixait tous ses auditeurs, y compris les femmes et les enfants, prêt à gifler, sans exception, tous ceux qui eussent pu, par hasard, avoir l'air de rigoler.

Foc.

      Et voilà!

      Merci, petit Foc, vous êtes bien gentil, et votre histoire est très drôle.

      Je vous en laisse toute la gloire, mais vous me permettrez bien que j'en touche le montant, froidement.

      Et puis, envoyez-moi votre nom et votre adresse. Vous me ferez plaisir (sans blague).

      PHILOLOGIE

      Mon jeune et intelligent directeur me remet, ou plutôt me fait remettre par un de ses grooms—car nous sommes en froid depuis quelque temps (histoire de femmes)—la lettre suivante que je publie presque intégralement, non pas tant pour l'intérêt qu'elle comporte que pour la petite peine qu'elle m'évite d'imaginer et d'écrire une vague futilité analogue ou autre.

      Tout ce qui touche à la langue française, d'ailleurs, ne me saurait demeurer indifférent. Mes lecteurs, mes bons petits lecteurs chéris, le savent bien, car pas un jour ne se passe sans que je sois consulté sur quelque philologique embarras, ou invité à consacrer de ma haute sanction telle nouvelle formule.

      D'autres se montreraient orgueilleux d'une semblable renommée; moi, je n'en suis pas plus fier!

      Une lettre très gentille, entre autres, reçue dernièrement, me disait en substance:

      «Un syndicat d'idolâtres de votre incomparable talent et de votre parfaite tenue dans la vie me charge de vous aviser qu'il a définitivement adopté, comme courtoise formule épistolaire, le inoxydablement que vous venez de lancer avec votre indiscutable autorité.

      »Mais croyez-vous point, cher Monsieur, que l'orthographe en serait pas mieux ainsi: inoccidablement, témoignant que les sentiments qu'on nourrit pour son correspondant sont altérables par rien du tout, même le trépas?»

      Nous sommes d'accord, Syndicat d'idolâtres, nous sommes d'accord.

      Et puis, voici la lettre annoncée plus haut:

      «À Monsieur Fernand Xau, Directeur du journal le Journal, 106, rue de Richelieu.

      »Monsieur,

      »Depuis plus de deux ans que, chaque matin, je lis le Journal, j'admire… etc., etc.

      (Ici quelques mots aimables pour plusieurs collaborateurs non dénués, en effet, de talent.)

      »… Mais ce que je prise par-dessus tout, ce sont les chroniques si fines, si ingénieuses, si larges, si substantielles de ce remarquable vieillard (sic) qui signe Alphonse Allais.

      »Je n'ai pas l'honneur de le connaître, je n'ai même jamais vu sa photographie, mais le respect que j'éprouve pour son noble caractère et pour la façon si docte, si magistrale, si définitive avec laquelle il dénoue le nœud gordien des plus grosses difficultés de la langue française, m'ont amené à lui demander, par votre intermédiaire, son avis sur une question qui nous passionne, quelques amis et moi.

      »M. Allais a su conquérir, dans les milieux universitaires, une vive autorité pour la lueur qu'il jeta jadis sur le genre du mot tac, masculin ou féminin selon le cas (l'attaque du moulin, le tic-tac du moulin, la tactique Dumoulin).

      »Il s'agit aujourd'hui des différentes orthographes du mot sang, qui ondoient suivant la qualité, la couleur, la température, etc., etc.

      »Quand, par exemple, vous parlez, dans le Journal, de ce jeune esthète que vous appelez, je crois, Sarcisque Francey ou Sancisque Frarcey (ou un nom dans ce genre-là), vous dites: «Ce petit jeune homme détient le record du bon sens

      »Mais dès qu'il est question du chasseur Mirman, vous écrivez: «Le député de Reims se fait beaucoup de mauvais sang

      »Donc, s, e, n, s, quand c'est bon; s, a, n, g, quand c'est mauvais.

      »De

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