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phrase que je viens d'écrire est d'une syntaxe plutôt discutable. On ne dirait vraiment pas que j'ai fait mes humanités.)

      Celle de ces deux affiches qui me charma, moi, en voici la teneur:

X…, PÉDICURETELLE RUE, TEL NUMÉROLE SEUL PÉDICURE SÉRIEUX DE NICE

      Jamais, comme en ce moment, je ne sentis l'horreur de toute absence, sur mes abatis, de cors, durillons, œils de perdrix et autres stratagèmes.

      Avoir sous la main un artiste qui, non content d'être sérieux, tient en même temps à être le seul sérieux d'une importante bourgade comme Nice, et ne trouver point matière à l'utiliser! regrettable, ah! que!…

      Cap me proposa bien un truc qu'il tenait d'une vieille coutume en usage chez les femmes de saura-t-on jamais quel archipel polynésien, lesquelles femmes font consister tout leur charme à détenir le plus grand nombre possible de durillons sur les parties du corps les moins indiquées pour cette fin.

      Je ne crus point devoir accepter, pour ce que ce jeu n'en valait point la chandelle, et nous passâmes à un autre genre de sport.

      Celle des affiches murales que préféra Cap, annonçait à Urbi, Orbi and Co, que tout individu, titulaire d'une petite somme variant entre vingt-cinq centimes et un franc, pouvait s'offrir le spectacle d'un orang-outang, autrement dit, messieurs et dames, le véritable homme des bois, le seul (tel mon pédicure du début) ayant paru en France depuis les laps les plus reculés.

      Une gravure complétait ce texte, une gravure figurant le buste du quadrumane, et autour de cette gravure, ainsi qu'une inscription de médaille, s'étalaient ces mots, circulairement:

Je m'appelle Auguste: 10,000 francs à qui prouvera le contraire!

      Dix mille francs à qui prouvera le contraire!

      Le contraire de quoi? Que le monstre en question fût un véritable orang-outang, un authentique homme des bois, ou simplement qu'il s'appelât, de son vrai nom, Auguste?

      Pour l'âme limpide de Cap, nul doute ne savait exister.

      Il s'agissait de démontrer que ce singe ridicule ne s'appelait pas Auguste, de toucher les 500 louis et d'aller faire sauter la banque à Monte-Carlo!

      Ah! mon Dieu, ça n'était pas bien compliqué!

      Et Cap ne cessait de me répéter:

      –Je ne sais pas, mais quelque chose me dit que cet orang ne s'appelle pas Auguste.

      –Dam!

      –Pourquoi dam? Ce sale gorille n'a pas une tête à s'appeler Auguste,

      –Dam!

      –Allais, si vous répétez encore une seule fois ce mot dam, je vous f… un coup d'aviron sur la g…!

      Tout ce qu'on voudra sur la g…, hormis un aviron! Telle est ma devise.

      Je n'insistai point et nous parlâmes d'autre chose.

      Le soir même, Cap filait sur Antibes, regagnant son yacht, le Roi des Madrépores, et je demeurai une grande quinzaine sans le revoir.

      Un matin, je fus réveillé par de grands éclats de voix dans mon antichambre: le clairon triomphal du Captain ébranlait mes parois.

      –Ah! ah! proclamait Cap, je les ai, les preuves, je les tiens!

      –Les preuves de quoi? m'étirai-je en ma couche.

      –Je savais bien que ce sale chimpanzé ne s'appelait pas Auguste!

      –Ah!

      –Je viens de recevoir une dépêche de Bornéo, sa ville natale. Non seulement il ne s'appelle pas Auguste, mais encore il s'appelle Charles!

      –Diable, c'est grave!… Et dites-moi, mon cher Cap, pensez-vous alors que Charles, l'orang de Nice, soit parent de Charles Laurent, de Paris?

      –Dans votre conduite, mon cher Alphonse, le ridicule le dispute à l'odieux… J'ai reçu de notre consul à Bornéo toutes les pièces établissant, incontestablement, que le grand singe du Pont-Vieux s'appelle Charles. Vite, levez-vous et allons chez un avoué. À nous les 10,000 francs!

      Mon notaire de Nice, M. Pineau, qui passe à juste titre pour l'un des plus éminents jurisconsultes des Alpes-Maritimes, nous donna l'adresse d'un excellent avoué, et notre papier-timbré fut rédigé en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire.

      Mais, hélas! la petite fête foraine du Pont-Vieux était terminée.

      Le faux Auguste, sa baraque, son barnum, tout déménagé à San-Remo, sur la terre d'Italie; et l'on n'ignore point que la loi italienne est formelle à cet égard: interdiction absolue de rechercher l'état civil de tout singe haut de 70 centimètres et plus.

      VÉRITABLE RÉVOLUTION

DANS LA MOUSQUETERIE FRANÇAISE

      À Nice, cet hiver, j'ai fait connaissance d'un ingénieux et téméraire lieutenant de chasseurs alpins qui s'appelait Élie Coïdal.

      J'eus même l'occasion de parler de lui naguère au sujet de sa géniale bicyclette de montagne (dis-moi, lecteur, dis-moi, t'en souviens-tu?).

      En se quittant, on s'était juré de s'écrire; c'est lui qui a tenu parole.

«Camp de Châlons, 19 avril.

      »Mon cher Allais,

      »Hélas! oui, mon pauvre vieux, cette lettre est datée du Camp de Châlons! Un port de mer dont tu ne peux pas te faire une idée, même approchante. Comme c'est loin, Nice et Monte-Carlo, et Beaulieu! (Te rappelles-tu notre déjeuner à Beaulieu et la fureur de la dame quand, le soir, tu lui racontas qu'on avait déjeuné vis-à-vis de la Grande Bleue? Elle la cherchait au Casino, cette Grande Bleue, pour lui crêper le chignon!)

      »À parler sérieusement, je te dirai que je suis détaché jusqu'au 15 juillet à l'école de tir, ce qui ne comporte rien de spécialement récréatif.

      »Loin des plaisirs mondains et frivoles, je me retrempe à l'étude des questions techniques susceptibles de rendre service à la France.

      »Je ne me suis pas endormi sur les lauriers de ma bicyclette de montagne—j'ai travaillé le fusil et j'ai la prétention d'être arrivé à ce qu'on appelle quelque chose.

      »Un article publié au commencement de ce mois dans les journaux, parlait louangeusement d'une nouvelle balle évidée de calibre cinq millimètres.

      »Si la réduction du calibre produit des résultats si merveilleux, pourquoi ne pas arriver carrément au calibre de un millimètre?

      »Un millimètre! vous récriez-vous. Une aiguille, alors?

      »Parfaitement, une aiguille!

      »Et comme toute aiguille qui se respecte a un chas4 et que tout chas est fait pour être enfilé, j'enfile dans le chas de mon aiguille un solide fil de 3 kilomètres de long, de telle sorte que mon aiguille traversant 15 ou 20 hommes, ces 15 ou 20 hommes se trouvent enfilés du même coup.

      »Le chas de mon aiguille—j'oubliais ce détail—est placé au milieu (c'est le cas, d'ailleurs, de beaucoup de chas), de façon qu'après avoir traversé son dernier homme, l'aiguille se place d'elle-même en travers.

      »Remarquez que le tireur conserve toujours le bon bout du fil.

      »Et alors, en quelques secondes, les compagnies, les bataillons, les régiments ennemis se trouvent enfilés, ficelés, empaquetés, tout prêts à être envoyés vers des lieux de déportation.

      »Le voilà bien, le fusil à aiguille, le voilà bien!

      (Suivent quelques détails personnels non destinés à la publicité et des formules de courtoise sympathie qui n'apprendraient rien au lecteur.)

»Élie Coïdal.»

      Et dire que les Comités n'auront qu'un cri pour repousser l'idée, pourtant si simple et si définitive, de mon ami le lieutenant Élie Coïdal!

      Et

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<p>4</p>

Beaucoup de personnes, dévorées par le Démon de l'Analogie, disent le chat d'une aiguille. Ces personnes ont tort: on doit écrire le chas.

Bescherelle, que je viens de consulter pour illuminer ma religion, ajoute une notice rétrospective et suggestive éminemment:

«Se disait autrefois de la fente entre deux poutres. On dit maintenant TRAVÉE.»

Travée… j'aurai beaucoup de peine à me faire à ce mot-là.