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Germaine. About Edmond
Читать онлайн.Название Germaine
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения About Edmond
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
M. Le Bris ne put s'empêcher de rougir, car la duchesse disait vrai. Mais il se tira de ce mauvais pas en faisant l'éloge de don Diego. Il le dépeignit comme un noble coeur, un chevalier d'autrefois égaré dans notre siècle. «Croyez, madame, dit-il à la duchesse, que si notre chère malade peut être sauvée, elle le sera par son mari. Il ne la connaît pas; il ne l'a jamais vue; il en aime une autre, et c'est dans un espoir bien triste qu'il se décide à placer une femme légitime entre sa maîtresse et lui. Mais plus il a d'intérêt à attendre le jour de son veuvage, plus il se fera un devoir de le retarder. Non-seulement il environnera sa femme de tous les soins que son état réclame, mais il est nomme à s'établir garde-malade auprès d'elle et à la veiller nuit et jour. Je garantis qu'il prendra le mariage au sérieux, comme tous les devoirs de la vie. Il est Espagnol, et incapable de jouer avec les sacrements; il a un culte pour sa mère et une tendresse passionnée pour son enfant. Soyez sûre que, du jour où vous lui accorderez la main de mademoiselle votre fille, il n'aura plus rien de commun avec Mme Chermidy. Il emmènera sa femme en Italie; je serai du voyage, vous aussi, et, s'il plaît à Dieu de faire un miracle, nous serons trois pour l'aider, madame la duchesse.
–Parbleu! ajouta le duc. Tout est possible; tout arrive: qui est-ce qui m'aurait dit ce matin que j'hériterais de cinquante mille livres de rente?»
A ce mot d'héritage, la duchesse refoula un flot de larmes qui lui montait aux yeux. «Mon ami, reprit-elle, c'est une triste chose quand les parents héritent de leurs enfants. S'il plaît à Dieu de rappeler à lui ma pauvre Germaine, je bénirai dans les pleurs sa main rigoureuse et j'attendrai auprès de vous l'instant qui doit nous réunir. Mais je veux que la mémoire de mon cher ange aimé soit aussi pure que sa vie. Je conserve depuis plus de vingt ans un vieux bouquet de fleurs d'oranger, flétri comme mon bonheur et ma jeunesse: je veux pouvoir l'attacher sur son cercueil.
–Ta! ta! ta! cria le duc; voilà bien les femmes! Vous êtes malade, madame, et ce n'est pas la fleur d'oranger qui vous guérira.
–Quant à moi!…» dit-elle. Son regard acheva la phrase, et le duc lui-même la comprit.
«C'est ça! dit-il; à votre aise! mourez tous ensemble! Et qu'est-ce que je deviendrai, moi?
–Vous deviendrez riche, mon bon père,» dit Germaine en ouvrant la porte de la salle à manger.
La duchesse se leva comme par ressort et courut à sa fille. Mais Germaine n'avait pas besoin d'être soutenue. Elle embrassa sa mère et s'avança jusqu'au lit d'un pas ferme et résolu, le pas des martyrs.
Elle était vêtue de blanc, comme Pauline au cinquième acte de Polyeucte. Un pâle rayon du soleil de janvier tombait sur son front et lui faisait une auréole. Sa figure sans couleur était comme une page effacée, où l'on ne voyait briller que deux grands yeux noirs. Une masse de cheveux d'or, fins et touffus, s'entassait sur sa tête. Les beaux cheveux sont la dernière parure des phthisiques; ils la gardent jusqu'à la fin, et on l'enterre avec eux. Ses mains transparentes tombaient le long du corps avec les plis de la draperie. Telle était la maigreur de toute sa personne, qu'elle ressemblait à ces créatures célestes qui n'ont aucune des beautés ni des imperfections de la femme.
Elle s'assit familièrement au bord du lit, passa le bras droit autour du cou de son père, tendit sa main gauche à la duchesse et l'attira doucement auprès d'elle. Puis elle montra la chaise à M. Le Bris, et lui dit: «Mettez-vous là, docteur, pour que la famille soit au complet. Je ne me repens pas d'avoir écouté aux portes. J'avais bien peur de n'être plus bonne à grand'chose: votre discussion m'a appris que je pouvais faire un peu de bien ici-bas. Vous êtes témoins que je ne regrettais point la vie, et que j'en avais fait mon deuil depuis plus de six mois. Aussi bien ce monde est une triste demeure pour ceux qui ne peuvent pas respirer sans souffrir. Mon seul regret était de léguer à mes parents un avenir de douleurs et de misères: me voilà tranquille à présent. J'épouserai le comte de Villanera, et j'adopterai l'enfant de cette dame. Merci, cher docteur; c'est vous qui nous sauvez. Grâce à vous, l'inconduite de ces gens-là rendra l'aisance à mon excellent père, et la vie à la noble femme que voici. Moi, je ne mourrai pas inutile. Il me restait pour tout bien le souvenir d'une vie pure; un pauvre petit nom sans tache, comme le voile d'une communiante. Je donne cela à mes parents. Maman, je vous prie de ne point hocher la tête. On ne désobéit pas aux malades. N'est-ce pas, docteur?
–Mademoiselle, répondit-il en lui tendant la main, vous êtes une sainte.
–Oui; l'on m'attend là-haut; ma niche est toute prête. Je prierai Dieu pour vous, mon digne ami, qui ne priez guère.»
En parlant ainsi, sa voix avait je ne sais quoi d'ailé, d'aérien, de surnaturel; quelque chose qui rappelait la sérénité des cieux. La duchesse tressaillit en l'écoutant: il lui semblait que l'âme de sa fille allait s'envoler comme un oiseau dont on a laissé la cage ouverte. Elle serra Germaine dans ses bras, et lui dit:
«Non, tu ne nous quitteras point! Nous irons tous en Italie, et le soleil te guérira. M. de Villanera est un homme de coeur.»
La malade haussa légèrement les épaules, et répondit: «L'homme dont vous parlez ferait bien mieux de rester à Paris, puisqu'il y trouve son plaisir, et de me laisser tranquillement payer ma dette. Je sais à quoi je m'engage en prenant son nom. Que dirait-on, grand Dieu! si je leur jouais le tour de guérir? Mme Chermidy me ferait expulser de ce monde par autorité de justice. Docteur, est-ce que je serai forcée de voir M. de Villanera?»
M. Le Bris répondit par un petit signe affirmatif. «Allons, dit-elle, je lui ferai bon visage. Quant à l'enfant, je l'embrasserai bien volontiers: j'ai toujours aimé les enfants.»
La duchesse regarda le ciel comme un naufragé regarde le rivage: «Si Dieu est juste, dit-elle, il ne nous séparera pas; il nous prendra tous ensemble.
–Non, chère maman; vous vivrez pour mon père. Vous, papa, vivez pour vous-même!
–Je te le promets,» repartit naïvement le vieillard. Ni la duchesse ni sa fille ne soupçonnèrent l'égoïsme monstrueux qui se cachait sous cette réponse. Elles en furent émues jusqu'aux larmes, et le médecin fut le seul qui sourit.
Sémiramis vint annoncer que le déjeuner de M. le duc était sur la table: «Adieu, mesdames, dit le docteur; je vais porter de grandes nouvelles au comte de Villanera. Il est à croire que vous recevrez sa visite aujourd'hui même.
–Sitôt? demanda la duchesse.
–Nous n'avons pas de temps à perdre, dit Germaine.
–En attendant, reprit le duc, il faut aller au plus pressé: déjeunons.»
III
LA NOCE
M. Le Bris avait un coupé à la porte. Il se fit conduire chez un grand confiseur du boulevard, acheta un coffret en bois de violette, le fit remplir de bonbons, remonta en voiture, et débarqua bientôt à la porte de Mme Chermidy. La belle Arlésienne était propriétaire de sa maison, quoiqu'elle n'occupât que le premier étage. Le concierge était un de ses domestiques, et l'on sonnait deux coups sur un timbre pour lui annoncer chaque visite.
Les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes devant le jeune docteur. Un valet de pied lui cueillit son paletot sur les épaules avec tant d'adresse qu'il en sentit à peine le vent. Un autre l'introduisit sans l'annoncer dans la salle à manger. Le comte et Mme Chermidy se mettaient à table. La maîtresse de la maison lui tendit les deux joues, et le comte lui serra cordialement la main.
Le couvert était mis sans nappe sur une table ovale en chêne sculpté. La salle était revêtue de boiseries anciennes et de peintures modernes: un célèbre banquier de la Chaussée-d'Antin, qui maniait la brosse à ses moments perdus, avait offert à Mme Chermidy quatre grands panneaux de nature morte. Le plafond était une copie du Banquet des dieux exécutée à la Farnésine. Le tapis venait de Smyrne, et les jardinières de Macao. Un grand lustre flamand au ventre arrondi, aux bras maigres, s'accrochait impitoyablement au milieu du plafond, sans respect pour l'assemblée des dieux. Deux dressoirs sculptés par Knecht étalaient