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cher comte; on acceptera tout.»

      Mme Chermidy poussa un cri de joie: «Affaire bâclée! Vive Paris, où l'on achète les duchesses au comptant!»

      Le comte fronça le sourcil. Le docteur reprit vivement:

      «Si vous aviez pu venir avec moi, madame, je connais votre coeur: vous auriez pleuré.

      –C'est donc bien touchant, une duchesse qui vend sa fille? Un épisode du marché aux esclaves?

      –Je dirais plutôt un épisode de la vie des martyrs.

      –Vous êtes gentil pour don Diego!»

      Le docteur raconta la scène où il avait joué son rôle. Le comte fut ému. Mme Chermidy prit son mouchoir et essuya deux beaux yeux qui n'en avaient pas besoin.

      «Je suis bien aise, dit le comte, que cette résolution vienne d'elle. Si les parents avaient accepté d'eux-mêmes, je les aurais peut-être mal jugés.

      –Pardon. Avant de les juger, il faudrait savoir s'ils avaient ce matin du pain à la maison.

      –Du pain!

      –Du pain, sans métaphore.

      –Adieu, dit le comte. Je vais souhaiter la bonne année à ma mère. Elle dormait ce matin quand je suis sorti de l'hôtel. Je lui apprendrai l'effet de votre démarche, et je lui demanderai ce qu'il faut faire.

      Comment, docteur, il y a des gens qui manquent de pain!

      –J'en ai rencontré quelques-uns dans ma vie. Malheureusement je n'avais pas un million à leur offrir comme aujourd'hui.»

      Le comte baisa la main de Mme Chermidy et courut à l'hôtel de sa mère.

      La jolie femme resta en tête-à-tête avec le docteur.

      «Puisqu'il y a des gens qui manquent de pain, dit-elle, allons, docteur, une tasse de café!… Comment pourrai-je bien la voir, cette martyre de la poitrine? Car enfin il faut que je sache à qui je prête mon enfant.

      –Mais, par exemple, à l'église, le jour du mariage.

      –A l'église! Elle peut donc sortir?

      –Sans doute…. en voiture.

      –Je la croyais plus avancée que cela.

      –Vous vouliez donc un mariage in extremis?

      –Non, mais je veux être sûre. Bonté divine! docteur, si elle s'avisait de guérir!

      –La Faculté de médecine serait bien étonnée.

      –Et don Diego serait bien marié! et je vous tuerais, la Clef des coeurs!

      –Hélas! madame, je ne me sens pas en danger.

      –Comment, hélas!

      –Pardonnez-moi; c'est le médecin qui parlait, et non l'ami.

      –Une fois mariée, vous allez encore la soigner?

      –Faut-il la laisser mourir sans secours?

      –Dame! pourquoi l'épouse-t-on? Ce n'est pas pour qu'elle soit éternelle?»

      Le docteur réprima un mouvement de dégoût, et répondit, du ton le plus naturel, en homme dont la vertu n'est pas pédante:

      «Mon Dieu! madame, c'est une habitude prise, et je suis trop vieux pour me corriger. Nous autres médecins, nous soignons nos malades comme le chien de Terre-Neuve repêche les noyés. Affaire d'instinct. Un chien sauve aveuglément l'ennemi de son maître. Moi, je soignerai la pauvre créature comme si nous avions tous intérêt à la guérir.»

      Après le départ du docteur, Mme Chermidy passa dans son cabinet de toilette et se livra aux mains de sa femme de chambre. Pour la première fois depuis longtemps elle se laissa habiller sans y prendre garde: elle avait bien d'autres soucis! Ce mariage qu'elle avait préparé, cette combinaison savante dont elle s'applaudissait comme d'un trait de génie, pouvait tourner à sa confusion et à sa ruine. Il ne fallait qu'un caprice de la nature ou la stupide honnêteté d'un médecin pour déjouer ses calculs les plus savants et frauder ses plus chères espérances. Elle se prit à douter de tout, de son amant et de son étoile.

      Vers trois heures, le défilé des visites commença dans son salon. Elle dut sourire à toutes les paires de favoris qui s'approchèrent de sa jolie figure et s'extasier sur quarante boîtes de bonbons qui sortaient toutes de la même boutique. Elle maudit de bon coeur les aimables importunités du jour de l'an, mais elle ne laissa rien percer du souci qui la rongeait. Tous ceux qui sortirent ensemble de chez elle firent son éloge dans l'escalier.

      Elle avait un talent bien précieux chez une maîtresse de maison: elle savait faire causer tout le monde. Elle parlait à chacun de ce qui l'intéressait le plus; elle amenait les gens sur leur terrain. Cette femme sans éducation, trop paresseuse et trop fiévreuse pour garder un livre à la main, se faisait un fonds de connaissances utiles en feuilletant tous ses amis. Ils lui en savaient tous le meilleur gré du monde. Nous sommes ainsi bâtis; nous remercions intérieurement celui qui nous force à débiter notre tirade favorite ou à raconter l'histoire que nous disons bien. Celui qui nous fait montrer notre esprit n'est jamais une bête, et lorsqu'on est content de soi, on n'est mécontent de personne. Les hommes les plus intelligents travaillaient à la réputation de Mme Chermidy, tantôt en lui fournissant des idées, tantôt en disant avec une secrète complaisance:

      «C'est une femme supérieure, elle m'a compris.»

      Dans le cours de cette après-dînée, elle mit la main sur un homoeopathe en renom, qui soigne les santés les plus illustres de Paris. Elle trouva moyen de le questionner devant sept ou huit personnes sur le point qui la préoccupait.

      «Docteur, lui dit-elle, vous qui savez tout, apprenez-moi si l'on guérit les phthisiques?»

      L'homoeopathe lui répondit galamment qu'elle n'aurait jamais rien à démêler avec cette maladie-là.

      «Il ne s'agit pas de moi, reprit-elle. Je m'intéresse de tout mon coeur à une pauvre enfant dont les poumons sont dans un triste état.

      –Envoyez-moi chez elle, madame. Il n'y a pas de guérison impossible à l'homéopathie.

      –Vous êtes bien bon. Mais son médecin, un simple allopathe, assure qu'elle n'a plus qu'un poumon. Encore est-il attaqué.

      –On peut le guérir.

      –Le poumon, soit. Mais la malade?

      –La malade peut vivre avec un seul poumon. Cela s'est vu. Je ne vous promets pas qu'elle sera capable de gravir le mont Blanc au pas de course, mais elle vivra tout doucement, pendant plusieurs années, à force de ménagements et de globules.

      –C'est un avenir, cela! Je n'aurais jamais cru qu'on pût vivre avec un seul poumon.

      –Nous avons des exemples assez nombreux. L'autopsie a démontré….

      –L'autopsie! mais on ne fait l'autopsie que des morts!

      –Vous avez raison, madame, et j'ai l'air d'avoir dit une sottise. Cependant, écoutez bien ceci. En Algérie, le bétail des Arabes est généralement phthisique. Les troupeaux sont mal soignés, ils passent la nuit dans les champs, et prennent des maladies de poitrine. Nos sujets musulmans ne vont pas chez le vétérinaire: ils laissent à Mahomet le soin de guérir leurs vaches et leurs boeufs. Ils en perdent beaucoup par cette négligence, mais ils ne perdent pas tout. Les animaux guérissent quelquefois, sans le secours de l'art et malgré tous les ravages que la maladie a pu faire dans leur corps. Un de nos confrères de l'armée d'Afrique a vu tuer dans les abattoirs de Blidah des vaches guéries de la phthisie pulmonaire, et qui vivaient depuis plusieurs années avec un seul poumon en très-mauvais état. Voilà l'autopsie dont je voulais parler.

      –Je comprends, dit Mme Chermidy. Alors, si l'on tuait toutes les personnes qui vivent dans notre monde, on en trouverait quelques-unes qui n'ont pas les poumons au complet?

      –Et qui ne s'en portent pas beaucoup plus mal. Précisément, madame.»

      Une heure plus tard, le cercle s'était renouvelé autour de la cheminée du

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