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jusqu'aux dents, les officiers de santé du lieu, et son oncle qui n'était pas autre chose, lui demandèrent pourquoi il ne s'était pas fixé à Paris. Il joignait au talent des formes si séduisantes, et son grand paletot lui allait si bien, qu'on devina du premier jour que tous les malades seraient pour lui. Le parent vénérable se trouva beaucoup trop jeune pour songer à la retraite, et la rivalité de son neveu lui rendit des jambes qu'il n'avait plus. Bref, le pauvre garçon fut si mal reçu, et l'on mit tant de bâtons dans ses roues, que, de désespoir, il revint à Paris. Ses anciens maîtres l'avaient jugé: on lui fit une clientèle. Les grands hommes ont le moyen de n'être pas jaloux. Grâce à leur générosité, la réputation du docteur Le Bris s'est faite en cinq ou six années. On l'aime ici comme savant, là comme danseur, et partout comme un charmant homme de bien. Il ignore les premiers éléments du charlatanisme, parle fort peu de ses succès, et abandonne à ses malades le soin de dire qu'il les a guéris. Son appartement n'est pas un temple. Il loge au quatrième étage, dans un quartier perdu. Est-ce modestie? est-ce coquetterie? On ne sait. Les pauvres gens de son quartier ne se plaignent pas d'un tel voisinage: il les soigne avec tant d'application qu'il oublie quelquefois sa bourse au chevet de leur lit.

      M. Le Bris était depuis trois ans le médecin de Mlle de La Tour d'Embleuse. Il avait suivi les progrès de la maladie sans pouvoir rien faire pour les arrêter. Ce n'était pas que Germaine fût une de ces enfants condamnées dès leur naissance, qui portent en elles le germe d'une mort héréditaire. Sa constitution était robuste, sa poitrine large, et sa mère n'avait jamais toussé. Un rhume négligé, une chambre froide, la privation des choses nécessaires à la vie avaient causé tout le mal. Peu à peu, malgré les soins du docteur, la pauvre fille avait pâli comme une statue de cire; ses forces s'en étaient allées; l'appétit, la gaieté, le souffle, la joie de respirer l'air liquide, tout lui manquait. Six mois avant le début de cette histoire, M. Le Bris avait réuni deux grands médecins auprès de la malade. Elle pouvait encore être sauvée: il lui restait un poumon, et la nature se contente à moins. Mais il fallait l'emmener sans retard en Égypte ou en Italie.

      «Oui, dit le jeune docteur, la seule ordonnance à faire est celle-ci: une maison de campagne au bord de l'Arno, une vie calme et des rentes. Mais voyez!»

      Il désigna du doigt les rideaux déchirés, les chaises de paille et le carreau rouge du salon.

      «Voici qui la condamne à mort!»

      Au mois de janvier, le dernier poumon était entamé; le sacrifice s'accomplissait. Le docteur avait reporté ses soins sur la duchesse. Son dernier espoir était d'endormir doucement la fille et de sauver la mère.

      Il fit sa visite à Germaine, lui tâta le pouls pour la forme, lui offrit une boîte de bonbons, la baisa fraternellement au front, et passa chez M. de La Tour d'Embleuse.

      Le duc était encore au lit. Sa figure n'était pas faite et il portait ses soixante-trois ans.

      «Eh bien! beau docteur, dit-il en riant aux éclats, quelle année nous apportez-vous? La Fortune voudra-t-elle enfin de moi? Ah! friponne, si jamais je te tiens! Vous êtes témoin, docteur, que je l'attends dans mon lit.

      –Monsieur le duc, répondit le docteur, puisque nous sommes seuls ensemble, nous pouvons causer de choses sérieuses. Je ne vous ai pas caché l'état de mademoiselle votre fille.»

      Le duc fit une petite moue sentimentale et dit: «Vraiment, docteur, il n'y a plus rien à espérer? Pas de fausse modestie: vous êtes capable d'un miracle!»

      M. Le Bris hocha tristement la tête. «Tout ce qui est en mon pouvoir, reprit-il, est d'adoucir ses derniers jours.

      –Pauvre petite! Figurez-vous, cher docteur, qu'elle tousse à me réveiller toutes les nuits. Elle doit souffrir cruellement, quoiqu'elle s'en défende. S'il n'y a plus aucun espoir, sa dernière heure sera une heure de délivrance.

      –Ce n'est pas tout ce que j'avais à vous dire, et pardonnez-moi si je commence l'année par de tristes nouvelles.»

      Le duc se leva sur son séant: «Quoi donc? Vous me faites peur!

      –Mme la duchesse m'inquiète depuis quelques mois.

      –Ah! pour le coup, docteur, vous abusez des mauvais augures. La duchesse, grâce à Dieu, est en bon point, et je voudrais me porter comme elle.»

      Le docteur entra dans des détails qui abattirent l'insouciance et la légèreté du vieillard. Il se vit seul sur la terre, et un frisson le saisit. Sa voix baissa d'un ton; il s'attacha à la main du docteur comme un noyé à la dernière branche. «Mon ami, lui dit-il, sauvez-moi! Je veux dire, sauvez la duchesse! Je n'ai plus qu'elle au monde. Qu'est-ce que je deviendrais? C'est un ange, mon ange gardien! Dites-moi ce qu'il faut faire pour la guérir. J'obéirai en esclave.

      –Monsieur le duc, il faut à Mme la duchesse une vie calme et facile, sans émotions et surtout sans privations; un régime doux, des aliments choisis et variés, une maison confortable, une bonne voiture….

      –Et la lune, n'est-ce pas? cria le duc avec impatience. Je vous croyais plus d'esprit, docteur, et de meilleurs yeux. Voiture! maison! une bonne nourriture! Allez me les chercher si vous voulez que je les lui donne!»

      Le docteur répondit sans se troubler: «Je vous les apporte, monsieur le duc, et vous n'avez qu'à prendre.»

      Les yeux du vieillard s'écarquillèrent comme ceux d'un chat qui passe à l'ombre. «Parlez donc! cria-t-il. Vous me retournez sur le gril!

      –Avant de rien vous dire, monsieur le duc, j'ai besoin de vous rappeler que je suis depuis trois ans le meilleur ami de votre maison.

      –Vous pouvez dire le seul; personne au monde, ne vous démentira.

      –L'honneur de votre nom m'est aussi cher qu'à vous, et si….

      –C'est bon! c'est bon!

      –N'oubliez pas que la vie de Mme la duchesse est en danger; que je réponds de la sauver, pourvu que vous m'en fournissiez les moyens.

      –Que diable! c'est à vous de me les fournir! Vous me parlez depuis une heure comme le péripatéticien du Mariage forcé. Au fait! docteur, au fait!

      –M'y voici. Avez-vous jamais rencontré dans Paris le comte de Villanera?

      –Les chevaux noirs?

      –Précisément.

      –Le plus bel attelage de Paris!

      –Don Diego Gomez de Villanera est le dernier rejeton d'une grande famille napolitaine transplantée en Espagne sous le règne de Charles-Quint. Sa fortune est la plus grande de toute la Péninsule; s'il cultivait ses terres et s'il exploitait ses mines, il se ferait deux ou trois millions de revenu. En attendant, il a quatorze cent mille francs de rente, un peu moins que le prince Ysoupoff. Il a trente-deux ans, une jolie figure, une éducation exquise, un caractère honorable….

      –Ajoutez: Et Mme Chermidy.

      –Puisque vous savez cela, vous m'abrégez le chemin. Le comte, pour des raisons qui seraient trop longues à déduire, veut quitter Mme Chermidy et se marier, suivant son rang, dans une des familles les plus illustres du faubourg. Il recherche si peu la fortune, qu'il assurera à son beau-père cinquante mille francs de rente. Le beau-père qu'il désire, c'est vous; il m'a chargé de sonder vos dispositions. Si vous dites oui, il viendra aujourd'hui même vous demander la main de mademoiselle votre fille, et le mariage sera fait dans quinze jours.»

      Pour le coup, le duc sauta à bas du lit et regarda le docteur entre les deux yeux:

      «Vous n'êtes pas fou? lui dit-il; vous ne vous moquez pas de moi? Vous ne pouvez pas oublier que je suis le duc de La Tour d'Embleuse et que j'ai le double de votre âge? est-ce bien vrai ce que vous m'avez dit?

      –La vérité toute pure.

      –Mais il ne sait donc pas que Germaine est malade?

      –Il le sait.

      –Mourante?

      –Il le sait.

      –Condamnée?

      –Il le sait.»

      Un

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