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d'arriver très vite au grade de lieutenant. Toutes ces dames l'entouraient d'une respectueuse sympathie. La conversation reprit, plus aimable et plus délicate. Et Fauchery, à voir là cette respectable madame Hugon, cette figure maternelle éclairée d'un si bon sourire, entre ses larges bandeaux de cheveux blancs, se trouva ridicule d'avoir soupçonné un instant la comtesse Sabine.

      Pourtant, la grande chaise de soie rouge capitonnée, où la comtesse s'asseyait, venait d'attirer son attention. Il la trouvait d'un ton brutal, d'une fantaisie troublante, dans ce salon enfumé. A coup sûr, ce n'était pas le comte qui avait introduit ce meuble de voluptueuse paresse. On aurait dit un essai, le commencement d'un désir et d'une jouissance. Alors, il s'oublia, rêvant, revenant quand même à cette confidence vague, reçue un soir dans le cabinet d'un restaurant. Il avait désiré s'introduire chez les Muffat, poussé par une curiosité sensuelle; puisque son ami était resté au Mexique, qui sait? il fallait voir. C'était une bêtise sans doute; seulement, l'idée le tourmentait, il se sentait attiré, son vice mis en éveil. La grande chaise avait une mine chiffonnée, un renversement de dossier qui l'amusaient, maintenant.

      – Eh bien! partons-nous? demanda la Faloise, en se promettant d'obtenir dehors le nom de la femme chez qui on soupait.

      – Tout à l'heure, répondit Fauchery.

      Et il ne se pressa plus, il se donna pour prétexte l'invitation qu'on l'avait chargé de faire et qui n'était pas commode à présenter. Les dames causaient d'une prise de voile, une cérémonie très touchante, dont le Paris mondain restait tout ému depuis trois jours. C'était la fille aînée de la baronne de Fougeray qui venait d'entrer aux Carmélites, par une vocation irrésistible. Madame Chantereau, un peu cousine des Fougeray, racontait que la baronne avait dû se mettre au lit, le lendemain, tellement les larmes l'étouffaient.

      – Moi, j'étais très bien placée, déclara Léonide. J'ai trouvé ça curieux.

      Cependant, madame Hugon plaignait la pauvre mère. Quelle douleur de perdre ainsi sa fille!

      – On m'accuse d'être dévote, dit-elle avec sa tranquille franchise; cela ne m'empêche pas de trouver bien cruelles les enfants qui s'entêtent dans un pareil suicide.

      – Oui, c'est une terrible chose, murmura la comtesse, avec un petit grelottement de frileuse, en se pelotonnant davantage au fond de sa grande chaise, devant le feu.

      Alors, ces dames discutèrent. Mais leurs voix demeuraient discrètes, de légers rires par moments coupaient la gravité de la conversation. Les deux lampes de la cheminée, recouvertes d'une dentelle rose, les éclairaient faiblement; et il n'y avait, sur des meubles éloignés, que trois autres lampes, qui laissaient le vaste salon dans une ombre douce.

      Steiner s'ennuyait. Il racontait à Fauchery une aventure de cette petite madame de Chezelles, qu'il appelait Léonide tout court; une bougresse, disait-il en baissant la voix, derrière les fauteuils des dames. Fauchery la regardait, dans sa grande robe de satin bleu pâle, drôlement posée sur un coin de son fauteuil, mince et hardie comme un garçon, et il finissait par être surpris de la voir là; on se tenait mieux chez Caroline Héquet, dont la mère avait sérieusement monté la maison. C'était tout un sujet d'article. Quel singulier monde que ce monde parisien! Les salons les plus rigides se trouvaient envahis. Évidemment, ce silencieux Théophile Venot, qui se contentait de sourire en montrant ses dents mauvaises, devait être un legs de la défunte comtesse, ainsi que les dames d'âge mûr, madame Chantereau, madame Du Joncquoy, et quatre ou cinq vieillards, immobiles dans les angles. Le comte Muffat amenait des fonctionnaires ayant cette correction de tenue qu'on aimait chez les hommes aux Tuileries; entre autres, le chef de bureau, toujours seul au milieu de la pièce, la face rasée et les regards éteints, sanglé dans son habit, au point de ne pouvoir risquer un geste. Presque tous les jeunes gens et quelques personnages de hautes manières venaient du marquis de Chouard, qui avait gardé des relations suivies dans le parti légitimiste, après s'être rallié en entrant au Conseil d'État. Restaient Léonide de Chezelles, Steiner, tout un coin louche, sur lequel madame Hugon tranchait avec sa sérénité de vieille femme aimable. Et Fauchery, qui voyait son article, appelait ça le coin de la comtesse Sabine.

      – Une autre fois, continuait Steiner plus bas, Léonide a fait venir son ténor à Montauban. Elle habitait le château de Beaurecueil, deux lieues plus loin, et elle arrivait tous les jours, dans une calèche attelée de deux chevaux, pour le voir au Lion-d'Or, où il était descendu… La voiture attendait à la porte, Léonide restait des heures, pendant que le monde se rassemblait et regardait les chevaux.

      Un silence s'était fait, quelques secondes solennelles passèrent sous le haut plafond. Deux jeunes chuchotaient, mais ils se turent à leur tour; et l'on n'entendit plus que le pas étouffé du comte Muffat, qui traversait la pièce. Les lampes semblaient avoir pâli, le feu s'éteignait, une ombre sévère noyait les vieux amis de la maison, dans les fauteuils qu'ils occupaient là depuis quarante ans. Ce fut comme si, entre deux phrases échangées, les invités eussent senti revenir la mère du comte, avec son grand air glacial. Déjà la comtesse Sabine reprenait:

      – Enfin, le bruit en a couru… Le jeune homme serait mort, et cela expliquerait l'entrée en religion de cette pauvre enfant. On dit, d'ailleurs, que jamais monsieur de Fougeray n'aurait consenti au mariage.

      – On dit bien d'autres choses, s'écria Léonide étourdiment.

      Elle se mit à rire, tout en refusant de parler. Sabine, gagnée par cette gaieté, porta son mouchoir à ses lèvres. Et ces rires, dans la solennité de la vaste pièce, prenaient un son dont Fauchery resta frappé; ils sonnaient le cristal qui se brise. Certainement, il y avait là un commencement de fêlure. Toutes les voix repartirent; madame Du Joncquoy protestait, madame Chantereau savait qu'on avait projeté un mariage, mais que les choses en étaient restées là; les hommes eux-mêmes risquaient leur avis. Ce fut, pendant quelques minutes, une confusion de jugements où les divers éléments du salon, les bonapartistes et les légitimistes mêlés aux sceptiques mondains, donnaient à la fois et se coudoyaient. Estelle avait sonné pour qu'on mît du bois au feu, le valet remontait les lampes, on eût dit un réveil. Fauchery souriait, comme mis à l'aise.

      – Parbleu! elles épousent Dieu, lorsqu'elles n'ont pu épouser leur cousin, dit entre ses dents Vandeuvres, que cette question ennuyait, et qui venait rejoindre Fauchery. Mon cher, avez-vous jamais vu une femme aimée se faire religieuse?

      Il n'attendit pas la réponse, il en avait assez; et, à demi-voix:

      – Dites donc, combien serons-nous demain?.. Il y aura les Mignon, Steiner, vous, Blanche et moi… Qui encore?

      – Caroline, je pense… Simonne… Gaga sans doute… On ne sait jamais au juste, n'est-ce pas? Dans ces occasions, on croit être vingt et l'on est trente.

      Vandeuvres, qui regardait les dames, sauta brusquement à un autre sujet.

      – Elle a dû être très bien, cette dame Du Joncquoy, il y a quinze ans… La pauvre Estelle s'est encore allongée. En voilà une jolie planche à mettre dans un lit!

      Mais il s'interrompit, il revint au souper du lendemain.

      – Ce qu'il y a d'ennuyeux, dans ces machines-là, c'est que ce sont toujours les mêmes femmes… Il faudrait du nouveau. Tâchez donc d'en inviter une… Tiens! une idée! Je vais prier ce gros homme d'amener la femme qu'il promenait, l'autre soir, aux Variétés.

      Il parlait du chef de bureau, ensommeillé au milieu du salon. Fauchery s'amusa de loin à suivre cette négociation délicate. Vandeuvres s'était assis près du gros homme, qui restait très digne. Tous deux parurent un instant discuter avec mesure la question pendante, celle de savoir quel sentiment véritable poussait une jeune fille à entrer en religion. Puis, le comte revint, disant:

      – Ce n'est pas possible. Il jure qu'elle est sage. Elle refuserait… J'aurais pourtant parié l'avoir vue chez Laure.

      – Comment! vous allez chez Laure! murmura Fauchery en riant. Vous vous risquez dans des endroits pareils!.. Je croyais qu'il n'y avait que nous autres, pauvres diables…

      – Eh! mon cher, il faut bien tout connaître.

      Alors,

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