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Nana. Emile Zola
Читать онлайн.Название Nana
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Comment! comment! reprenait madame Du Joncquoy, vous supposez que monsieur de Bismarck nous fera la guerre et nous battra… Oh! celle-là dépasse tout!
On riait, en effet, autour de madame Chantereau, qui venait de répéter ce propos, entendu par elle en Alsace, où son mari possédait une usine.
– L'empereur est là, heureusement, dit le comte Muffat avec sa gravité officielle.
Ce fut le dernier mot que Fauchery put entendre. Il refermait la porte, après avoir regardé une fois encore la comtesse Sabine. Elle causait posément avec le chef de bureau et semblait s'intéresser à l'entretien de ce gros homme. Décidément, il devait s'être trompé, il n'y avait point de fêlure. C'était dommage.
– Eh bien! tu ne descends pas? lui cria la Faloise du vestibule.
Et, sur le trottoir, en se séparant, on répéta encore:
– A demain, chez Nana.
IV
Depuis le matin, Zoé avait livré l'appartement à un maître d'hôtel, venu de chez Brébant avec un personnel d'aides et de garçons. C'était Brébant qui devait tout fournir, le souper, la vaisselle, les cristaux, le linge, les fleurs, jusqu'à des sièges et à des tabourets. Nana n'aurait pas trouvé une douzaine de serviettes au fond de ses armoires; et, n'ayant pas encore eu le temps de se monter dans son nouveau lançage, dédaignant d'aller au restaurant, elle avait préféré faire venir le restaurant chez elle. Ça lui semblait plus chic. Elle voulait fêter son grand succès d'actrice par un souper, dont on parlerait. Comme la salle à manger était trop petite, le maître d'hôtel avait dressé la table dans le salon, une table où tenaient vingt-cinq couverts, un peu serrés.
– Tout est prêt? demanda Nana, en rentrant à minuit.
– Ah! je ne sais pas, répondit brutalement Zoé, qui paraissait hors d'elle. Dieu merci! je ne m'occupe de rien. Ils en font un massacre dans la cuisine et dans tout l'appartement!.. Avec ça, il a fallu me disputer. Les deux autres sont encore venus. Ma foi, je les ai flanqués à la porte.
Elle parlait des deux anciens messieurs de madame, du négociant et du Valaque, que Nana s'était décidée à congédier, certaine de l'avenir, désirant faire peau neuve, comme elle disait.
– En voilà des crampons! murmura-t-elle. S'ils reviennent, menacez-les d'aller chez le commissaire.
Puis, elle appela Daguenet et Georges, restés en arrière dans l'antichambre, où ils accrochaient leurs paletots. Tous deux s'étaient rencontrés à la sortie des artistes, passage des Panoramas, et elle les avait amenés en fiacre. Comme il n'y avait personne encore, elle leur criait d'entrer dans le cabinet de toilette, pendant que Zoé l'arrangerait. En hâte, sans changer de robe, elle se fit relever les cheveux, piqua des roses blanches à son chignon et à son corsage. Le cabinet se trouvait encombré des meubles du salon, qu'on avait dû rouler là, un tas de guéridons, de canapés, de fauteuils, les pieds en l'air; et elle était prête, lorsque sa jupe se prit dans une roulette et se fendit. Alors, elle jura, furieuse; ces choses n'arrivaient qu'à elle. Rageusement, elle ôta sa robe, une robe de foulard blanc, très simple, si souple et si fine, qu'elle l'habillait d'une longue chemise. Mais aussitôt elle la remit, n'en trouvant pas d'autre à son goût, pleurant presque, se disant faite comme une chiffonnière. Daguenet et Georges durent rentrer la déchirure avec des épingles, tandis que Zoé la recoiffait. Tous trois se hâtaient autour d'elle, le petit surtout, à genoux par terre, les mains dans les jupes. Elle finit par se calmer, lorsque Daguenet lui assura qu'il devait être au plus minuit un quart, tellement elle avait dépêché le troisième acte de la Blonde Vénus, mangeant les répliques, sautant des couplets.
– C'est toujours trop bon pour ce tas d'imbéciles, dit-elle. Avez-vous vu? il y avait des têtes, ce soir!.. Zoé, ma fille, vous attendrez ici. Ne vous couchez pas, j'aurai peut-être besoin de vous… Bigre! il était temps. Voilà du monde.
Elle s'échappa. Georges restait par terre, la queue de son habit balayant le sol. Il rougit en voyant Daguenet le regarder. Cependant, ils s'étaient pris de tendresse l'un pour l'autre. Ils refirent le noeud de leur cravate devant la grande psyché, et se donnèrent mutuellement un coup de brosse, tout blancs de s'être frottés à Nana.
– On dirait du sucre, murmura Georges, avec son rire de bébé gourmand.
Un laquais, loué à la nuit, introduisait les invités dans le petit salon, une pièce étroite où l'on avait laissé quatre fauteuils seulement, pour y entasser le monde. Du grand salon voisin, venait un bruit de vaisselle et d'argenterie remuées; tandis que, sous la porte, une raie de vive clarté luisait. Nana, en entrant, trouva, déjà installée dans un des fauteuils, Clarisse Besnus, que la Faloise avait amenée.
– Comment! tu es la première! dit Nana, qui la traitait familièrement depuis son succès.
– Eh! c'est lui, répondit Clarisse. Il a toujours peur de ne pas arriver… Si je l'avais cru, je n'aurais pas pris le temps d'ôter mon rouge et ma perruque.
Le jeune homme, qui voyait Nana pour la première fois, s'inclinait et la complimentait, parlant de son cousin, cachant son trouble sous une exagération de politesse. Mais Nana, sans l'écouter, sans le connaître, lui serra la main, puis s'avança vivement vers Rose Mignon. Du coup, elle devint très distinguée.
– Ah! chère madame, que vous êtes gentille!.. Je tenais tant à vous avoir!
– C'est moi qui suis ravie, je vous assure, dit Rose également pleine d'amabilité.
– Asseyez-vous donc… Vous n'avez besoin de rien?
– Non, merci… Ah! j'ai oublié mon éventail dans ma pelisse.
Steiner, voyez dans la poche droite.
Steiner et Mignon étaient entrés derrière Rose. Le banquier retourna, reparut avec l'éventail, pendant que Mignon, fraternellement, embrassait Nana et forçait Rose à l'embrasser aussi. Est-ce qu'on n'était pas tous de la même famille, au théâtre? Puis, il cligna des yeux, comme pour encourager Steiner; mais celui-ci, troublé par le regard clair de Rose, se contenta de mettre un baiser sur la main de Nana.
A ce moment, le comte de Vandeuvres parut avec Blanche de Sivry. Il y eut de grandes révérences. Nana, tout à fait cérémonieuse, mena Blanche à un fauteuil. Cependant, Vandeuvres racontait en riant que Fauchery se disputait en bas, parce que le concierge avait refusé de laisser entrer la voiture de Lucy Stewart. Dans l'antichambre, on entendit Lucy qui traitait le concierge de sale mufe. Mais, quand le laquais eut ouvert la porte, elle s'avança avec sa grâce rieuse, se nomma elle-même, prit les deux mains de Nana, en lui disant qu'elle l'avait aimée tout de suite et qu'elle lui trouvait un fier talent. Nana, gonflée de son rôle nouveau de maîtresse de maison, remerciait, vraiment confuse. Pourtant, elle semblait préoccupée depuis l'arrivée de Fauchery. Dès qu'elle put s'approcher de lui, elle demanda tout bas:
– Viendra-t-il?
– Non, il n'a pas voulu, répondit brutalement le journaliste pris à l'improviste, bien qu'il eût préparé une histoire pour expliquer le refus du comte Muffat.
Il eut conscience de sa bêtise, en voyant la pâleur de la jeune femme, et tâcha de rattraper sa phrase.
– Il n'a pas pu, il mène ce soir la comtesse au bal du ministère de l'intérieur.
– C'est bon, murmura Nana, qui le soupçonnait de mauvaise volonté. Tu me paieras ça, mon petit.
– Ah! dis donc, reprit-il, blessé de la menace, je n'aime pas ces commissions-là. Adresse-toi à Labordette.
Ils