ТОП просматриваемых книг сайта:
Nana. Emile Zola
Читать онлайн.Название Nana
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
N'est-ce pas que vous le défendrez?
Nana n'eut pas l'air de comprendre. Elle souriait, elle regardait Rose, son mari et le banquier; puis, elle dit à ce dernier:
– Monsieur Steiner, vous vous mettrez à côté de moi.
Mais des rires vinrent de l'antichambre, des chuchotements, une bouffée de voix gaies et bavardes, comme si tout un couvent échappé se fût trouvé là. Et Labordette parut, traînant cinq femmes derrière lui, son pensionnat, selon le mot méchant de Lucy Stewart. Il y avait Gaga, majestueuse dans une robe de velours bleu qui la sanglait, Caroline Héquet, toujours en faille noire garnie de chantilly, puis Léa de Horn, fagotée comme à son habitude, la grosse Tatan Néné, une blonde bon enfant à poitrine de nourrice dont on se moquait, enfin la petite Maria Blond, une fillette de quinze ans, d'une maigreur et d'un vice de gamin, que lançait son début aux Folies. Labordette avait amené tout ça dans une seule voiture; et elles riaient encore d'avoir été serrées, Maria Blond sur les genoux des autres. Mais elles pincèrent les lèvres, échangeant des poignées de main et des saluts, toutes très comme il faut. Gaga faisait l'enfant, zézayait par excès de bonne tenue. Seule, Tatan Néné, à qui l'on avait raconté en chemin que six nègres, absolument nus, serviraient le souper de Nana, s'inquiétait, demandant à les voir. Labordette la traita de dinde, en la priant de se taire.
– Et Bordenave? demanda Fauchery.
– Oh! figurez-vous, je suis désolée, s'écria Nana, il ne pourra pas être des nôtres.
– Oui, dit Rose Mignon, son pied s'est pris dans une trappe, il a une entorse abominable… Si vous l'entendiez jurer, la jambe ficelée et allongée sur une chaise!
Alors, tout le monde regretta Bordenave. On ne donnait pas un bon souper sans Bordenave. Enfin, on tâcherait de se passer de lui. Et l'on causait déjà d'autre chose, lorsqu'une grosse voix s'éleva.
– Quoi donc! quoi donc! c'est comme ça qu'on m'enterre!
Il y eut un cri, chacun tourna la tête. C'était Bordenave, énorme et très rouge, la jambe raide, debout sur le seuil, où il s'appuyait à l'épaule de Simonne Cabiroche. Pour l'instant, il couchait avec Simonne. Cette petite, qui avait reçu de l'éducation, jouant du piano, parlant anglais, était une blonde toute mignonne, si délicate, qu'elle pliait sous le rude poids de Bordenave, souriante et soumise pourtant. Il posa quelques secondes, sentant qu'ils faisaient tableau tous les deux.
– Hein? il faut vous aimer, continua-t-il. Ma foi, j'ai eu peur de m'embêter, je me suis dit: J'y vais…
Mais il s'interrompit pour lâcher un juron.
– Cré nom de Dieu!
Simonne avait fait un pas trop vite, son pied venait de porter. Il la bouscula. Elle, sans cesser de sourire, baissant son joli visage comme une bête qui a peur d'être battue, le soutenait de toutes ses forces de petite blonde potelée. D'ailleurs, au milieu des exclamations, on s'empressait. Nana et Rose Mignon roulaient un fauteuil, dans lequel Bordenave se laissa aller, pendant que les autres femmes lui glissaient un second fauteuil sous la jambe. Et toutes les actrices qui étaient là l'embrassèrent, naturellement. Il grognait, il soupirait.
– Cré nom de Dieu! cré nom de Dieu!.. Enfin, l'estomac est solide, vous verrez ça.
D'autres convives étaient arrivés. On ne pouvait plus remuer dans la pièce. Les bruits de vaisselle et d'argenterie avaient cessé; maintenant, une querelle venait du grand salon, où grondait la voix furieuse du maître d'hôtel. Nana s'impatientait, n'attendant plus d'invités, s'étonnant qu'on ne servît pas. Elle avait envoyé Georges demander ce qui se passait, lorsqu'elle resta très surprise de voir encore entrer du monde, des hommes, des femmes. Ceux-là, elle ne les connaissait pas du tout. Alors, un peu embarrassée, elle interrogea Bordenave, Mignon, Labordette. Ils ne les connaissaient pas non plus. Quand elle s'adressa au comte de Vandeuvres, il se souvint brusquement; c'étaient les jeunes gens qu'il avait racolés chez le comte Muffat. Nana le remercia. Très bien, très bien. Seulement, on serait joliment serré; et elle pria Labordette d'aller faire ajouter sept couverts. A peine était-il sorti, que le valet introduisit de nouveau trois personnes. Non, cette fois, ça devenait ridicule; on ne tiendrait pas, pour sûr. Nana, qui commençait à se fâcher, disait de son grand air que ce n'était guère convenable. Mais, en en voyant arriver encore deux, elle se mit à rire, elle trouvait ça trop drôle. Tant pis! on tiendrait comme on tiendrait. Tous étaient debout, il n'y avait que Gaga et Rose Mignon assises, Bordenave accaparant à lui seul deux fauteuils. Les voix bourdonnaient, on parlait bas, en étouffant de légers bâillements.
– Dis donc, ma fille, demanda Bordenave, si on se mettait à table tout de même?.. Nous sommes au complet, n'est-ce pas?
– Ah! oui, par exemple, nous sommes au complet! répondit-elle en riant.
Elle promenait ses regards. Mais elle devint sérieuse, comme étonnée de ne pas trouver quelqu'un là. Sans doute il manquait un convive dont elle ne parlait point. Il fallait attendre. Quelques minutes plus tard, les invités aperçurent au milieu d'eux un grand monsieur, à figure noble et à belle barbe blanche. Et le plus surprenant était que personne ne l'avait vu entrer; il devait s'être glissé dans le petit salon par une porte de la chambre à coucher, restée entrouverte. Un silence régna, des chuchotements couraient. Le comte de Vandeuvres savait certainement qui était le monsieur, car ils avaient tous deux échangé une discrète poignée de main; mais il répondit par un sourire aux questions des femmes. Alors, Caroline Héquet, à demi-voix, paria pour un lord anglais, qui retournait le lendemain se marier à Londres; elle le connaissait bien, elle l'avait eu. Et cette histoire fit le tour des dames; seulement, Maria Blond prétendait, de son côté, reconnaître un ambassadeur allemand, à preuve qu'il couchait souvent avec une de ses amies. Parmi les hommes, en phrases rapides, on le jugeait. Une tête de monsieur sérieux. Peut-être qu'il payait le souper. Probable. Ça sentait ça. Bah! pourvu que le souper fût bon! Enfin, on resta dans le doute, on oubliait déjà le vieillard à barbe blanche, lorsque le maître d'hôtel ouvrit la porte du grand salon.
– Madame est servie.
Nana avait accepté le bras de Steiner, sans paraître remarquer un mouvement du vieillard, qui se mit à marcher derrière elle, tout seul. D'ailleurs, le défilé ne put s'organiser. Les hommes et les femmes entrèrent débandés, plaisantant avec une bonhomie bourgeoise sur ce manque de cérémonie. Une longue table allait d'un bout à l'autre de la vaste pièce, vide de meubles; et cette table se trouvait encore trop petite, car les assiettes se touchaient. Quatre candélabres à dix bougies éclairaient le couvert, un surtout en plaqué, avec des gerbes de fleurs à droite et à gauche. C'était un luxe de restaurant, de la porcelaine à filets dorés, sans chiffre, de l'argenterie usée et ternie par les continuels lavages, des cristaux dont on pouvait compléter les douzaines dépareillées dans tous les bazars. Cela sentait une crémaillère pendue trop vite, au milieu d'une fortune subite, et lorsque rien n'était encore en place. Un lustre manquait; les candélabres, dont les bougies très hautes s'éméchaient à peine, faisaient un jour pâle et jaune au-dessus des compotiers, des assiettes montées, des jattes, où les fruits, les petits fours, les confitures, alternaient symétriquement.
– Vous savez, dit Nana, on se place comme on veut… C'est plus amusant.
Elle se tenait debout, au milieu de la table. Le vieux monsieur, qu'on ne connaissait pas, s'était mis à sa droite, pendant qu'elle gardait Steiner à sa gauche. Des convives s'asseyaient déjà, quand des jurons partirent du petit salon. C'était Bordenave qu'on oubliait et qui avait toutes les peines du monde pour se relever de ses deux fauteuils, gueulant, appelant cette rosse de Simonne, filée avec les autres. Les femmes coururent, pleines d'apitoiement. Bordenave apparut, soutenu, porté par Caroline, Clarisse, Tatan Néné, Maria Blond. Et ce fut toute une affaire pour l'installer.
– Au milieu de la table, en face de Nana! criait-on. Bordenave au milieu! Il nous présidera!
Alors, ces dames l'assirent au milieu. Mais il fallut une seconde chaise pour sa jambe. Deux femmes soulevèrent sa jambe, l'allongèrent délicatement.