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Nana. Emile Zola
Читать онлайн.Название Nana
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– C'est pour moi ces fleurs?
– Oui.
– Donne-les donc, nigaud!
Mais, comme elle prenait le bouquet, il lui sauta sur les mains, avec la gloutonnerie de son bel âge. Elle dut le battre pour qu'il lâchât prise. En voilà un morveux qui allait raide! Tout en le grondant, elle était devenue rose, elle souriait. Et elle le renvoya, en lui permettant de revenir. Il chancelait, il ne trouvait plus les portes.
Nana retourna dans son cabinet de toilette, où Francis se présenta presque aussitôt pour la coiffer définitivement. Elle ne s'habillait que le soir. Assise devant la glace, baissant la tête sous les mains agiles du coiffeur, elle restait muette et rêveuse, lorsque Zoé entra, en disant:
– Madame, il y en a un qui ne veut pas partir.
– Eh bien! il faut le laisser, répondit-elle tranquillement.
– Avec ça, il en vient toujours.
– Bah! dis-leur d'attendre. Quand ils auront trop faim, ils s'en iront.
Son esprit avait tourné. Cela l'enchantait de faire poser les hommes. Une idée acheva de l'amuser: elle s'échappa des mains de Francis, courut mettre elle-même les verrous; maintenant, ils pouvaient s'entasser à côté, ils ne perceraient pas le mur, peut-être. Zoé entrerait par la petite porte qui menait à la cuisine. Cependant, la sonnerie électrique marchait de plus belle. Toutes les cinq minutes, le tintement revenait, vif et clair, avec sa régularité de machine bien réglée. Et Nana les comptait, pour se distraire. Mais elle eut un brusque souvenir.
– Mes pralines, dites donc?
Francis, lui aussi, oubliait les pralines. Il tira un sac d'une poche de sa redingote, du geste discret d'un homme du monde offrant un cadeau à une amie; pourtant, à chaque règlement, il portait les pralines sur sa note. Nana posa le sac entre ses genoux, et se mit à croquer, en tournant la tête sous les légères poussées du coiffeur.
– Fichtre! murmura-t-elle au bout d'un silence, voilà une bande.
Trois fois, coup sur coup, la sonnerie avait tinté. Les appels du timbre se précipitaient. Il y en avait de modestes, qui balbutiaient avec le tremblement d'un premier aveu; de hardis, vibrant sous quelque doigt brutal; de pressés, traversant l'air d'un frisson rapide. Un véritable carillon, comme disait Zoé, un carillon à révolutionner le quartier, toute une cohue d'hommes tapant à la file sur le bouton d'ivoire. Ce farceur de Bordenave avait vraiment donné l'adresse à trop de monde, toute la salle de la veille allait y passer.
– A propos, Francis, dit Nana, avez-vous cinq louis?
Il se recula, examina la coiffure, puis tranquillement:
– Cinq louis, c'est selon.
– Ah! vous savez, reprit-elle, s'il vous faut des garanties…
Et, sans achever la phrase, d'un geste large, elle indiquait les pièces voisines. Francis prêta les cinq louis. Zoé, dans les moments de répit, entrait pour préparer la toilette de madame. Bientôt elle dut l'habiller, tandis que le coiffeur attendait, voulant donner un dernier coup à la coiffure. Mais la sonnerie, continuellement, dérangeait la femme de chambre, qui laissait madame à moitié lacée, chaussée d'un pied seulement. Elle perdait la tête, malgré son expérience. Après avoir mis des hommes un peu partout, en utilisant les moindres coins, elle venait d'être obligée d'en caser jusqu'à trois et quatre ensemble, ce qui était contraire à tous ses principes. Tant pis s'ils se mangeaient, ça ferait de la place! Et Nana, bien verrouillée, à l'abri, se moquait d'eux, en disant qu'elle les entendait souffler. Ils devaient avoir une bonne tête, tous la langue pendante, comme des toutous assis en rond sur leur derrière. C'était son succès de la veille qui continuait, cette meute d'hommes l'avait suivie à la trace.
– Pourvu qu'ils ne cassent rien, murmura-t-elle.
Elle commençait à s'inquiéter, sous les haleines chaudes qui passaient par les fentes. Mais Zoé introduisit Labordette, et la jeune femme eut un cri de soulagement. Il voulait lui parler d'un compte qu'il avait réglé pour elle, à la justice de paix. Elle ne l'écoutait pas, répétant:
– Je vous emmène… Nous dînons ensemble… De là, vous m'accompagnez aux Variétés. Je n'entre en scène qu'à neuf heures et demi.
Ce bon Labordette, tombait-il à propos! Jamais il ne demandait rien, lui. Il n'était que l'ami des femmes, dont il bibelotait les petites affaires. Ainsi, en passant, il venait de congédier les créanciers, dans l'antichambre. D'ailleurs, ces braves gens ne voulaient pas être payés, au contraire; s'ils avaient insisté, c'était pour complimenter madame et lui faire en personne de nouvelles offres de service, après son grand succès de la veille.
– Filons, filons, disait Nana qui était habillée.
Justement, Zoé rentrait, criant:
– Madame, je renonce à ouvrir… Il y a une queue dans l'escalier.
Une queue dans l'escalier! Francis lui-même, malgré le flegme anglais qu'il affectait, se mit à rire, tout en rangeant les peignes. Nana, qui avait pris le bras de Labordette, le poussait dans la cuisine. Et elle se sauva, délivrée des hommes enfin, heureuse, sachant qu'on pouvait l'avoir seul avec soi, n'importe où, sans craindre des bêtises.
– Vous me ramènerez à ma porte, dit-elle pendant qu'ils descendaient l'escalier de service. Comme ça, je serai sûre… Imaginez-vous que je veux dormir toute une nuit, toute une nuit à moi. Une toquade, mon cher!
III
La comtesse Sabine, comme on avait pris l'habitude de nommer madame Muffat de Beuville, pour la distinguer de la mère du comte, morte l'année précédente, recevait tous les mardis, dans son hôtel de la rue Miromesnil, au coin de la rue de Penthièvre. C'était un vaste bâtiment carré, habité par les Muffat depuis plus de cent ans; sur la rue, la façade dormait, haute et noire, d'une mélancolie de couvent, avec d'immenses persiennes qui restaient presque toujours fermées; derrière, dans un bout de jardin humide, des arbres avaient poussé, cherchant le soleil, si longs et si grêles, qu'on en voyait les branches, par-dessus les ardoises.
Ce mardi, vers dix heures, il y avait à peine une douzaine de personnes dans le salon. Lorsqu'elle n'attendait que des intimes, la comtesse n'ouvrait ni le petit salon ni la salle à manger. On était plus entre soi, on causait près du feu. Le salon, d'ailleurs, était très grand, très haut; quatre fenêtres donnaient sur le jardin, dont on sentait l'humidité par cette pluvieuse soirée de la fin d'avril, malgré les fortes bûches qui brûlaient dans la cheminée. Jamais le soleil ne descendait là; le jour, une clarté verdâtre éclairait à peine la pièce; mais, le soir, quand les lampes et le lustre étaient allumés, elle n'était plus que grave, avec ses meubles Empire d'acajou massif, ses tentures et ses sièges de velours jaune, à larges dessins satinés. On entrait dans une dignité froide, dans des moeurs anciennes, un âge disparu exhalant une odeur de dévotion.
Cependant, en face du fauteuil où la mère du comte était morte, un fauteuil carré, au bois raidi et à l'étoffe dure, de l'autre côté de la cheminée, la comtesse Sabine se tenait sur une chaise profonde, dont la soie rouge capitonnée avait une mollesse d'édredon. C'était le seul meuble moderne, un coin de fantaisie introduit dans cette sévérité, et qui jurait.
– Alors, disait la jeune femme, nous aurons le shah de Perse…
On causait des princes qui viendraient à Paris pour l'Exposition.
Plusieurs dames faisaient un cercle devant la cheminée. Madame Du Joncquoy, dont le frère, un diplomate, avait rempli une mission en Orient, donnait des détails sur la cour de Nazar-Eddin.
– Est-ce que vous êtes souffrante, ma chère? demanda madame Chantereau, la femme d'un maître de forges, en voyant la comtesse prise d'un léger frisson, qui la pâlissait.
– Mais non, pas du tout, répondit celle-ci, souriante. J'ai eu un peu froid… Ce salon est si long à chauffer!
Et elle promenait son regard noir le long des murs, jusqu'aux hauteurs