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ne chercherais même pas à comprendre, répondis-je, tant cela me semble difficile! Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas non plus, dans cette nouvelle si admirable, c'est la façon dont elle est composée…

      – Quoi! oserais-tu dire qu'elle n'est pas bien composée?.. Ton âge a toutes les audaces!

      – Je ne veux pas dire qu'elle est mal composée. Je voudrais savoir pour quelle raison Edgar Poë a choisi cette manière de composition, au lieu de l'autre, qui aurait été, il me semble, encore plus émouvante.

      – Tu m'étonnes… Quelle autre? Voyons, dis ton affaire.

      – Pourquoi la découverte du trésor est-elle réalisée avant l'explication du parchemin mystérieux qui en indique la place? Il était plus naturel de suivre William Legrand dans les émotions du déchiffrement, les recherches à travers l'île et enfin les péripéties de la découverte, – que l'erreur du nègre, qui confond l'œil gauche de la tête de mort avec l'œil droit, suffit à dramatiser. – Edgar Poë prend le sujet à rebours, et c'est seulement après le dénouement, qu'il explique comment il a pu l'amener.

      – Ta remarque est judicieuse, dit mon père: on s'attend, en effet, après le départ de son ami, à ce que Legrand reprenne le parchemin, pour l'étudier dans la solitude. Cela tourne autrement et c'est très bien tout de même, peut-être mieux, puisque c'est plus imprévu. L'auteur, sans doute, n'a justement pas voulu faire comme un autre aurait fait; ou bien cette façon de procéder eût entraîné plus de développement que n'en comportait la dimension d'une nouvelle: la nouvelle est une forme parfaite, mais a ses exigences et demande même souvent le sacrifice du sujet, qui pourrait fournir tout un roman… Enfin je ne sais pas exactement quelle a été l'idée d'Edgar Poë; mais ce qui m'étonne, c'est qu'une gamine comme toi ait eu celle de faire une pareille observation. Cela me prouve, comme je te l'ai dit plusieurs fois, que tu as un sens littéraire très juste et que tu es très coupable de ne pas vouloir essayer d'écrire … quand ce ne serait que pour me faire plaisir!

      – Je t'assure que, devant un papier, il ne me vient aucune idée, je ne trouve rien du tout. Comme Balzac aurait fait dire à Mistigris:

      La critique est Thésée et l'art est Hippolyte!

      – Prends garde, justement, que le sens critique ne soit déjà trop développé chez toi et ne t'empêche d'achever un travail. Tu te jugeras toi-même, tout de suite, trop sévèrement, et, quand on commence, il ne faut pas se juger: on a besoin d'une grande naïveté, d'une confiance absolue en son génie, on doit se trouver superbe et triomphant, quitte à en rabattre plus tard.

      – J'en suis déjà à ce plus tard.

      – C'est très mal! Tu me forceras à t'enlever ce titre de: «Mon dernier espoir», que je t'avais donné… Mon dernier espoir sera trompé, comme tous les autres.

      – Non, non, père, ne me l'enlève pas! m'écriai-je en me jetant à son cou. J'ai peur de t'enlever, moi, des illusions… Mais je te promets d'essayer, dès que j'aurai trouvé une idée.

      – Eh bien, je te le laisse, jusqu'à nouvel ordre! me répondit-il en m'embrassant.

      Une après-midi, mon frère vint à Neuilly, avec son camarade Rodolfo, dans l'intention d'aller faire un tour en canot sur la Seine. Mon père était à Paris; ma mère cousait dans sa chambre et ne se dérangea pas pour les nouveaux venus.

      – Venez donc avec nous, disait Rodolfo; nous resterons à peine une heure, on ne saura même pas que vous êtes sorties.

      – Il vaudrait peut-être mieux demander la permission.

      – Jamais de la vie!.. Sur l'eau!.. On pousserait de beaux cris! s'écria Rodolfo.

      – Nous serons joliment grondées.

      – Vous manquez d'héroïsme, laissa tomber notre frère Toto, de son air flegmatique.

      – Tant pis, allons!..

      Et nous voilà descendant l'escalier, sournoisement, bien décidées maintenant à l'escapade.

      Au fond du jardin du propriétaire, une petite porte s'ouvrait sur une allée ombreuse, qui, en contournant plusieurs enclos, aboutissait aux berges de la rivière. Mais il fallut remonter jusqu'au pont de Neuilly pour louer un canot.

      Toto prit les rames, et Rodolfo se mit au gouvernail. Nous étions ravies de glisser le long de l'île verdoyante, qui partage la Seine en deux bras, et que nous n'avions pas encore vue de près. Elle apparaissait, entre les branches qui penchaient vers l'eau, toute fleurie, et soignée comme un beau parc.

      Le ciel était lourd, la rivière sombre, la menace d'un orage pesait; cela inquiétait notre plaisir, en aggravant nos remords: ce serait joli si nous recevions une averse!

      – Nous n'irons que jusque devant Saint-Cloud et nous reviendrons, disait Rodolfo.

      Mais, avant que nous ayons atteint Suresnes, le grain crève en une pluie drue et serrée… Rien pour nous protéger, pas une ombrelle, pas même un fichu. Nous rions tout de même, narguant la Providence, qui sans doute s'est dérangée pour nous punir.

      Toto était d'avis de virer de bord et de rentrer au plus vite; mais nous étions trop loin, trempés déjà, et l'orage n'en était qu'aux préliminaires. Rodolfo conseilla de gagner une petite auberge où il se rappelait avoir mangé des fritures de goujons et qui devait être assez proche.

      On enfonça les avirons plus profondément; la Seine se ridait et écumait sous une brusque rafale, qui ployait les arbres des rives et leur arrachait des feuilles. A travers les cinglements de l'averse, les éclairs et les coups de tonnerre, ce ne fut pas sans peine que le bateau, alourdi par l'eau qui tombait, vint enfin cogner contre l'embarcadère rustique de la maisonnette qui devait nous abriter.

      C'était complet!.. Nous étions dans un cabaret, attablées devant des consommations! – car il avait bien fallu demander quelque chose, – tandis qu'à la maison on nous cherchait certainement avec inquiétude et colère!.. Sans l'orage, on aurait pu ne pas s'apercevoir de notre absence: on aurait supposé que nous étions dans le jardin, c'était lui qui nous dénonçait et, de plus, nous bloquait dans cette auberge en augmentant nos appréhensions.

      Nos deux complices n'étaient pas non plus très rassurés. Mais, au retour, ils nous débarquèrent à la hauteur de notre jardin et continuèrent leur route, – pour ramener le canot; – ensuite ils fileraient tout droit sur Paris, où on les attendait…

      – Tâchez de vous tirer d'affaire! nous cria Toto en s'éloignant.

      – Mettez tout sur notre dos! ajouta Rodolfo…

      Des dos de fuyards, qui ne risquent rien!..

      Nous ne marchions pas très vite, en reprenant les sentiers couverts, entre les enclos.

      – Il faudra tout de même finir par arriver! disait ma sœur.

      Mais je m'attardais, surtout pour réfléchir: une idée m'était venue, je croyais tenir un moyen de parer le coup.

      – Ecoute, si tu as le courage de recevoir seule le premier choc, pour me laisser le temps de faire quelque chose de très difficile, avant l'arrivée de papa, nous sommes sauvées.

      – Qu'est-ce que c'est?

      – Tu verras… Mais je n'ai pas une minute à perdre, il est déjà tard.

      – Dépêchons-nous!

      Et c'est en courant que nous faisons le reste du chemin. Moi, je grimpe, quatre à quatre, jusqu'à l'atelier, où je m'enferme. J'entends des éclats de voix, des cris, des portes qui claquent… Mais je me bouche les oreilles, je serre fortement les paupières, pour m'absorber dans une méditation intense, et, bientôt, je me mets à écrire.

      C'est la première fois que je m'essaye à la littérature, et ce début est fait bien légèrement; pourtant je dois avoir mûri le sujet dans ma tête, car cela vient facilement, comme si je recopiais. Le morceau a pour titre: le Retour des Hirondelles. C'est une sorte de poème en prose, qui s'arrange tout seul en strophes;

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