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plus elle s’excitait; les enfants commencèrent à pleurer.

      La maman Greefs alors essaya de calmer la femme en lui disant que maman aussi était très malheureuse puisqu’elle avait laissé sa fille aînée à Louvain, et qu’il ne fallait pas parler comme cela si fort. La pauvre femme s’attendrit, demanda pardon à maman de la peine qu’elle lui avait faite et voulut aider à faire manger les enfants.

      On ouvrit les paquets et nous commencions à manger quand le train s’arrêta et un employé cria que tout le monde devait descendre, car il n’allait pas plus loin. Nous étions à Tervueren.

      Maman ne dit pas un mot. Elle prit nos paquets et descendit avec nous deux. Puis elle aida la femme Greefs et ses enfants; elle était pâle, mais calme, comme si tout cela était naturel. Moi, je tremblais, mais je fis comme maman en voyant pleurer Barbe.

      Un officier belge nous dit que les Allemands avaient passé la Meuse entre Liége et Namur et qu’ils avaient atteint Dinant. Toutes les populations se réfugiaient à Bruxelles, et c’était pour cette raison que les trains étaient encombrés.

      Enfin, on nous a mises dans un autre train et, au bout de deux heures, nous sommes entrées à Bruxelles.

      A l’arrivée, un officier, un capitaine d’infanterie, interrogeait tous les voyageurs. C’était un grand encombrement autour de lui; il y avait des femmes, des enfants, des paquets et même des animaux, car j’ai vu une femme qui tenait un chat dans ses bras.

      Tout le monde parlait à la fois.

      Je voyais bien que maman, elle, ne se pressait pas; elle me dit qu’elle voulait avoir des nouvelles de Louvain. Quand elle put enfin parler, l’officier lui demanda, en nous regardant, si elle avait laissé du monde à Louvain et, sur sa réponse affirmative, il dit:

      «Non, madame, nous n’avons rien appris de grave, mais je sais qu’on se bat à Tirlemont.»

      Il conseilla ensuite à maman de ne pas s’arrêter à Bruxelles, mais de continuer son voyage, s’il y avait un train, jusqu’à Malines ou même Anvers.

      Nous nous sommes donc assises sur un banc et nous avons mangé du pain et du chocolat qui étaient dans nos paquets.

      Barbe naturellement voulut donner à goûter à sa fille Francine; un des garçons de Mme Greefs, qui est très taquin, a commencé à se moquer de Barbe en assurant qu’une poupée ne pouvait pas manger, et qu’il n’y avait qu’un moyen de s’en amuser, c’était de lui ouvrir le ventre.

      Alors Barbe lui a donné un coup de pied, le garçon a commencé par rire; mais, voyant que la dispute allait devenir sérieuse, je pris la main de Barbe en la suppliant d’être sage et tranquille. Comme il continuait à rire et à se moquer de nous, je lui dis qu’il n’avait pas de cœur, qu’il ne ressemblait à aucun petit garçon belge et qu’il fallait laisser ces manières aux enfants allemands.

      «Oh! vous êtes toutes les deux des petites bêtes qui ne comprenez rien, me répondit-il, je voulais rire et vous vous fâchez. Eh bien! je ne vous parlerai plus et vous pouvez donner à manger tant que vous voudrez à votre poupée de porcelaine.»

      J’ai bien vu qu’il était vexé; aussi après un petit moment je lui ai offert un morceau de chocolat qu’il a mangé avec plaisir après m’avoir dit simplement merci.

      Après deux heures d’attente on nous a poussées précipitamment dans un train, nous, les paquets et la femme Greefs; Barbe tenait toujours sa poupée, qu’elle n’avait pas lâchée une minute.

      Enfin nous sommes arrivées à Malines; il était très tard, Barbe dormait et commençait à pleurer; quant aux bébés Greefs, c’était affreux: maman en tenait deux dans ses bras, et elle m’en avait confié un, Louis, qui voulait à toute force monter sur mes genoux; alors Barbe essayait de le griffer, et du reste je ne pouvais pas la prendre, je suis trop petite encore. Maman, qui avait aussi beaucoup de peine à maintenir la paix sur elle, me regarda et je vis dans ses yeux une expression si triste et si bonne que je me souvins tout à coup d’un mot de Madeleine en parlant de maman: «Les yeux bon bleu» de maman, et sans que je puisse me retenir je me mis à pleurer; mais pour que maman ne me vît pas, je fis semblant de ramasser la poupée de Barbe.

      A Malines la gare était remplie de monde, toutes les femmes étaient assises sur des paquets, leurs enfants autour d’elles.

      C’était un brouhaha épouvantable. Un soldat qui gardait la voie nous dit que les Allemands avaient bombardé Tirlemont et que tous ces gens-là couraient se réfugier à Hereullich, à Anvers et à Bruxelles.

      Une femme nous raconta qu’elle venait de Gheel et qu’elle y avait vu l’arrivée des Allemands: c’était horrible; ils ont commencé par démolir les fils télégraphiques; le revolver au poing ils ont arrêté un train et forcé tous les voyageurs à descendre; et comme un gendarme voulait préserver quelques enfants il a été fait prisonnier. Et puis après ils ont ordonné, oui, ordonné au bourgmestre de faire enlever notre drapeau qui volait au-dessus de l’église, sous peine d’être fusillé – oui, fusillé – et comme dans une des rues un petit garçon a fait un pied de nez à un des Boches – la femme a bien dit «Boches», – ils ont saisi sa maman et lui ont donné de grands coups avec la crosse de leur fusil.

      «Oui, continua cette femme, j’ai vu ces choses, je me suis sauvée avec mes deux petits, et je ne sais plus où est mon mari, qui se bat depuis le 1e août.»

      Maman demanda si la femme frappée par les Allemands était partie aussi.

      «Eh! je ne sais pas, je me suis sauvée à travers champs avec mes petits; voyez, je n’ai rien sur moi, je ne possède plus rien que mes enfants. Ah! j’en ai vu encore d’autres! Et demain ils seront à Bruxelles et après-demain à Anvers.»

      Le soldat qui avait écouté le récit de cette femme s’approcha et lui dit:

      «Allons, calmez-vous et taisez-vous; allez manger quelque chose.

      – Non, je ne veux rien prendre, je veux mourir…»

      Barbe, qui était devant elle et qui la regardait avec ses grands yeux, lui dit:

      «Eh bien, madame, nous allons donner vos enfants à maman et ils mangeront de notre bonne confiture.»

      La femme parut stupéfaite et éclata en sanglots en disant que Barbe était un petit ange et qu’elle voulait bien manger puisque ce petit ange le lui disait.

      Maman a voulu aller dans la ville afin de prendre un bon repas dans un restaurant; elle dit à cette femme de nous suivre, et, nous tenant la main à toutes deux, elle nous a menées vers la rue d’Egmond. Nous avions laissé nos paquets à la femme Greefs, qui ne voulait pas sortir de la gare avec tous ses enfants.

      Nous sommes entrées dans un petit restaurant appelé «Au bon Wallon»: il n’y avait que des femmes pour servir, et un homme assez gros était assis devant une table. Il parla à maman et dit que la Reine et ses enfants, le gouvernement avaient quitté Bruxelles pour Anvers; mais que personne ne s’en inquiétait, que les cafés du boulevard d’Anspach étaient aussi pleins et que les Bruxellois se promenaient comme à l’ordinaire.

      Nous avons couché à l’hôtel du duc de Brabant où maman a pu trouver une chambre.

      Le lendemain qui était un dimanche, maman nous dit qu’elle voulait aller entendre le cardinal Mercier à Notre-Dame. Elle nous habilla le mieux possible et Barbe se mit à pleurer quand maman lui dit qu’elle ne voulait pas qu’elle prît sa poupée avec elle.

      Quand nous sommes arrivées sur la place, devant Notre-Dame, il y avait une foule énorme, mais personne ne se bousculait et on laissait les enfants se placer au premier rang. Je m’étais mise à côté de Barbe; il y avait un petit garçon qui se glissa entre nous et tout à coup Barbe poussa un cri: c’était le petit garçon qui l’avait pincée; il s’enfuit vite et alla un peu plus loin vers une autre petite fille à qui il voulait faire la même chose. Barbe le vit aussi et cria:

      «C’est un méchant garçon qui va pincer la petite fille.»

      Alors

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