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elle revint, Madeleine était toute pâle, et elle nous dit vivement:

      «Venez, il faut rentrer maintenant.»

      A la maison papa donna à Madeleine une carte du jeune artilleur qui avait emmené Phœbus; je la copie sur mon cahier.

Loncin, le 11 août.

      «Je vous écris ces quelques mots pour vous donner des nouvelles de votre chien Phœbus qui s’est très bien comporté dans les combats de mitrailleuses auxquels il a pris part. Je vous dirai même qu’il s’est distingué dans une lutte curieuse dont voici le récit. Nous étions en position pour faire avancer nos mitrailleuses sur un ordre que nous attendions. Nous avions beaucoup de peine à maîtriser nos chiens, car ceux-ci étaient fort excités par les cris des hommes qui se préparaient à faire une charge à la baïonnette et par les coups de mitrailleuses.

      «Tout à coup, nos chiens qui étaient dételés, bondirent en avant, nous ne pûmes les arrêter, et voilà nos toutous qui fondent sur les Allemands et veulent mordre leurs mollets! Ce fut une bagarre indescriptible et des cris effrayants poussés par les chiens, les Allemands et notre infanterie qui était ravie d’avoir d’aussi vaillants aides. Une bonne soupe et un morceau de sucre ont récompensé cet acte de courage.

      «Au revoir, Mademoiselle; à bientôt d’autres nouvelles de Phœbus.

«Louis Gersen.»

      Comme je finissais de copier cette lettre, maman est remontée dans sa chambre: elle pleurait, et Madeleine m’a dit que l’on avait de très mauvaises nouvelles de Liége et que les Allemands étaient à Tirlemont.

Louvain, dimanche 16 août.

      Oh! je ne sais comment raconter tous les événements qui se passent à Louvain depuis une semaine! J’ai enfin appris les mauvaises nouvelles qu’on ne voulait pas me dire: les Allemands ont fait sauter la ligne du chemin de fer entre Liége et Louvain.

      L’autre soir, papa, M. van Tieren et M. Velthem ont causé longuement, et ils étaient tellement absorbés qu’ils n’ont pas vu que j’étais là, assise dans le coin de la cheminée.

      «Oui, disait papa, les forts de Liége n’ont pas tenu suffisamment.

      – Pourquoi les Français ne sont-ils pas arrivés plus vite, répliqua M. Velthem.

      – Comment voulez-vous qu’ils aient atteint Liége en si peu de temps: la mobilisation des Allemands était faite bien avant celle des Français.»

      Qu’est-ce que la mobilisation? Aussitôt que j’ai pu, je l’ai demandé à Madeleine. C’est la marche de toute l’armée vers la frontière de son pays, lorsqu’il est attaqué. J’ai compris alors pourquoi papa traitait les Allemands de «sans paroles», puisqu’ils ont commencé avant les Français à se rendre vers leur frontière, et que pour arriver plus vite, ils voulaient traverser la Belgique; c’est tricher cela, et quand nous jouons aux barres avec nos petites amies, lorsqu’il y en a une qui part avant le signal, on la traite de tricheuse et on ne veut plus s’amuser avec elle.

      Mme Boot est venue ce matin, annonçant à maman qu’elle ne resterait pas à Louvain, qu’elle avait trop peur des Allemands; alors, maman lui a dit: «Mais, ma pauvre femme, ils ne viendront pas ici, et quand bien même, ils ne nous mangeront pas!

      – Pour ça non,» a-t-elle répliqué.

      Puis elle a dit un si vilain mot que maman n’était pas contente et qu’elle nous a renvoyées dans nos chambres. Nous avons été chez Madeleine qui aidait notre servante Hélène et qui tâchait de la consoler, parce qu’elle ne cessait de pleurer.

      «Il ne faut pas avoir peur ainsi; quand tout le monde est réuni, et qu’on ne s’abandonne pas les uns les autres, il n’y a aucun danger.

      De quel danger voulait-elle parler?

      Naturellement, le déjeuner n’était pas prêt à l’heure habituelle; papa n’était pas content, car il aime l’exactitude; alors, quand maman lui a dit: «Que veux-tu, mon pauvre ami, dans ce moment-ci, il faut excuser un retard», il a répondu:

      «Oui, oui, je comprends, mais il faut justement dans les moments difficiles que chacun fasse son devoir et même mieux que jamais, comme nos garçons le font, comme notre Roi le fait.»

      Moi, je savais que c’était maman qui avait fait le déjeuner et Madeleine nos chambres, parce qu’Hélène avait pleuré toute la matinée et qu’elle n’avait aucun courage.

      Ce jour-là, la femme Greefs, qui fait le ménage de Tantine, est venue prévenir maman que Tantine nous attendait comme à l’ordinaire, le lendemain, pour le déjeuner.

      Papa, qui l’a entendue parler, est sorti du magasin et s’est écrié: «Bien entendu, pourquoi pas?» Sa voix était très ferme, elle s’est adoucie subitement, tandis qu’il lui demandait:

      «Comment vont vos petits, madame Greefs?»

      Cette femme a huit enfants, nous les voyons très souvent; maman et Madeleine font toujours un tas d’affaires pour eux. Elle est très malheureuse, parce que son mari est mort l’année dernière.

      Quand elle a vu l’air gentil de papa, elle lui a demandé si c’était vrai que les Allemands allaient arriver à Louvain.

      «Non, non; on assure qu’ils ont coupé la ligne du chemin de fer entre Louvain et Tirlemont, mais nous sommes en bonne posture à Landen.

      – Allons, tant mieux! Mon Dieu! mon Dieu, que c’est donc terrible!..»

      Je crois qu’elle a prononcé pour les Allemands le même mot que la femme Boot.

      Dans l’après-midi, Madeleine est sortie en nous emmenant toutes deux; nous sommes allées sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Il y avait beaucoup de monde.

      Quelques dames dont les maris sont professeurs à l’Université ont serré la main de Madeleine, et elles ont causé, tandis que je disais bonjour à mes petits amis. Les garçons qui ont douze et quatorze ans déclaraient que les Allemands arrivaient à Louvain, et qu’ils l’avaient entendu dire dans l’Hôtel de Ville à un magistrat; ils étaient même à Tirlemont. Alors le fils Melken cria que ce n’était pas vrai, une dispute commençait, mais Berthe Diest, qui est très raisonnable, s’est fâchée en leur faisant comprendre que c’était très mal de se donner ainsi des démentis, qu’on ne devait plus se quereller quand on avait l’ennemi chez soi. A ce mot, les deux garçons se sont tendu la main, et je pensais que l’on devrait toujours agir ainsi, même quand on n’a pas l’ennemi chez soi.

      Papa est sorti de l’Hôtel de Ville avec M. Boonen; quand ils ont vu Madeleine et ces dames réunies, ils se sont approchés d’elles et leur ont dit qu’il y avait eu un engagement à Tirlemont, que les Belges se défendaient héroïquement, mais que c’était bien inquiétant.

      La nouvelle qu’annonçait papa fut vite connue dans la ville entière, car, au bout de quelques instants, on vit tout le monde s’aborder, se demander ce qu’il y avait à faire; quelques femmes en pleurs traversaient la ville en criant qu’il fallait fuir et quitter Louvain au plus tôt. Papa, qui nous tenait par la main, nous parla doucement.

      «Du calme, mes enfants, du calme, il ne faut pas avoir peur, il n’y a pas du tout de danger, les gens se montent la tête les uns les autres.» Et moi, je pensais que je n’avais pas peur du moment que j’étais avec papa et maman.

      En rentrant, papa me recommanda de surveiller ma petite sœur, car il avait à causer avec maman et Madeleine.

      Alors je me mis à jouer à la poupée pour amuser Barbe: je l’habillais de ses plus belles robes, mais j’aurais bien voulu savoir ce que disaient mes parents.

      Tout à coup, Madeleine est sortie de la chambre de maman: elle pleurait; elle nous saisit dans ses bras en nous appelant ses chéries, ses pauvres chéries…

      Et je lui demandais ce qu’elle avait, mais elle courut s’enfermer dans sa chambre.

18 août.

      Oh!

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