Скачать книгу

soufflé, mais sans crème parce que, a-t-elle dit, il ne faut pas trop de friandises lorsque les garçons se battent.

      Pendant le déjeuner, on parlait de la guerre et de Tirlemont que les Allemands avaient pris, mais on ne dit rien du départ de Louvain. Après, Tantine nous dit: «Allez au jardin toutes les deux». Et je suppliai Tantine de rester avec elle, mais elle ne voulut pas et maman me dit en m’embrassant: «Je t’appellerai dans un instant; montre que tu es une grande fille en soignant ta sœur, et une brave petite Belge en faisant ce qu’on te demande!»

      Naturellement je sortis et je montrai toutes les fleurs à Barbe en lui disant le nom de chacune d’elles. Et je pensais à ce moment que j’aimais beaucoup Tantine et son jardin plein de fleurs.

      Comme maman me l’avait promis, elle m’appela et, me prenant la main, elle me mena dans la salle où se tenait Tantine sur son grand fauteuil. Papa était debout devant la cheminée et Madeleine assise. Alors maman me parla:

      «Voici, ma chérie, ce que nous avons décidé. Nous allons quitter Louvain, moi, toi et ta petite sœur; papa ne veut pas abandonner sa maison et Madeleine restera pour le soigner, Tantine aussi reste à Louvain.»

      Je me mis à pleurer, j’avais tant de chagrin de quitter papa, Madeleine et Tantine.

      Tantine me prit dans ses bras et me dit:

      «Tu seras la petite sœur aînée, tu veilleras sur Barbe et tu consoleras ta maman. Sois une brave fille et espérons que la séparation ne sera pas longue…»

      Quand nous sommes rentrés à la maison, plusieurs personnes attendaient papa: Mme Melken entre autres, qui partait le soir pour Bruxelles. M. Boonen trouvait que toutes les femmes et les enfants devaient quitter Louvain. M. Van Tieren disait le contraire. Enfin c’étaient des discussions sans fin. La servante Hélène courait déjà faire ses paquets, car sa mère et ses sœurs s’éloignaient le soir même: maman la laissa aller, et M. Boonen s’écria: «Une de moins à Louvain!»

      Tantine a demandé à maman d’emmener avec elle la femme Greefs et ses huit enfants. Nous devons prendre à midi, demain, le train de Bruxelles. Nous faisons des paquets, personne ne pleure, mais nous avons bien du chagrin!

20 août, dans le train.

      Nous venons de quitter papa et Madeleine! Nous avons failli partir avant, car M. Van Tieren a eu de très mauvaises nouvelles de Tirlemont et de Gembloux. On dit même que la Reine et ses enfants sont à Anvers. Tous les gens fuient à l’approche des Allemands. Ils avancent avec rapidité, et ils pillent tout sur leur passage!

      Barbe voulait naturellement emporter Francine. Papa la vit tandis qu’elle la prenait dans ses bras et déclara qu’il ne fallait pas s’embarrasser d’un jouet. Voyant pleurer Barbe, il lui promit qu’à Bruxelles, elle en trouverait d’aussi belles et que, là, maman lui en achèterait une. Enfin papa allait prendre la poupée, pour la mettre je ne sais où, quand Madeleine lui dit: «Papa, je vais la fermer».

      Alors moi, j’eus l’idée de demander tout bas à Madeleine si elle ne voudrait pas me la donner; elle me regarda et me répondit: «Oui, prends-la, si tu veux».

      Avec la poupée, nous nous sommes assises, Barbe et moi, sur nos petites chaises, et je la consolai tout bas en assurant que je prendrais sa «fille», mais qu’il ne fallait pas en parler.

      Justement, il y avait à côté de moi un gros paquet qui contenait des robes et des châles que maman venait de terminer, j’y mis un ou deux vêtements de la poupée et puis j’allai dans la salle à manger où était notre panier à provisions et j’y glissai sous un gros morceau de pain «Francine», la fille de Barbe.

      Nous n’avons pas pris de malle, car on ne peut plus les transporter dans le chemin de fer. Mais nous avons mis le strict nécessaire, comme dit papa, dans de gros paquets. Nous avons seulement emballé nos robes ordinaires et peu de choses, car «cela ne sera pas long».

      Beaucoup de gens de Louvain, au lieu de prendre le chemin de fer, s’en vont à pied ou en charrette. Nous avons vu une foule de paysans qui arrivaient des villages voisins et même de Tirlemont et qui racontent un tas de choses avec l’air d’avoir très peur.

      Papa disait que ces gens effrayent tout le monde par des nouvelles peut-être fausses et qu’il fallait être calme et courageux.

      Pauvre papa! Il s’efforçait bien d’être courageux, lui, car je l’ai entendu hier soir. Je passai devant la porte de la chambre de maman, et il l’embrassait en disant: «Ma pauvre femme, mes pauvres enfants!» Je n’ai pas pu m’en empêcher, je suis entrée tout doucement, j’ai saisi sa main et je l’ai baisée. Surpris, il m’a pris dans ses bras et j’ai senti une larme sur ma joue.

      Pauvre papa, comme je serai toujours sage quand nous serons de nouveau tous réunis!

      Mais c’est le départ qui a été dur!

      Papa est venu avec Tantine et Madeleine à la gare. Tantine n’a pas versé une larme, elle nous tenait toutes les deux, Barbe et moi; Madeleine était avec maman. La gare était pleine de gens qui couraient affolés. Tout le monde voulait monter dans le train à la fois.

      M. Van Tieren, M. Velthem et M. Boonen, qui étaient là, aidaient les employés à faire le service, mais c’était très difficile.

      Tout à coup, j’entendis une voix derrière moi qui m’appelait: Mademoiselle Noémie, mademoiselle Noémie!

      Je me retournai et je vis Poppen, le concierge de l’Université.

      Il voulait dire adieu à maman et «aux petites demoiselles».

      Il veillerait bien sur M. Hollemechette, assura-t-il à maman, et sur Mlle Madeleine, et les prendrait dans l’Université si les Allemands venaient à Louvain.

      Maman lui serra la main, et il demanda la permission de m’embrasser.

      Papa nous fit monter dans un compartiment avec la femme Greefs et ses enfants. Nous avons donné des baisers à papa, à Madeleine et à Tantine: nous pleurions tous, sauf papa.

      Quand le train est parti, j’ai pris maman par le cou en la serrant très fort; je crois que je n’ai jamais eu tant de chagrin.

      Parmi les ruines

Malines, 23 août.

      JE suis bien fatiguée aujourd’hui, mais je veux tout de même écrire mon «journal» afin de n’oublier aucun des événements de notre existence depuis notre départ de Louvain.

      Pauvre Louvain! je ne peux pas m’empêcher de pleurer lorsque j’y pense, et j’ai bien du chagrin d’être séparée de papa et de Madeleine. Où sont-ils maintenant? Maman, je le vois bien, est dans une grande inquiétude; on raconte tant d’histoires sur les Allemands et sur les villes qu’ils pillent, paraît-il!

      Oh! j’ai quelquefois le cœur si serré, mais il faut que j’aie du courage pour ma petite sœur! Maman me l’a bien recommandé.

      Notre voyage entre Louvain et Bruxelles a été long et fatigant. Le train allait très lentement et il faisait très chaud. Nous avons un peu dormi, Barbe et moi. Je me suis réveillée en entendant une discussion entre la femme Greefs et une autre voyageuse qui était montée pendant mon sommeil.

      «Non, madame, disait la femme Greefs, les Allemands ne sont ni à Namur, ni à Dinant.

      – Oh! Comment? mais vous ne savez donc rien dans Louvain? Mais les Belges ont repoussé 5000 Allemands.

      – Où donc ce beau succès?

      – Mais à Diest et à Haelen.

      – Alors pourquoi qu’ILS arrivent?

      – Eh bien, parce qu’ils sont revenus encore plus nombreux. Ces Allemands, c’est comme les mouches: on les tue, on les chasse, ils reviennent toujours, et quand ils reviennent ils sont encore plus méchants qu’auparavant et ils font des atrocités! Oui, je vous le dis, des atrocités! J’en ai entendu, allez.»

      La femme Greefs a regardé maman et a vu qu’elle pâlissait et semblait très agitée;

Скачать книгу