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jésuite pour anéantir l'âme, le Cosaque pour garrotter le corps, l'inquisiteur pour appliquer la torture ou la mort aux mécréants rebelles, voilà l'idéal de ce parti qui n'a pas changé depuis quatorze siècles, tel est son désir, tel est son espoir dans sa réalité brutale. Un de nos amis, causant un jour avec un des plus fougueux champions du parti clérical, lui disait:

      «-Je vous crois fort peu patriote: cependant, avouez que vous ne verriez pas sans honte une nouvelle invasion étrangère occuper la France… votre pays, puisque, après tout, vous êtes Français?..

      «-Je ne suis pas plus Français qu'Anglais ou Allemand, – répondit l'ultramontain avec un éclat de rire sardonique, – je suis citoyen des États de l'Église; mon souverain est à Rome, seule capitale du monde catholique; quant à votre France, je verrais sans déplaisir les Cosaques chargés de la police en ce pays, ils n'entendent point le français, l'on ne pourrait les pervertir, comme l'on a malheureusement perverti notre armée.»

      Voilà donc le dernier mot du parti clérical et absolutiste: appeler de tous ses voeux l'invasion des Cosaques, de même qu'il y a quatorze siècles, il appelait, par la voix des évêques, l'invasion des Franks…

      Qui sait? quelque nouveau saint Remi rêve peut-être à cette heure, sous sa cagoule, le baptême de l'hérétique Nicolas de Russie dans la basilique de Notre-Dame de Paris, espérant dire à son tour à l'autocrate du Nord: Courbe la tête, fier Sicambre… te voici catholique, partageons-nous la France…»

      Nous allons donc tâcher, chers lecteurs, de vous montrer au vrai quel a été le berceau de la monarchie de droit divin et de la terrible puissance de l'Église catholique, apostolique et romaine.

      Eugène SUE,Représentant du Peuple.

      18 septembre 1850.

      LA GARDE DU POIGNARD.

      KARADEUK LE BAGAUDE ET RONAN LE VAGRE

(DE 529 A 615.)

      «… Je ne sais par quels prestiges diaboliquesil faisait tout cela, mais il séduisit ainsiune immense multitude de peuple, et il se mit àpiller et à dépouiller ceux qu'il trouvait sur sonchemin, et à distribuer leurs dépouilles à ceuxqui n'avaient rien.»

(Grégoire de Tours, Histoire des Franks, v. IV, l. X, p. 111.)

      CHAPITRE PREMIER

      Le chant des Vagres et des Bagaudes. – Ronan et sa troupe. – La villa épiscopale. – L'évêque Cautin. – Le comte Neroweg et l'ermite laboureur. – Prix d'un fratricide. – La belle évêchesse. – Le souterrain des Thermes. – Les flammes de l'enfer. – L'attaque. – Odille, la petite esclave. – Ronan le Vagre. – Le jugement. – Prenons aux seigneurs, donnons au pauvre monde. – Départ de la villa épiscopale.

      «Au diable les Franks! vive la Vagrerie et la vieille Gaule! c'est le cri de tout bon VagreA… Les Franks nous appellent Hommes errants, Loups, Têtes de loups!.. Soyons loups…

      »Mon père courait la Bagaudie, moi je cours la Vagrerie; mais tous deux à ce cri: – Au diable les Franks! et vive la vieille Gaule!..

      »Aëlian et Aman, BagaudesB en leur temps, comme nous Vagres en le nôtre, révoltés contre les Romains, comme nous contre les Franks… Aëlian et Aman, suppliciés il y a deux siècles et plus dans leur vieux château, près Paris, sont nos prophètes. Nous communions avec le vin, les trésors et les femmes des seigneurs, évêques ou riches Gaulois, ralliés à ces comtes, à ces ducs franks, entre qui leur roi Clovis, mort il y a quarante ans, chef de larrons couronné, a partagé notre vieille Gaule, sa conquête. Les Franks nous ont pillés, pillons!! incendiés, incendions!! ravagés, ravageons!! massacrés, massacrons!.. et vivons en joie… Loups! Têtes de loups! Hommes errants! Vagres, que nous sommes! Oui, vivons en loups, vivons en joie: l'été, sous laverie feuillée; l'hiver, dans les chaudes cavernes!

      »Mort aux oppresseurs! liberté aux esclaves! Prenons aux seigneurs! donnons au pauvre monde!..

      »Quoi! cent tonneaux de vin dans le cellier du maître? et l'eau du ruisseau pour l'esclave épuisé?

      »Quoi! cent manteaux dans le vestiaire? et des haillons pour l'esclave grelottant?

      »Qui donc a planté la vigne? récolté, foulé le vin? l'esclave… Qui donc doit boire le vin? l'esclave…

      »Qui donc a tondu les brebis? tissé la laine? ouvragé les manteaux? l'esclave…

      »Qui donc doit porter le manteau? l'esclave…

      »Debout, pauvres opprimés! debout! révoltez-vous! voici venir vos bons amis les Vagres!..

      »Six hommes unis sont plus forts que cent hommes divisés… Unissons-nous: chacun pour tous, tous pour chacun!! Au diable les Franks! Vive la Vagrerie et la vieille Gaule! c'est le cri de tout bon Vagre…»

      Qui chantait ainsi? Ronan le Vagre… où chantait-il ainsi? sur une route montueuse qui conduisait à la ville de Clermont, en Auvergne, cette mâle et belle Auvergne, terre des grands souvenirs: Bituit, qui donnait pour repas du matin à sa meute de chiens de guerre, les légions romaines; le chef des cent vallées! Vindex! et tant d'autres héros de la Gaule n'étaient-ils pas enfants de l'Auvergne? de la mâle et belle Auvergne, aujourd'hui la proie de Clotaire, le plus féroce des quatre fils du féroce Clovis, ce meurtrier chéri des évêques et de la sainte église de Rome?

      Au chant de Ronan le Vagre, d'autres voix répondaient en choeur. Ils étaient là par une douce nuit d'été; ils étaient là une trentaine de Vagres, gais compères, rudes compagnons, vêtus de toutes sortes de façons, au gré des vestiaires des seigneurs franks et des évêques; mais armés jusqu'aux dents, et portant à leur bonnet, en signe de ralliement, une branchette de chêne vert.

      Ils arrivent à un carrefour: une route à droite, une route à gauche… Ronan fait halte; une voix s'élève, la voix de Dent-de-Loup… Quel Titan! il a six pieds: le cercle d'une tonne ne lui servirait pas de ceinture.

      –Ronan, tu nous as dit: Frères, armez-vous, nous sommes armés… Prenez quelques torches de paille, voici nos torches… Suivez-moi, nous te suivons… Tu t'arrêtes, nous nous arrêtons…

      –Dent-de-Loup, je réfléchis… Donc, frères, répondez: Quoi vaut mieux, la femme d'un comte frank ou une évêchesse?

      –Une évêchesse sent l'eau bénite, l'évêque bénit… La femme d'un comte sent le vin, son mari s'enivre…

      –Dent-de-Loup, c'est le contraire: le prélat rusé boit le vin et laisse l'eau bénite au Frank stupide.

      –Ronan a raison.

      –Au diable l'eau bénite, et vive le vin!

      –Oui, vive le vin de Clermont! dont Luern, le grand chef d'Auvergne au temps jadisC, faisait remplir des fossés, grands comme des étangs, pour désaltérer les guerriers de sa tribu.

      –C'était une coupe digne de toi, Dent-de-Loup… Mais, frères, répondez donc… Quoi vaut mieux? une évêchesse ou la femme d'un comte?

      –L'évêchesse! l'évêchesse!

      –Non, la femme d'un comte!

      –Frères, pour vous accorder, nous les prendrons toutes deux…

      –Bien dit, Ronan…

      –L'un de ces chemins conduit au BURG (château) du comte Neroweg… l'autre, à la villa épiscopale de l'évêque Cautin.

      –Il faut enlever l'évêchesse et la comtesse… il faut piller le burg et la villa!

      –Par où commencer? Allons-nous chez le prélat? allons-nous chez le seigneur?.. L'évêque boit plus longtemps, il savoure en gourmet; le comte boit davantage, il avale en ivrogne…

      –Bien dit, Ronan…

      –Donc,

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