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Les mystères du peuple, Tome IV. Эжен Сю
Читать онлайн.Название Les mystères du peuple, Tome IV
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Эжен Сю
Жанр История
Издательство Public Domain
–Sigefrid, – dit le comte au leude en étouffant un dernier soupir de regret, – sois bon compagnon; va au burg; tu prendras en croupe la petite Odille la filandière, et tu la rapporteras ici.
Les Vagres sont arrivés non loin de la villa épiscopale.
–Ronan, les portes sont solides, les fenêtres élevées, les murailles épaisses… Comment entrer chez l'évêque? – dit le Veneur.
–Tu nous a promis de nous conduire au coeur de la maison… moi, j'irai droit au coeur de l'évêchesse.
–Frères, voyez-vous à quelques pas, au pied de la montagne, ce petit bâtiment entouré de colonnes?
–Nous le voyons… la nuit est claire.
–Ce bâtiment était autrefois une salle de bains d'eaux thermales, dont la source chaude venait de ces montagnes… De la villa où nous allons, on se rendait à ces thermes par un long souterrain. L'évêque a fait détourner la source, et le bâtiment il l'a changé en une chapelle consacrée au grand Saint-Loup… Or, mes bons Vagres, par le souterrain nous entrerons au coeur de la villa épiscopale sans trouer de murailles, sans briser portes ou fenêtres… Si j'ai promis, ai-je tenu?
–Comme toujours, Ronan… tu as promis, tu as tenu.
On entre dans les anciens thermes changés en chapelle; il y fait noir, très-noir… Une voix sort de l'ombre:
–C'est toi, Ronan?
–Moi et les miens… Marche, Simon, bon serviteur de la villa épiscopale… marche, Simon, nous te suivons…
–Il faut attendre.
–Pourquoi?
–Le comte Neroweg est encore chez l'évêque avec ses leudes.
–Tant mieux… un renard et un sanglier, la chasse sera belle!
–Le comte a dans la villa vingt-cinq leudes bien armés.
–Nous sommes trente… c'est quinze Vagres de trop pour une telle attaque… Marche, Simon, nous te suivons.
–Le passage n'est pas encore libre.
–Pas libre? ce passage souterrain qui conduit d'ici dans la salle du festin?..
–L'évêque a fait préparer ce soir un miracle pour effrayer le comte Frank et lui faire peur de l'enfer. Deux clercs ont apporté, sous la salle du festin, des bottes de paille, des fagots et du soufre… Ils doivent ensuite y mettre le feu en poussant des cris endiablés et souterrains… Après quoi, une des dalles de la mosaïque s'abaissera sous le sol, par un contrepoids, comme autrefois elle s'abaissait lorsqu'on voulait passer par le souterrain qui conduit à ces thermes.
–Et le Frank stupide, croyant voir béante une des bouches de l'enfer, fera au saint homme une donation jusqu'ici refusée?
–Tu as deviné, Ronan; il faut donc attendre que le miracle soit joué; le comte parti, la villa silencieuse, toi et les tiens, vous vous y introduirez.
–À moi l'évêchesse!
–À nous le coffre fort, les vases d'or et d'argent! à nous les sacs gonflés de monnaie… et largesse, largesse au pauvre monde qui n'a pas un denier!
–À nous le cellier, les outres pleines, les sacs de blé… à nous les jambons, les viandes fumées! Largesse, largesse au pauvre monde qui a faim!..
–À nous le vestiaire, les belles étoffes, les chauds vêtements, et largesse, largesse au pauvre monde qui a froid…
–Et puis à feu et à sac la villa épiscopale!
–Liberté aux esclaves!
–Nous emmenons de pauvres filles qui nous suivront gaiement!
–Et vive le mariage en Vagrerie, – dit Ronan, puis il chanta ainsi:
«Mon père était Bagaude, moi, je suis Vagre et né sous la verte feuillée, comme un oiseau de mai…
»Où est ma mère?
»Je n'en sais rien…
»Un Vagre n'a pas de femme: le poignard d'une main, la torche de l'autre, il va de burg en villa épiscopale enlever femmes ou concubines à leur comte ou à leur évêque, et emmène ces charmantes au fond des bois…
»Elles pleurent d'abord et rient ensuite… Le joyeux Vagre est amoureux, et dans ses bras robustes ces belles chéries oublient bientôt le cacochyme évêque ou le duc hébêté!..»
–Vive le mariage en Vagrerie!
–Tu es en belle humeur, Ronan…
–Nous allons mettre à sac la maison d'un évêque, vieux Simon!
–Tu seras pendu, brûlé, écartelé…
–Ni plus ni moins qu'Aman et Aëlian, nos prophètes, Bagaudes en leur temps comme nous Vagres en le nôtre… Mais le pauvre monde dit: Bon Aëlian! bon Aman!.. puisse-t-il dire un jour: Bon Ronan!.. je mourrai content, vieux Simon…
–Toujours vivre au fond des bois…
–La verdure est si gaie!
–Au fond des cavernes…
–Il y fait chaud l'hiver, frais l'été.
–Toujours l'oreille au guet, toujours par monts et par vallées… toujours errer sans feu ni lieu…
–Mais vivre toujours libres, vieux Simon… libres! libres! au lieu de vivre esclaves sous le fouet d'un maître frank ou d'un évêque! Viens avec nous, Simon…
–Je suis trop vieux!
–Ne hais-tu pas ton seigneur, le saint homme Cautin?
–Autrefois j'étais jeune, riche, heureux; les Franks ont envahi la Touraine, mon pays natal; ils ont égorgé ma femme après l'avoir violée; ils ont brisé sur les murailles la tête de ma petite fille; ils ont pillé ma maison; ils m'ont vendu comme esclave, et de maître en maître, je suis tombé entre les mains de Cautin… J'ai donc sujet d'exécrer les Franks; mais j'exècre, s'il se peut, davantage encore les évêques gaulois, qui nous tiennent, nous Gaulois, en esclavage!
–Qui va là? – s'écria Ronan, en voyant au dehors, et dans l'ombre, une forme humaine rampant à deux genoux, et s'approchant ainsi de la porte de la chapelle. – Qui va là?
–Moi, Félibien, esclave ecclésiastique de notre saint évêque.
–Pauvre homme, pourquoi marcher ainsi à genoux?
–C'est un voeu… Je viens ainsi de ma hutte à genoux… sur les cailloux du chemin pour prier Loup, le grand Saint-Loup, à qui est dédiée cette chapelle. Je viens ainsi de nuit afin d'être de retour dès l'aube à l'heure du labeur, car ma hutte est loin d'ici…
–Frère, pourquoi t'infliger ce supplice à toi-même? N'est-ce pas assez déjà de te lever avec le soleil, et le soir de te coucher sur ta paille, brisé de fatigue?
–Je viens à genoux prier Saint-Loup, le grand Saint-Loup, de demander au Seigneur de longs et fortunés jours pour notre saint évêque Cautin, de qui je suis esclave laboureur.
–Ton maître! un saint?.. ce fainéant qui t'écrase de travail, comme le meunier sous sa meule écrase le blé nourricier pour en tirer la farine… Quoi! demander de longs jours pour ton maître, c'est demander d'allonger la lanière du fouet des surveillants qui te rouent de coups si tu bronches.
–Bénis soient leurs coups! Plus on souffre ici-bas, plus l'on est heureux dans le paradis…
–Mais le blé que tu sèmes, ton évêque le mange; le vin que tu foules, il le boit; les habits que tu tisses, il s'en revêt… te voici hâve, affamé, presque nu sous tes haillons!..
–Je voudrais manger les excréments des porcs, boire leur urine, me vêtir d'épines, qui déchireraient ma peau jusqu'aux veines, mon bonheur en serait plus grand dans le paradis…
–Dis-moi,