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des villes une livre de boeuf, cheval ou morue en outre du quarteron de pain jugé insuffisant. 12 à 1,500 chevaux furent achetés par l'intendant pour la nourriture. N'ayant rien à donner aux troupes on les répandit dans les campagnes pour être nourries par les habitans, que l'on supposait encore les mieux pourvus dans la disette générale. A la fin de septembre le chevalier de Levis ayant reçu ordre de réduire la ration des garnisons, fut informé que les soldats murmuraient; il fit rassembler les grenadiers et les réprimanda sur l'insubordination qui se manifestait parmi les troupes, insubordination qui était, du reste, excitée, à ce qu'il paraît, par les habitans et les soldats de la colonie. Il leur dit que le roi les avait envoyés pour défendre cette contrée non seulement par les armes, mais encore en support tant toutes les privations que les circonstances demanderaient; qu'il fallait se regarder comme dans une ville assiégée privée de tout secours, que c'étaient aux grenadiers à donner l'exemple, et qu'il ferait punir toute marque de désobéissance avec la plus grande sévérité. Les murmures cessèrent pendant quelque temps. Mais dans le mois de décembre la ration ayant été de nouveau réduite, et les soldats obligés manger du cheval, la garnison de Montréal refusa d'en recevoir. M. de Levis les harangua de nouveau. Il leur ordonna de se conformer aux ordres, et leur dit que si après la distribution ils avaient quelque représentation à faire, il les écouterait volontiers; ils obéirent. Après avoir reçu leurs rations, les soldats motivèrent leurs plaintes avec leur franchise habituelle, disant pour conclusion que la chair de cheval formait une mauvaise nourriture, que toutes les privations retombaient sur eux, que les habitans ne se privaient de rien, et qu'ils ne pensaient pas que la disette fût aussi grande qu'on le disait.

      M. de Levis répondit à tous leurs griefs. Il observa, entre autres choses, qu'ils avaient été mal informés de l'état de la colonie; qu'il y avait long-temps que le peuple à Québec ne mangeait pas de pain; que tous les officiers de Québec et de Montréal n'en avaient qu'un quarteron par jour; qu'il y avait 2,000 Acadiens qui n'avaient pour toute nourriture que de la morue et du cheval; et qu'ils n'ignoraient pas que les troupes avaient mangé de ce dernier aliment au siège de Prague; enfin, que les généraux étaient toujours occupés du soin de leur procurer le plus de bien-être possible, etc. Ce discours parut satisfaire les mutins, qui se retirèrent dans leurs casernes et ne firent plus de représentation.

      Au commencement d'avril suivant, l'on fut obligé de réduire encore la ration des habitans de Québec, et de la fixer à 2 onces de pain et à 8 onces de lard et de morue par jour. On voyait des hommes tomber de défaillance dans les rues faute de nourriture.

      Tandis que le pays était ainsi en proie à une détresse que semblait aggraver encore l'incertitude de l'avenir, les chefs étaient divisés par des dissensions et des jalousies malheureuses. Un antagonisme sourd existait toujours entre les Canadiens et les Français, provenant en partie de la supériorité que l'homme de la métropole s'arroge sur l'homme de la colonie. Ce mal n'était pas propre seulement au Canada. Les annales des provinces anglaises de cette époque sont pleines des mêmes querelles occasionnées par la même cause. Le général Montcalm se plaignait avec amertume que l'on cherchait à le déprécier et à lui faire perdre de sa considération; que le gouverneur n'était occupé que du soin de diminuer la part que les troupes de terre et lui avaient au succès, etc. Chaque année, chaque victoire semblait accroître son mécontentement. Une inquiétude jalouse, une ambition non satisfaite tenaient son âme sans cesse ouverte à toutes les interprétations de la malveillance. Les efforts qu'il faisait pour flatter le soldat et captiver la popularité des Canadiens, au milieu desquels il prenait l'air «d'un tribun du peuple,» comme il le disait lui-même, tandis qu'il les dépréciait dans ses dépêches, porteraient cependant à croire qu'il nourrissait d'autres vues que celles de faire reconnaître ce que le pays devait à ses talens et au courage de ses troupes, car les dépêches du gouverneur rendaient à cet égard pleine justice et au général et aux soldats. Mais Montcalm et ses partisans cachaient soigneusement ces vues, s'ils en avaient de telles, se bornant, en attendant, à faire perdre à M. de Vaudreuil, par leurs propos et leurs allusions, la confiance du soldat, des habitans et des Indiens eux-mêmes, à qui il eut certainement été cher, s'ils avaient pu pénétrer les sentimens qui l'animaient pour eux, et que l'on trouve consignés partout dans sa correspondance officielle.

      Ces dissensions occupaient moins cependant les ministres à Paris, que les moyens de soulager les maux que l'on souffrait en Canada, et d'y avoir des forces capables de résister à toutes celles des Anglais, qui avaient ordonné dans l'hiver un accroissement de préparatifs beaucoup plus formidables encore que ceux des années précédentes. Les dépenses de la colonie pour 57 avaient de beaucoup dépassé les exercices; les lettres de change tirées sur le trésor en France, avaient monté à 12 millions 340 mille francs. La rumeur publique signalait des abus, des dilapidations considérables; mais le silence des chefs et des autres Officiers civils et militaires, les préoccupations du ministère, la vivacité de la guerre ne permettaient point de faire faire une investigation pour le présent. L'on se borna à des recommandations d'économie et de retranchement auxquelles les besoins croissans de la guerre ne permettaient pas de se conformer. On avait prié avec instance d'envoyer des vivres. Le nouveau ministre, M. de Moras, se hâta d'expédier 16,000 quintaux de farine et 12 tonneaux de blé, indépendamment des approvisionnemens que le munitionnaire Cadet avait demandés, savoir: 66,000 quintaux de farine. L'ordre fut transmis en même temps de tirer des vivres de l'Ohio, des Illinois et de la Louisiane. Les secours de France n'arrivèrent que fort tard malgré leur départ hâtif, et en petite quantité, la plupart des navires qui les portaient ayant été enlevés en mer par les ennemis et les corsaires. Ils ne commencèrent à paraître que vers la fin de mai. Ce retard avait très inquiété le gouverneur, qui, appréhendant quelque malheur, avait successivement expédié trois bâtimens en France depuis l'ouverture de la navigation pour presser l'envoi. Le 16 juin il n'y avait encore d'arrivés qu'une frégate et une vingtaine de navires avec 12,000 quarts de farine.

      Quant aux secours en troupes, il ne fut pas possible à la métropole d'en faire passer en Canada. Malgré sa bonne volonté, le maréchal de Belle-Isle, qui prit à cette époque le portefeuille de la guerre, ne put y envoyer que quelques mauvaises recrues pour compléter les bataillons à 40 hommes par compagnie, et encore n'en arriva-t-il que trois ou quatre cents dans le cours de l'été. La France avait éprouvé des vicissitudes dans la campagne de 57. Alternativement victorieuse et vaincue en Europe, elle avait été heureuse en Amérique et malheureuse dans les Indes orientales. Les efforts qu'elle avait faits pour obtenir la supériorité sur terre et sur mer, dirigés par l'esprit capricieux de madame Pompadour, qui, à tout moment, changeait les généraux et les ministres sans égard à leurs talens ni à leurs succès, avaient épuisé ses forces en détruisant leur harmonie et leur unité. Il fallut se résigner, pour la campagne suivante, à laisser prendre aux Anglais dans le Nouveau-Monde une supériorité numérique double de celle qu'elle avait déjà depuis le commencement de la guerre. Le 1 mai 1758, il n'y avait en Canada que 8 bataillons de troupes de ligne formant seulement 3,781 hommes, qui s'étaient recrutés dans le pays afin de remplir leurs vides. Les troupes de la marine et des colonies, maintenues de la même manière à leur chiffre de l'année précédente, comptaient 2,000 hommes, en tout moins de 6,000 réguliers pour défendre 500 lieues de frontière. Il était évident que les Canadiens devaient former la majorité d'une armée capable de s'opposer avec quelque chance de succès aux forces accablantes des ennemis.

      D'un autre côté, les échecs des Anglais en Amérique, compensés par leurs victoires dans les Indes, ne firent que les exciter à faire de plus grands efforts pour écraser par la force seule du nombre les héroïques défenseurs du Canada. Cela paraissait d'autant plus facile que leurs finances étaient dans l'état le plus florissant, et que leur supériorité sur l'océan n'était plus contestée. La prise d'Oswégo et de William-Henry en assurant la suprématie des lacs Ontario et St. – Sacrement aux Français, avait rendu la situation de leurs adversaires dans ce continent moins bonne après quatre années de lutte qu'elle était en 53. Le génie de lord Chatham, devenu enfin maître des conseils de la Grande-Bretagne, jugea que le moment était arrivé de trancher la question de rivalité entre les deux peuples dans le Nouveau-Monde, et d'y dominer seul, ne prévoyant point sans doute les grands événemens de 1775. Il proposa des mesures qui devaient finir par la destruction de la puisssance française

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