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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Ce n’est pas cela qui est à craindre, prononça-t-il, car le diable s’en mêle, et toujours, la première fois, qu’on joue, on gagne.
– Et c’est un malheur?..
– Oui, parce que ce premier gain est comme un irrésistible appât qui attire à la table de jeu… On y revient, on perd, on veut rattraper son argent… et c’est fini, on est joueur.
Pascal Férailleur avait aux lèvres le sourire de l’homme sûr de lui.
– Ma cervelle ne chavire pas si facilement, dit-il. J’ai pour la lester l’idée de mon nom et de ma fortune à faire…
– Je vous en prie, insista le vicomte, croyez-moi!.. Vous ne savez pas ce que c’est; les plus forts et les plus froids y ont été pris… ne jouez pas, partons.
Il avait haussé la voix comme s’il eût tenu à être entendu de deux invités, qui venaient de se rapprocher de la causeuse.
Ils l’entendirent.
– En croirai-je mes yeux et mes oreilles! s’écria l’un d’eux, qui était un homme d’un certain âge… Est-ce bien Fernand qui cherche à débaucher les amoureux de la dame de pique!..
M. de Coralth se retourna vivement.
– Oui, c’est moi! répondit-il. J’ai payé de mon patrimoine le droit de dire à un ami inexpérimenté: «Défiez-vous, ne faites pas comme moi!»
Les meilleurs conseils, donnés d’une certaine façon, ne manquent jamais de produire un effet diamétralement opposé à celui qu’ils semblent se proposer.
L’insistance de M. de Coralth, l’importance qu’il attachait à une niaiserie, devaient agacer l’homme le plus patient; son ton protecteur irrita décidément Pascal.
– Vous êtes libre, mon cher, lui dit-il, mais moi…
– Vous y tenez?.. interrompit le vicomte.
– Absolument.
– Soit, en ce cas. Vous n’êtes plus un enfant; je vous ai fait toutes les objections que réclame la prudence… jouons.
Ils s’approchèrent de la table; on leur fit place, et ils s’assirent, Pascal à la droite de M. Fernand de Coralth.
On jouait le baccarat tournant, un jeu d’une simplicité enfantine et terrible. Point d’art, nulle combinaison, science et calcul sont inutiles. Le hasard décide seul et décide avec une foudroyante rapidité.
Les amateurs affirment qu’avec beaucoup de sang-froid et une longue pratique, on peut, dans une certaine mesure, lutter contre les mauvaises chances. Peut-être ont-ils raison.
Ce qui est sûr, c’est que cela se joue avec deux, trois ou quatre jeux entiers, selon le nombre des joueurs.
Chacun a la main à son tour, risque ce que bon lui semble, et quand son enjeu est tenu, donne des cartes. Si on gagne, on est libre de poursuivre la veine ou de passer la main. Quand on perd, la main passe de droit au joueur suivant.
Il ne fallut à Pascal Férailleur qu’une minute pour comprendre la marche et le mécanisme du baccarat. Déjà la main arrivait à Fernand.
M. de Coralth «fit» cent francs, donna, perdit et passa les cartes à Pascal.
Hésitant tout d’abord, parce qu’il faut, comme on dit, tâter la fortune, le jeu, peu à peu, s’était animé. Plusieurs joueurs avaient d’assez jolis tas d’or devant eux, et la grosse artillerie – c’est-à-dire le billet de banque – commençait à donner.
Mais Pascal n’avait pas de fausse honte.
– Je «fais» un louis! dit-il.
La mesquinerie de la somme le fit remarquer, et de deux ou trois côtés on lui cria:
– Tenu!..
Il donna et gagna.
– Il y a deux louis… fit-il encore.
On les tint pareillement; il gagna, et la «portée,» – c’est-à-dire la série de cartes se succédant, – lui fut si favorable, qu’en moins de rien il eut devant lui plus de six cents francs.
– Passez la main, lui souffla Fernand.
Pascal suivit le conseil.
– Non que je tienne à mon gain, murmura-t-il à l’oreille de M. de Coralth, mais parce que je vais aussi avoir de quoi jouer jusqu’à la fin sans rien risquer.
Mais cette prévoyance devait être inutile.
La main lui étant revenue, le hasard le servit mieux encore que la première fois. Il partit de cent francs, et comme il doublait toujours, en six coups il se trouva gagner plus de 3,000 francs.
– Diable!.. Monsieur a de la chance!..
– Parbleu!.. il joue pour la première fois.
– C’est cela, aux innocents les mains pleines!
Ces observations qui se croisaient, il était impossible que Pascal ne les entendit pas. Le sang commençait à lui monter aux joues, et se sentant rougir, comme il arrive toujours, il rougissait davantage.
Son gain l’embarrassait, cela était visible, et il jouait en désespéré. Mais «la veine» s’acharnait après lui, ses «portées» étaient miraculeuses, et quoi qu’il fit, il gagnait toujours, quand même, obstinément.
A quatre heures du matin, il avait devant lui 35,000 francs.
Depuis longtemps déjà, on le regardait d’un air singulier. Des remarques aigres, à haute voix, on en était venu aux confidences de bouche à oreille.
– Connaissez-vous ce monsieur?
– Non!.. Il a été présenté par Coralth.
– C’est un avocat, à ce qu’on dit.
Et tous ces chuchotements, ces doutes, ces soupçons, ces questions grosses d’insinuations, ces réponses blessantes, formaient comme un murmure de malveillance qui bourdonnait aux oreilles de Pascal et l’étourdissait.
Véritablement il perdait toute contenance, lorsque Mme d’Argelès s’approcha vivement de la table de jeu.
– Voici trois fois, messieurs, dit-elle, qu’on nous avertit que le souper est servi… Lequel de vous m’offre son bras?..
Il y eut une certaine hésitation, mais un vieux monsieur qui perdait beaucoup, la leva:
– Oui, soupons!.. s’écria-t-il, cela changera la veine.
Cette considération fut décisive; le salon se vida comme par enchantement; il ne resta devant le tapis vert que Pascal, lequel ne savait que faire de tout l’or amassé devant lui.
Il réussit cependant à le distribuer tant bien que mal dans toutes ses poches, et il s’empressait de rejoindre dans la salle à manger les autres invités, quand Mme d’Argelès lui barra le passage.
– Je vous en prie, monsieur, lui dit-elle… un mot!..
Le visage de Mme d’Argelès gardait toujours son étrange immobilité; son éternel sourire voltigeait sur ses lèvres…
Et cependant son émotion était si manifeste que Pascal, en dépit de son trouble, la remarqua et s’en étonna.
– Je suis à vos ordres, madame, balbutia-t-il en s’inclinant.
Aussitôt elle lui prit le bras, et l’entraînant vers l’embrasure d’une fenêtre:
– Je ne suis pas connue de vous, monsieur, dit-elle très-bas et très-vite, et pourtant j’ai à vous demander, il faut que je vous demande un grand service.
– Parlez, madame.
Elle hésita, comme si elle eût cherché des termes pour traduire sa pensée; puis d’une voix brève elle reprit:
– Vous