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savez peu ce qui se passe dans le cœur des vrais amants! Une parole, un souris, un regard, la plus petite chose, un rien les contente, lorsque ce rien vient de la part de leur maîtresse. Ne me demandez donc plus quel fruit je prétends retirer de votre vue et de votre conversation; et n'est-ce pas beaucoup pour un amant que de voir et d'entretenir sa maîtresse? – Mais un amant en peut-il demeurer là? reprit la comtesse. Ne sait-on pas qu'ils ne sont jamais satisfaits; que, quand ils ont une chose, ils en veulent obtenir une autre? Au nom de Dieu, Sire, ne me mettez pas, et ne vous mettez pas vous-même à une si cruelle épreuve. – Ce que vous dites-là, dit le Roi, ne se voit que dans les passions ordinaires, et quand on aime des beautés communes; mais vous ne devez rien craindre de semblable; et quand vous le craindriez, et que je serois assez téméraire pour prétendre quelque chose au-delà de ce que je vous demande, n'êtes-vous pas toujours en droit de me la refuser, et de m'interdire même la grâce que vous m'aurez accordée, de vous voir et de vous parler de mon amour?»

      La comtesse trouvoit cette proposition assez raisonnable; mais cela n'empêchoit pas que l'exécution ne lui en parût difficile pour le Roi, et l'essai périlleux pour elle. Cependant elle n'osoit trop le témoigner, de peur que ce prince ne la soupçonnât de quelque foiblesse dont il pourroit tirer avantage. Elle voulut donc lui laisser croire qu'elle avoit assez de vertu pour se défendre de ses poursuites, quand même il les voudroit pousser trop loin; mais elle prit un autre tour pour détourner le Roi de ce dessein où il persistoit toujours. Elle dit à ce monarque que, bien qu'elle pût s'assurer de sa discrétion, et qu'elle ne craignît rien de sa propre vertu, elle avoit le monde à ménager; qu'on ne manqueroit pas de mal interpréter les visites d'un grand roi à une simple comtesse; que de quelque manière qu'il la vit, ou chez elle ou ailleurs, on ne manqueroit pas de le remarquer et de faire là-dessus des réflexions qui lui seroient désavantageuses; et qu'enfin le Roi, venant à bout de toutes les dames qu'il entreprenoit, s'il en falloit croire le bruit commun, elle se voyoit perdue de réputation, si le Roi persistoit dans son dessein. – «Laissez parler le monde, lui dit le Roi, croyez-vous vous mettre à couvert de la médisance, de quelque manière que vous viviez? Les mauvaises langues n'épargnent personne; la vertu même ne peut pas se garantir de leurs traits; ainsi ne ménageons point un monde qui nous ménage si peu; faisons seulement notre devoir et moquons-nous de tout le reste.»

      La comtesse, qui voyoit que le Roi lui rabattoit tous ses coups, lui opposa son dernier retranchement, et, reprenant les dernières paroles de ce prince: – «Je conviens, dit-elle, de ce que vous venez de dire, qu'en faisant son devoir on peut se moquer de tout. Mais le ferai-je mon devoir, en écoutant des discours qui blessent le lien conjugal? Une femme mariée peut-elle entendre une déclaration d'amour d'un autre que de son mari? Que direz-vous, Sire, là-dessus, ajouta-t-elle en souriant, si je vous prends pour mon casuiste, et pour le directeur de ma conscience? – Je vous dirai, dit le Roi, que vous avez l'esprit trop fort pour vous effaroucher de ce fantôme; que vous savez trop bien le monde, pour vous faire un crime d'une chose si innocente. Il faut laisser ces vaines terreurs, ajouta-t-il, aux plus petites bourgeoises; mais les dames comme vous, qui ont l'esprit épuré par l'air de la Cour, ne s'arrêtent pas à ces bagatelles. – Vous croyez bien pourtant, dit-elle, que le comte mon époux, qui a respiré toute sa vie ce même air, en jugeroit autrement si je le consultois là-dessus? – Je suis sûr, Madame, répliqua le Roi, qu'il en jugeroit comme moi, quoique peut-être il ne vous dît pas sa pensée, et la qualité de mari qui veut faire la cour à sa femme, lui feroit tenir un autre langage. – Mais enfin, dit la comtesse, quand le comte, mon époux, seroit un de ces maris commodes qui laissent faire à leurs femmes tout ce qu'elles veulent, sans s'en mettre en peine, ne dois-je compter pour rien la modestie de mon sexe, ma propre vertu, ma pudeur et les mouvements de ma conscience, qui répugnent à je ne sais quel commerce que vous demandez de moi, et qui ne peut aboutir à rien de bon? Encore une fois, Sire, je vous le demande pour dernière grâce, si vous avez quelque considération pour moi, demandez-moi des choses plus raisonnables. – Et que vous puis-je demander de plus raisonnable, dit alors le Roi, dans la triste situation où je me trouve? Je brûle d'un feu qui me dévore, j'aime sans espérance, je soupire, je meurs d'amour pour vous, et je ne vous demande que de vous voir et de vous parler; et vous trouvez que ce que je vous demande est déraisonnable? Peut-on vous demander moins? et la vertu la plus sévère s'en pourroit-elle offenser?

      La comtesse, qui vit que le Roi persistoit toujours dans le dessein de la voir, ne voulut pas lui répliquer davantage, de peur de l'aigrir, et, sans lui accorder sa demande, elle se contenta de cesser de lui contredire; mais comme les amants prennent avantage de tout, le Roi ne manqua pas d'expliquer en sa faveur le silence de la comtesse. C'est ainsi qu'ils se séparèrent; le Roi continua sa promenade avec ceux qui l'accompagnoient, et la comtesse reprit le chemin du château avec ses deux femmes.

      C'est une maxime certaine en fait d'amour que les femmes vont toujours plus loin qu'elles ne pensent, et les hommes au contraire se flattent d'avoir fait plus de chemin qu'ils n'ont fait en effet. Cela ne manqua pas d'arriver au Roi et à la comtesse, après leur dernier entretien. Ce monarque fut assez satisfait de sa maîtresse, et il ne jugea plus cette conquête aussi difficile qu'il avoit cru au commencement; au moins il ne la jugea pas impossible. La comtesse lui parut assez traitable, et il ne remarqua pas en elle cette même sévérité qui lui avoit fait tant de peur. Cependant cet amant se flattoit, et l'heure d'aimer de la comtesse n'étoit pas encore venue. Mais aussi cette vertueuse dame, qui n'y entendoit point de finesse, s'étoit plus avancée qu'elle ne croyoit, ce qui fut la cause de l'erreur du Roi. Ils reconnurent bientôt l'un et l'autre qu'ils s'étoient trompés, lui de croire qu'on le regardoit favorablement; elle, de s'imaginer qu'elle avoit soutenu jusques au bout sa première sévérité. Ce prince impatient, et par l'excès de son amour et par la facilité qu'il avoit trouvée dans toutes ses autres maîtresses, et parce qu'un roi se lasse bientôt d'attendre, chercha une nouvelle occasion de voir la comtesse, et de pousser plus loin les affaires.

      Comme les principaux de la Cour avoient un appartement dans le grand et magnifique palais de Fontainebleau, le comte de L… et la comtesse sa femme y avoient aussi le leur. Cela fournissoit au Roi la commodité de la voir, et fit naître l'occasion qu'il attendoit avec tant d'impatience. Un jour que ce prince vit la porte de l'appartement de la comtesse entr'ouverte, il eut la curiosité d'y regarder, et, ne voyant personne, il entra comme à la dérobée. Il ne se fut pas plus tôt approché d'un lit de repos qu'il y avoit dans cette chambre, qu'il vit la comtesse tout endormie. C'étoit dans les plus grandes chaleurs de l'été; et ses filles, voyant leur maîtresse qui reposoit, prirent ce temps pour s'écarter un petit moment. Cette charmante personne étoit étendue négligemment sur ce lit; elle étoit seule dans sa chambre, et on auroit dit que tout cela s'étoit fait de concert, pour donner le moyen au Roi de surprendre une place qu'il n'osoit attaquer ouvertement. Son cœur fut agité de mille différentes pensées; il craignoit et il désiroit tout à la fois. Il ne savoit s'il se contenteroit de regarder sa maîtresse qui dormoit si tranquillement. Il ne savoit s'il ne devoit lui dérober un baiser et profiter d'une occasion si favorable, qui peut-être ne reviendroit jamais; d'un autre côté, il craignoit de l'offenser, et que la comtesse venant à s'éveiller ne lui pardonnât jamais cet attentat, et lui défendît absolument de la voir.

      Il étoit dans cette cruelle incertitude, lorsque la gorge de cette belle comtesse venant à se découvrir par quelque mouvement qu'elle fit en dormant, acheva de le déterminer, et n'écoutant plus que l'excès de sa passion, il posa ses mains sur ces deux boules de neige, et les baisa trois ou quatre fois de sa bouche royale. La comtesse, qui sentit d'abord cet attouchement dans une partie si délicate, s'éveilla en sursaut et fit un grand cri; et voyant que c'étoit le Roi, et que ses filles s'en étoient allées, elle crut qu'on l'avoit trahie, et qu'on vouloit la prostituer à ce monarque. Cette pensée lui fit tant d'horreur, qu'elle ne put s'empêcher de le témoigner: – «Allez, lui dit-elle, monstre exécrable, ôtez-vous pour jamais de devant mes yeux, ou faites-moi promptement mourir, puisqu'en vous parlant ainsi, je suis criminelle de lèse-Majesté.»

      Le Roi, qui vit bien la faute qu'il avoit faite, voulut essayer de l'apaiser; mais elle ne lui donna pas le temps de parler, et, se débarrassant des bras du Roi, elle gagna d'abord la porte, et laissa cet amant plus mort que vif. Cependant le cri que la comtesse avoit fait avoit été ouï de plusieurs personnes, et particulièrement du comte de

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