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il n'y auroit pas d'autre conclusion à tirer de cette étude, ne seroit-ce pas déjà un résultat précieux que de pouvoir dire: le progrès de la morale a accompagné le progrès de l'instruction et le développement du bien-être général? N'est-ce rien que de pouvoir prouver, pièces en main, aux esprits chagrins, laudatores temporis acti, que nous valons mieux que nos ancêtres?

      Il nous reste un mot à ajouter. Nous désirons appeler particulièrement l'attention sur la table qui termine ce quatrième volume. Tous les noms cités dans l'ouvrage y figurent, et nous nous sommes appliqué à joindre toujours aux noms de seigneurie les noms patronymiques et les prénoms. Des difficultés matérielles ne nous ont pas permis de donner à ce travail toute la perfection que nous aurions désiré; cependant, nous espérons qu'il rendra quelques services même pour la lecture d'autres ouvrages que les petits romans historiques de cette collection.

Ch. – L. Livet.

      LE GRAND ALCANDRE FRUSTRÉ OU LES DERNIERS EFFORTS DE L'AMOUR ET DE LA VERTU HISTOIRE GALANTE

      AVERTISSEMENT

      On ne dira pas de cette histoire ce qu'on a dit de plusieurs autres: c'est toujours la même viande diversement assaisonnée. Le seul titre fait voir d'abord que c'est une pièce nouvelle. Le grand Alcandre n'a point eu jusques ici de maîtresse qui ne se soit rendue, s'il faut ainsi dire, après la première sommation; au lieu que cette illustre comtesse, dont on fait ici l'histoire, se défend avec une vertu tout-à-fait héroïque, se tire adroitement de tous les piéges que l'Amour lui tend, et, en étouffant une passion criminelle, elle gagne l'estime et l'admiration de celui qui la vouloit déshonorer. Il est bien juste qu'après avoir exposé aux yeux du public les fautes de celles qui ont fait honte à leur sexe, on lui fasse part de la vertu de cette Héroïne, qui en relève l'honneur, et que nous pouvons mettre au nombre des femmes fortes, puisqu'elle a triomphé de tout ce que l'Amour a de plus tendre, de plus fort, et de plus engageant. Tout ce qu'on peut dire de la vérité de cette histoire, c'est qu'ayant été trouvée parmi les papiers d'un homme de qualité1 après sa mort, on la donne telle qu'on nous l'a envoyée de Paris. Il auroit été à souhaiter que le nom de cette illustre femme y eût été couché tout du long; mais il n'y avoit que la lettre L…2 dans le manuscrit, où l'on n'a voulu rien changer.

      LE GRAND ALCANDRE FRUSTRÉ OU LES DERNIERS EFFORTS DE L'AMOUR ET DE LA VERTU HISTOIRE GALANTE

      Tout le monde sait que Louis XIV, étant un jour en belle humeur, dit à quelques-uns de ses courtisans, qu'il n'avoit trouvé dans toute sa Cour que deux femmes chastes, et qui fussent fidèles à leurs maris3. Comme les paroles des Rois sont regardées comme des oracles, personne n'osa répliquer, ni en demander davantage; chacun se regarda, mais les mariés baissèrent les yeux, craignant d'en apprendre plus qu'ils ne voudroient, et que leurs épouses ne fussent pas ces deux chastes tourterelles, qui avoient l'approbation de ce grand Monarque.

      Là-dessus, le comte de Lauzun4, qui n'y avoit point d'intérêt, parce qu'il n'étoit pas marié, prit la parole et dit au Roi: «Sire, vous avez été plus heureux que Salomon, d'avoir trouvé deux femmes chastes, puisque ce prince, tout sage qu'il étoit, n'en a pu trouver une seule.»

      Ces deux femmes, à ce qu'on a su depuis, étoient la Reine, et la comtesse de L…5, dont on va décrire les amours secrètes avec ce monarque. Il avoit trop d'intérêt à croire à la fidélité de la Reine, pour en douter tant soit peu, et véritablement c'étoit une princesse des plus sages, et des plus vertueuses de son siècle, et le Roi son époux ne faisoit que lui rendre la justice qui lui étoit due. Pour la comtesse, l'intérêt de son amour auroit voulu, tout au contraire, qu'il eût pu douter de sa fidélité pour le lien conjugal. Mais il n'avoit que trop de raisons de la croire ferme là-dessus, et, si on peut le dire ainsi, une invincible.

      Il y avoit longtemps que ce prince brûloit pour elle; mais il n'y avoit encore que ses yeux qui osassent le lui dire; il la regardoit incessamment d'un air tendre et passionné; mais on ne répondoit point à ses regards, et quoique la comtesse comprît assez ce que cela vouloit dire, elle fit toujours semblant de n'entendre pas ce langage mystérieux. Comme elle est naturellement modeste, les yeux du Roi, qui la rencontroient toujours, la faisoient quelquefois rougir, et cette rougeur, qui se répandoit sur ses joues, ne servoit qu'à relever l'éclat de sa beauté, et qu'à augmenter le feu de ce prince qui n'étoit déjà que trop amoureux. Ce monarque, qui étoit expérimenté dans l'art d'aimer, voyoit bien que cette rougeur, qu'il remarquoit sur le visage de sa maîtresse, ne lui présageoit rien de bon, et qu'elle étoit d'une autre espèce que celle que l'Amour peint lui-même dans un cœur enflammé, à l'approche de l'objet qu'il aime. Il voyoit, à travers ce voile éclatant, toutes les marques de la pudeur, de la sagesse, de la modestie et de la chasteté; mais il y remarquoit aussi une secrète indignation d'une vertu offensée, qui se voit attaquée par des regards criminels. Des présages si funestes à l'amour de ce grand Roi le faisoient trembler quelquefois, tout intrépide qu'il est. Enfin, ne pouvant plus renfermer un feu qui devenoit tous les jours plus violent, par le soin qu'il prenoit de le cacher, il résolut de se découvrir au duc de La Feuillade6, espérant par là trouver du soulagement, et d'en recevoir quelque conseil salutaire à son amour. – «Ne suis-je pas malheureux, dit-il un jour à ce duc, d'aimer sans oser le dire, mais d'aimer jusqu'à la fureur7? – Et qui vous empêche, Sire, de parler, lui dit ce fidèle favori? – Le respect, l'amour, la crainte de déplaire à l'objet aimé, lui dit alors ce monarque. – S'il n'y a que cela, lui dit le duc, Sire, parlez, et parlez bientôt, je vous réponds que vous serez écouté. Quelle est la dame qui ne s'estimât heureuse de donner des chaînes au plus grand monarque du monde, et qui ne se fît un plaisir de les soulager, et de les partager même? Avez-vous trouvé jusques ici quelque chose qui osât vous résister: villes, châteaux, forteresses, ennemis, tout se rend à vous, tout plie sous vos lois8, et vous craignez que le cœur d'une femme ose tenir contre un Roi toujours victorieux? – Ah! qu'il y a bien de la différence! dit alors le Roi. – Oui, sans doute il y en a, lui répliqua La Feuillade, et il n'est pas besoin ici de tant de machines; vous n'avez qu'à vous montrer, vous n'avez qu'à paroître, vous n'avez qu'à parler, vous n'avez qu'à dire j'aime, et l'on répondra d'abord9 à votre amour. Avouez-le, Sire, ajouta-t-il, si vous avez rencontré peu de villes qui résistent, vous avez encore moins trouvé de femmes cruelles. – Il est vrai, lui dit le Roi, que je n'ai pas sujet de me plaindre de ma mauvaise fortune, et, en amour aussi bien qu'en guerre, les bons succès ont répondu toujours à mes espérances. Mais j'ai entrepris une conquête qui me paroît impossible; cependant, je ne puis m'en désister, et si je n'en viens à bout, je vois bien qu'il y va du repos de ma vie, et peut-être de ma vie même.»

      Le duc entendant parler ainsi le Roi, fut touché de son état, et ce prince, qui l'avoit appelé pour lui faire confidence de son amour, lui nomma l'objet qui l'avoit enflammé. – «J'avoue, Sire, lui dit alors le duc de La Feuillade, que vous avez quelque sujet de vous défier du succès de votre entreprise; cette dame est extrêmement fière, et d'une vertu qui a quelque chose d'austère et de farouche; mais le temps et l'amour viennent enfin à bout de tout, principalement lorsque tout cela est soutenu par l'éclat d'une couronne, et d'une gloire comme la vôtre; et quand l'amour ne regarderoit pas à toutes ces choses, vous avez outre cela toutes les qualités du cœur et de l'esprit, et tout ce qu'il faut pour se faire aimer. – Je veux que cela soit, dit le Roi, j'ose me flatter que j'ai tout ce que tu dis là, mais je n'ose me flatter de toucher une insensible. – Mais vous n'avez encore rien tenté, reprit le duc, vous n'avez encore parlé que le langage des yeux; expliquez-vous d'une autre manière, et vous verrez comment on y répondra. – Je ne le vois déjà que trop, dit le Roi, et les yeux de cette cruelle, à qui les miens ont déjà parlé mille fois, ne m'ont répondu que par un silence froid, capable de glacer le cœur le plus enflammé, ou par des regards

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<p>1</p>

Le duc de La Feuillade (note de l'édit. de 1719). – Il était mort subitement dans la nuit du 18 au 19 septembre 1691, et non le 12 mai 1697, comme on l'a dit dans une récente édition de cette «histoire». – Voy. Dangeau, t. III, pp. 400-402.

<p>2</p>

Voy. la Préface, en tête de ce vol.

<p>3</p>

Voy. la Préface.

<p>4</p>

Voy. passim et à la table.

<p>5</p>

Voy. la Préface, en tête de ce vol.

<p>6</p>

Voy. t. II, pp. 74, 400, et à la table. – On connaît la fanatique adoration du duc de La Feuillade pour Louis XIV; quant à ses complaisances en fait d'amour, le Roi, qui avoit peu de sympathie pour lui, ne lui auroit pas fait l'honneur de les lui demander ou de les accepter.

<p>7</p>

Jusqu'à la folie.

<p>8</p>

Nous sommes en 1672, époque des dernières couches de la Reine, et jusque-là, en effet, les armes de Louis XIV n'avaient pas encore connu les revers qui devaient attrister la fin du règne. – Voy. plus loin, p. 31, note 16.

<p>9</p>

D'abord, immédiatement.