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pied desquels couloit un ruisseau, dont le murmure faisoit un bruit agréable. Cette situation fut cause qu'on perdit de vue tous les chasseurs, et qu'on n'entendit plus ce bruit qui accompagne ordinairement la chasse. Enfin il sembloit que Vénus et Diane s'étoient donné le mot pour faire venir en ce lieu nos deux amants.

      Toutes choses sembloient conspirer au bonheur du Roi, et il croyoit de toucher à ce moment heureux après lequel il avoit tant soupiré, lorsqu'il remarqua un changement considérable sur le visage de la comtesse. Cette pauvre dame blêmit, trembla, et fut saisie d'une sueur froide, comme si elle alloit rendre l'âme. Le Roi lui demanda si elle se trouvoit mal, et elle lui ayant répondu que non, il comprit d'abord quelle étoit la cause de ce changement. C'étoit comme une innocente colombe qui se voit déjà entre les griffes d'un vautour. Elle fit pourtant tout ce qu'elle put pour se remettre, pour ne donner pas à penser au Roi qu'elle se défioit de lui, et qu'elle ne se croyoit pas en sûreté. Elle fit donc un effort sur elle-même, et, après avoir loué la beauté du lieu, elle dit qu'elle étoit surprise de ne voir personne, et que, si Sa Majesté le trouvoit bon, ils monteroient sur une de ces collines, pour découvrir de quel côté pouvoient être les chasseurs. – «N'en soyez point en peine, Madame, lui dit le Roi, nous les trouverons assez; délassons-nous cependant, et puisque vous trouvez ce lieu agréable, nous ferons bien d'en considérer les beautés.»

      En disant cela, il descendit promptement de cheval, et voulut aider la comtesse pour en faire de même, à quoi elle s'opposa autant qu'elle put, disant que ce n'étoit point la peine, et qu'elle verroit plus commodément tous les lieux que le Roi vouloit lui faire voir, que si elle étoit obligée de marcher. – «Eh! bien, nous nous reposerons, et nous ferons reposer nos chevaux, dit le Roi.» Enfin il la pressa si fort de descendre de cheval, qu'elle ne put plus s'en défendre; le Roi la prit entre ses bras, et il ne pouvoit contenir sa joie, d'avoir en son pouvoir ce qu'il aimoit le plus dans le monde.

      Après avoir attaché lui-même les chevaux à un arbre, il prit la comtesse par la main, et la fit asseoir sur un gazon extrêmement vert, tel que les poètes nous le décrivent dans leurs fables, et qui sembloit n'avoir jamais été foulé par les hommes, tant il étoit beau et riant. – «Avouez, Madame, lui dit le Roi, que c'est un lieu bien charmant. – Je le trouve comme vous, répliqua la comtesse, mais il y a quelque chose de trop sombre et même d'affreux; cela vient sans doute de ce qu'il est si peu habité. – Et quelle habitation plus belle, peut-on lui souhaiter, dit alors le Roi, que celle de votre charmante personne? Il suffit que vous y êtes pour rendre ce lieu le plus beau qui soit dans l'univers; et pour moi, je renoncerois de bon cœur à toute la magnificence de ma cour pour y passer toute ma vie auprès de vous.»

      En disant cela, il prit une de ses belles mains qu'il serra passionnément, et qu'il baisa plusieurs fois avec une tendresse extrême. La comtesse n'eut pas la force de retirer sa main, soit que la crainte se fût emparée de son cœur, soit qu'aimant véritablement le Roi, elle ne crût pas lui devoir refuser cette petite faveur. Ce prince amoureux, qui n'avoit pas dessein d'en demeurer là, et qui vouloit pousser plus loin sa conquête, ne songea qu'à gagner toujours du terrain; il mit sa main sur la gorge de la comtesse, et essaya de lui prendre quelques baisers; mais elle le repoussa et lui dit d'un ton sévère: – «N'étoit-ce que pour cela que vous m'arrêtiez ici? Je vous prie, Sire, remontons à cheval, et tâchons de rejoindre notre compagnie. – Et où voulez-vous aller, Madame? lui dit le Roi. Nous ne savons pas la route qu'ils ont prise; au lieu d'aller où ils sont, nous prendrons peut-être un lieu opposé; le plus sûr est de les attendre ici, et nous les verrons bientôt paroître par quelque endroit. – Mais que dira-t-on de vous et de moi, lui dit la comtesse, quand on saura que nous avons été tous deux ensemble dans ce lieu désert, l'espace d'une heure? – Eh! il n'y a qu'un moment que nous y sommes, lui dit cet amant passionné; il paroît bien que vous ne vous plaisez guère avec moi. Et quand nous y serions deux heures entières, que craignez-vous? la réputation de votre vertu vous met à couvert de tout. Ne craignez rien, Madame, ne craignez rien de ce côté-là; donnons-nous entiers à l'amour; tout nous y convie; personne ne nous voit ici, et vous voyez un prince à vos pieds, prêt à expirer par la violence de sa passion, si vous n'avez pitié de ses maux. – Ce n'est pas pourtant ce que vous m'aviez promis, dit la comtesse, que vous n'attenteriez jamais rien contre mon devoir. – Ah! cruelle, lui dit le Roi, que vous connoissez peu les lois de l'amour? Est-ce à un esclave à tenir ses promesses? Je ne suis plus à moi, je suis tout à vous, ma chère comtesse; je me sens entraîné par une force irrésistible; je ne suis plus maître de mes mouvements; je ne puis que vous aimer, je ne puis que vous le dire, et je me sens mourir si vous ne prenez pitié d'un malheureux.»

      Le Roi accompagna ces paroles de plusieurs soupirs et de quelques larmes, qui attendrirent le cœur de la comtesse. Elle aimoit ce prince; mais elle ne pouvoit jamais se résoudre à lui abandonner ce qu'elle avoit de plus cher au monde. – «Si un amour réciproque vous peut contenter, lui dit cette sage comtesse, je vous ferai, Sire, une déclaration que je ne vous ai jamais faite, et que rien ne seroit capable de m'arracher, si elle n'étoit sincère; je vous aime, mon cher prince, car je puis bien vous nommer ainsi, avec toute l'ardeur et toute la tendresse dont une femme comme moi peut être capable; oui, je vous aime autant qu'on peut aimer; mais je ne puis renoncer pour vous à l'honneur, à la vertu, ni à aucune chose qui me puisse faire perdre votre estime.»

      Ces paroles de la comtesse ne firent qu'enflammer davantage le cœur du Roi. Il venoit d'entendre de la bouche de sa maîtresse, qu'il en étoit tendrement aimé; il n'est rien de si doux pour un amant passionné, et ce prince ne pouvoit pas contenir sa joie. – «Mais seroit-il bien vrai que vous m'aimassiez, dit-il à sa charmante comtesse, et que vous m'en donniez si peu de marques! Non, quoique vous en veuilliez dire, vous n'avez jamais senti les traits de l'amour. – Hélas! si je ne vous aimois, lui répondit-elle avec un air languissant, je ne vous souffrirois pas comme je vous souffre. – Eh! croyez-vous, Madame, lui dit le Roi, qu'un cœur qui vous aime se puisse contenter de si peu de chose? Ah! que vous aimez foiblement si vous en jugez ainsi!»

      Alors ce prince, devenu plus hardi par la déclaration que la comtesse venoit de lui faire, attacha sa bouche contre la sienne, et lui donna un baiser dont elle ne put jamais se défendre; elle se laissoit entraîner par un si doux charme; l'honneur ne battoit déjà que d'une aile; l'amour commençoit d'avoir le dessus, et le Roi, profitant d'un temps si précieux à l'amour, alloit se mettre en possession d'un bien qui lui étoit plus cher alors que sa couronne, lorsque la comtesse, revenant comme d'un profond assoupissement, et voyant qu'elle ne pouvoit plus résister au Roi, fit semblant de consentir à tous ses désirs, et le pria seulement de changer de place, disant qu'elle étoit incommodée dans cette assiette.

      Le Roi, qui voyoit qu'en procurant le plaisir de la comtesse, il ne feroit qu'augmenter le sien, consentit sans peine à tout ce qu'elle voulut. Ils changèrent d'abord de place, et la comtesse, prenant son temps, saisit l'épée du Roi, qu'elle tira du fourreau, et recula trois ou quatre pas en arrière. Le Roi qui crut qu'elle vouloit s'en servir contre lui, s'alla jeter à ses pieds, et lui dit: – «Madame, si vous demandez ma mort, me voici prêt à la recevoir de votre main. – Non, Sire, lui dit la comtesse, ce n'est pas votre mort que je demande; ma main ne vous fera jamais aucun mal, vous n'êtes point coupable. Mais c'est moi, c'est moi que je veux punir de la foiblesse où je suis tombée par mon malheur.»

      En disant cela, elle alloit tourner la pointe de l'épée contre son estomac, si le Roi ne l'eût empêchée. – «Qu'allez-vous faire, dit-il, trop vertueuse comtesse? vous n'avez rien à vous reprocher; eh! pourquoi voulez-vous vous punir d'un crime que vous n'avez point commis? – Il est vrai, dit-elle, mais c'est pour m'empêcher de le commettre.»

      Le Roi touché du triste état où il la voyoit, promit de ne la presser plus; et en effet elle étoit plus propre alors à inspirer la compassion que l'amour, et l'on voyoit dans ses yeux et sur son visage toutes les marques d'un véritable désespoir. De sorte que le Roi, qui l'aimoit plus que sa propre vie, et qui craignoit pour elle quelque chose de funeste, lui redemanda son épée, la fit remonter à cheval, et, après y être monté lui-même, ils sortirent de ce vallon, montèrent sur une des deux collines, et découvrirent de loin leurs chasseurs qui venoient de forcer un cerf. Ils étoient assez en peine de savoir où pouvoit être le Roi, et il n'y avoit que le duc de

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