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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin
Читать онлайн.Название Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Bussy Roger de Rabutin
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le Roi sortit quelque temps après, et il rencontra bientôt le duc de La Feuillade qui alloit trouver Sa Majesté pour lui rendre compte de sa commission. Il lui dit d'abord que les choses alloient comme il auroit pu le souhaiter; qu'il s'étoit assuré de ce domestique; que personne ne paroîtroit que lui dans le temps qu'il lui avoit marqué, et que le Roi pouvoit venir incognito, entrer dans la chambre du comte, et, quand il le trouveroit à propos, dans celle de la comtesse; que, pour le comte, ils devoient souper ensemble chez le prince de Marcillac24, et qu'ils avoient fait une partie de jeu, où il y auroit plusieurs dames. – «Et comme je lui ai demandé si la comtesse son épouse en seroit, il m'a répondu que non; que depuis sa maladie elle n'aimoit point à veiller, mais se couchoit toujours à dix heures. – Cela va le mieux du monde, dit le Roi; pour moi, je vais dire qu'on me laisse seul, et je me déguiserai si bien, quand il sera nuit, que je sortirai sans qu'on s'en aperçoive. Il n'y a que cent pas à faire pour être à l'appartement de la comtesse.
Toutes choses étant ainsi disposées, le Roi se prépara à cette grande expédition; il comptoit les heures et les minutes, et jamais jour ne lui a paru si long. Enfin, la nuit vint, cette nuit tant désirée, et qui est si favorable aux amants.
Quand les onze heures sonnèrent, qui étoit l'heure du signal, il sortit de son cabinet en robe de chambre avec un simple gentilhomme qui l'accompagnoit. Dès qu'il fut à la porte de l'appartement du comte, il dit à ce gentilhomme de l'attendre, et de ne dire à personne où il étoit, sous peine de la vie. Les courtisans étoient assez accoutumés à voir faire au Roi de semblables équipées, qui marche en cela sur les traces de son aïeul Henri le Grand. Le Roi ne paroît pas plus tôt, qu'il rencontre un homme qui, sans lui dire «qui va là?» le fait entrer dans la chambre du comte, comme si c'eût été son maître, et, sans s'informer d'autre chose, ferme la porte après lui. Le Roi ne fut pas plus tôt entré qu'il se reposa sur le lit du comte, et on auroit dit qu'il vouloit imiter en toutes choses le mari de la comtesse. Il est vrai qu'il ne s'amusa pas à dormir, mais il attendoit que le lièvre le fût, afin de tirer à coup sûr et qu'il pût le prendre au gîte. Quand il jugea que la comtesse pouvoit être endormie, il s'approcha tout doucement de son lit, et, laissant sa robe de chambre, il se glissa dans les draps du lit de sa maîtresse, sans qu'elle en sentît rien. Cet heureux amant, voyant qu'il avoit si bien réussi jusques-là, commença de prendre avec la comtesse toutes les privautés que prenoit le comte, dont il représentoit alors le personnage; il voulut faire en tout le mari; mais peut-être qu'il le voulut faire trop bien, comme dit La Fontaine, sur un sujet semblable25. Il n'eut pas plus tôt pris sa place qu'il reconnut d'abord que ce que la Montespan lui avoit dit de ces ulcères prétendus, n'étoit qu'une calomnie; il trouva un corps net et uni comme le cristal, et une peau la plus douce et la plus fine qu'il eût encore touchée. Après avoir reconnu tous les endroits de la place, et sentant que la comtesse étoit éveillée par le chatouillement que venoit de lui causer ce prétendu mari, il se mit en état de pousser l'affaire jusques au bout. La comtesse se tourna un peu de son côté, et, comme on ne s'amuse pas à parler dans ces occasions, et qu'il ne lui seroit jamais venu en pensée qu'autre que le comte la fût venu trouver dans son lit, elle ne rejeta point du tout ses premières caresses; mais, les recevant comme un doux fruit de leur mariage, elle y alloit répondre de son côté comme une bonne et fidèle épouse; mais il arriva une chose qui troubla les plaisirs qu'ils se préparoient de goûter. Comme elle avança un de ses bras pour embrasser celui qu'elle avoit pris jusques-là pour son mari, elle rencontra à l'endroit de ses reins une grosse verrue26 qu'elle n'avoit jamais trouvée sur le corps du comte, quoique sa main se fût promenée mille fois en cet endroit. Cela la surprit un peu, non pas qu'elle crût qu'un autre homme fût venu occuper sa place; mais cette nouvelle verrue lui fit rompre un silence qu'elle avoit gardé jusque-là. – «D'où vient, monsieur le comte, dit-elle, que vous avez là cette verrue que je n'avois pas remarquée? Parlez, dit-elle, vous ne me répondez point?» Ce silence parut suspect à la comtesse, et, voyant qu'on ne lui répondoit que par des embrassements, elle fit un grand effort pour se débarrasser de celui qui la tenoit; et, comme il la venoit rejoindre: – «Si tu ne me laisses, dit-elle, qui que tu sois, je t'arracherai les yeux, et je ferai venir mes gens.» Et, en disant cela, elle lui donna un coup d'ongle entre l'œil droit et la temple27, dont le Roi porta les marques qui parurent durant quelques jours, et dont peu de gens savoient la cause.
Quand il vit que la comtesse alloit faire du bruit et appeler du monde, il crut que le plus sûr étoit pour lui de se retirer et de sortir comme il étoit entré. Le même homme qui lui avoit ouvert la porte en entrant, la lui ouvrit quand il vit qu'il vouloit sortir; et il trouva son gentilhomme qui l'attendoit, et qui l'accompagna jusques à l'entrée de la chambre de la reine, que le Roi fut trouver au lit, et qui profita sans doute de ce que ce prince avoit destiné pour la comtesse. Cette dernière ne dormit guère le reste de la nuit. Elle étoit en peine comment elle devoit se gouverner en cette rencontre. Elle ne douta point que ce ne fût le Roi qui l'étoit venu trouver au lit, qui, n'ayant pu jusqu'alors satisfaire son amour, s'étoit servi de ce dernier stratagême. Son premier dessein fut d'abord d'appeler ses domestiques, de leur dire qu'un homme étoit entré dans sa chambre, qu'elle vouloit savoir absolument qui l'y avoit introduit, la chose n'ayant pu se faire sans leur participation, et que, dès que le coupable lui seroit connu, elle en vouloit faire un exemple. Un peu après elle considéra l'éclat que cela feroit, les conséquences malignes que quelques-uns en pourroient tirer pour ternir sa réputation, le chagrin, et peut-être les soupçons qu'une affaire si délicate causeroit à son mari, et l'affront que le Roi lui-même en alloit recevoir, quand la chose seroit divulguée; enfin, plusieurs autres considérations de cette nature la déterminèrent à laisser passer la chose, sans en parler à personne. Cette prudente dame savoit encore, que la réputation de celles de son sexe est extrêmement délicate, que le plus sûr pour elles est de conserver leur honneur et de se défendre contre tous ceux qui l'attaquent, sans en faire tant de bruit; que l'éclat est ce qui les perd dans l'esprit des gens, lors même qu'elles sont les plus innocentes, et qu'enfin n'ayant rien à se reprocher, elle ne craignoit les reproches de personne, puisque celui qui l'étoit allé trouver au lit s'en étoit retourné comme il étoit venu, et que ceux qui lui avoient prêté la main avoient pu juger, par son prompt retour et par le bruit qu'elle avoit fait, du peu de succès de son entreprise.
La comtesse donc, satisfaite de s'être bien défendue, ne voulut point prôner sa victoire. Qui sait encore si l'Amour ne se mêla pas là-dedans, et si la tendresse qu'elle ne pouvoit s'empêcher d'avoir pour le Roi, ne l'empêcha pas aussi de publier une chose dont elle pourroit se repentir un jour, n'étant pas assurée si elle n'auroit pas enfin pour ce prince des sentiments plus humains? et, quoiqu'elle n'appuyât pas beaucoup sur cette dernière considération, il est certain qu'elle y entra.
Le Roi, après cette honteuse retraite, perdit entièrement l'espérance de gagner jamais une telle dame; il résolut même de n'y penser plus; mais il ne savoit pas bien lui-même s'il seroit capable de tenir sa résolution. L'image de tant de beautés qui étoient répandues sur le corps de la comtesse, et dont ses yeux et même ses mains avoient été les témoins, lui revenoit toujours dans l'esprit. Il ne put s'empêcher de convoiter une chair si ferme et une peau si blanche et si délicate. – «Je vois bien, ajouta-t-il en lui-même, que la Montespan craignoit la touche d'un bijou si précieux, qu'elle vouloit me faire passer pour une happelourde28. Mais je n'ai que trop vu l'effet de sa jalousie, qui vouloit me dégoûter de la plus charmante beauté qui soit dans l'univers. Oui, je n'ai que trop vu que la comtesse a le plus beau corps du monde, et il vaudroit bien mieux pour mon repos avoir ajouté foi aux discours de la Montespan, me dégoûter de cette dame, et n'y penser jamais. Mais mon malheur a voulu que j'aie vu, et que j'aie touché moi-même des beautés qui m'ont charmé et dont je n'ai pu me réjouir.»
C'est ainsi que le grand Alcandre entretenoit ses pensées. Après avoir demeuré tout le reste de la nuit au lit de la
24
Le prince de Marcillac dont il s'agit ici est le même que nous avons rencontré dans le 1er volume de ce recueil, et qui est devenu duc de La Rochefoucauld en 1680, à la mort de son père, François VI, qui lui-même avait porté le nom de Marcillac jusqu'en 1650.
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Le Richelet de 1719 n'admet encore que
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