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on le voit parcourir les rues à travers des monceaux de cadavres infectés; il entre dans les maisons dont la puanteur est extrême; il y réconcilie les pécheurs couchés avec des morts sur le même lit, les console, les encourage et sacrifie tout à la douceur inexprimable de les voir mourir chrétiens. Les secours spirituels qu'il prodiguait aux malades étaient d'autant plus précieux qu'ils ne tardèrent pas à devenir rares par la mort d'un grand nombre de prêtres qui, dans l'exercice de leurs périlleuses fonctions, avaient trouvé sous ses yeux le martyre et la couronne de la charité… En même temps, il répand entre les mains des pauvres, tourmentés par la famine, tout ce qu'il a d'argent. Il se prive du nécessaire pour fournir à leurs besoins.

      Il se montre partout où le danger l'appelle;

      Partout où le fléau semble le plus affreux,

      Il vole, et ses secours sont au plus malheureux,

      a dit admirablement le poète24. Afin qu'aucun ne fût oublié, il réunit tous les indigents qui se présentent dans une vaste enceinte où, pendant plusieurs mois, chaque jour, il leur rend visite pour leur distribuer ou leur faire distribuer les secours dont ils ont besoin.

      Le fléau cependant continuant ses ravages, le pieux prélat, convaincu que de Dieu seul on pouvait obtenir la cessation d'une telle calamité, résolut de consacrer, par un vœu solennel sa personne et son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Ce fut dans ce but qu'il publia le Mandement dont nous avons donné plus haut un extrait, et il fixa au 1er novembre, jour de la Toussaint, la célébration de cette fête qui se fit avec les cérémonies les plus augustes. Dès le matin, le son des cloches, silencieuses depuis quatre mois, vint réjouir les Marseillais dont les cœurs se réveillèrent à la foi comme à l'espérance.

      Toutes les églises se trouvant fermées depuis longtemps, le prélat fit dresser un autel au bout du Cours. Il s'y rendit processionnellement à la tête de son clergé, marchant la tête et les pieds nus, la corde au cou et la croix entre les bras. Après avoir prononcé l'amende honorable, suivie d'une exhortation des plus pathétiques, souvent interrompue par les larmes et les sanglots des assistants, il prononça à voix haute, la formule de la consécration du diocèse au Sacré-Cœur, puis enfin célébra solennellement le Saint-Sacrifice. Le peuple, agenouillé sur la place et dans les rues voisines, s'unissait du fond du cœur à son évêque, et le rayonnement des visages au milieu du deuil témoignait de la confiance de tous dans ces invocations suprêmes. Cette espérance ne fut point trompée; à dater de ce jour, la contagion commença visiblement à décroître et Marseille sembla renaître. On avait craint que la réunion de tant de personnes sur un même point n'amenât une recrudescence du fléau, il n'en fut rien; la maladie avait perdu toute sa force et si quelque étincelle de la contagion parut se montrer encore, elle s'éteignit aussitôt.

      Pour récompenser le zèle du prélat, le Roi, dans l'année de 1746, le nomma à l'archevêché de Laon, la seconde pairie de France; mais Belsunce ne put se résigner à se séparer de ses ouailles qui lui étaient devenues plus chères que jamais et que désolait la nouvelle de son départ. Quelques années après, il refusa pareillement l'archevêché de Bordeaux, en déclarant qu'il voulait mourir au milieu de son troupeau, comme il fit en effet plus tard. Car, pendant une longue suite d'années, il continua d'édifier les pieux fidèles par l'exemple de ses vertus comme aussi de les éclairer, en les prémunissant contre les erreurs en vogue, jansénisme ou philosophisme, par ses instructions pastorales si remarquables et bien dignes de celui qu'on désignait partout sous le nom du saint et savant évêque de Marseille. Après Clément XIII qui l'avait décoré du pallium, Benoît XIII, dans un bref du 13 décembre 1751, lui adressait ses félicitations dans les termes suivants: «Nous vous regardons comme notre joie et notre couronne, et comme la gloire et le modèle des pasteurs de toutes les églises. Nous craignons même de diminuer plutôt que d'augmenter l'éclat de vos vertus pastorales en ajoutant de nouveaux éloges à ceux que vous avez mérités et que vous ont si justement donnés nos prédécesseurs. Nous sommes persuadé qu'il n'y a personne qui ne connaisse votre nom et qui ne le célèbre par de justes éloges.»

      Ce langage est la meilleure réponse qu'on puisse opposer aux assertions de certains biographes modernes, entre lesquels on s'étonne de trouver le rédacteur de la Biographie universelle, et qui ne sont que l'écho des jansénistes, «lesquels, dit l'Encyclopédie catholique, lui ont fait un crime d'être resté attaché aux saines doctrines de l'Église; mais ce n'est pas d'eux qu'il faut apprendre à juger Belsunce; c'est dans ses œuvres qu'il s'est peint, dans ses Instructions pastorales, qui toutes se distinguent par une piété douce et tendre, que ceux mêmes qui l'ont accusé d'intolérance sont forcés de reconnaître.» Entre ces éloquents écrits, on cite tout particulièrement le Traité de la bonne mort et les deux discours sur la Prédestination et sur la Grâce, qui, d'après l'abbé Jauffret, «placent leur auteur au rang de nos plus illustres docteurs.» Supérieure cependant, peut-être, me semble l'instruction sur l'Incrédulité, où je n'ai que l'embarras du choix entre les passages éloquents. Je me borne à deux courtes citations:

      «Ce n'est plus en secret, c'est ouvertement et avec une hardiesse étonnante que l'incrédulité se montre sans voile et que partout elle proclame impunément ses dogmes pernicieux. Peu contente de proposer furtivement et sans dessein quelques difficultés détachées et indépendantes les unes des autres, comme elle le faisait autrefois, elle forme aujourd'hui des systèmes pleins à la vérité d'absurdités, de contradictions, mais présentés sous les couleurs les plus capables de tromper et d'entraîner dans l'erreur les faibles et les ignorants, et de faire illusion à tous ceux dont les cœurs sont déjà séduits par leurs passions… Des cœurs déjà subjugés ou violemment sollicités par leurs passions désirent que les systèmes mis sous leurs yeux soient véritables, et plus ils le désirent plus aussi sont-ils portés à les admettre comme certains.»

      Plus loin nous lisons: «Parce qu'un homme a le tort de ne pas croire en Dieu, nous dit un fameux sceptique, faut-il l'injurier?» – Voilà sans doute bien de l'urbanité, bien de la charité, bien de la modération mais malheureusement il n'en fait paraître que pour les incrédules. Il est bien éloigné de garder les mêmes ménagements lorsqu'il parle de ceux qui, connaissant les dangers des passions dont il est le panégyriste, travaillent à les affaiblir et voudraient pouvoir les éteindre. Il s'abandonne à leur égard à toute la vivacité de son tempérament et à toute l'amertume de son faux zèle; il ne craint plus de manquer d'urbanité et de blesser la charité en leur attribuant le comble de la folie et les traitant de forcenés

      Ces pages ne semblent-elles pas écrites d'hier, et à l'adresse de certains journalistes, toujours prompts à crier contre l'intolérance, mais peu soucieux de prêcher d'exemple; car ils ne se font aucun scrupule, à l'occasion, et même sans occasion, d'attaquer, calomnier, injurier les catholiques, les prêtres, les évêques, et le Pape lui-même, le Pape surtout.

      Belsunce, lorsqu'il parlait avec cette vigueur apostolique, était déjà presque octogénaire et cette parole prophétique était en même temps un adieu. Après avoir joui longtemps d'une santé des plus robustes, le 4 juin 1755, il succombait à une atteinte de paralysie suivie d'apoplexie. Quoique privé de la parole, il conserva toute sa connaissance, et par ses regards et par des signes témoignait encore de sa résignation et de sa piété. Après avoir reçu les saintes onctions, il s'endormit du sommeil des justes. Est-il besoin de dire la solennité de ses funérailles et l'affluence d'un peuple immense accouru des points les plus éloignés du diocèse et qui par ses larmes attestait sa vénération et ses regrets? À voir ce deuil on eût dit autant de fils autour du cercueil du plus tendre des pères.

      II

      ROZE

      Roze (Nicolas, dit le chevalier), était né à Marseille en 1671, la même année que Belsunce, d'une honnête famille de négociants. Ses parents le destinaient à suivre la même carrière et, ses études terminées, il se rendit, en 1696, à Alicante, royaume de Valence, pour y prendre la direction d'une maison de commerce fondée par son frère aîné. Il ne trompa point la confiance de ce dernier et fit preuve d'autant de prudence que d'intelligence, quoique porté

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<p>24</p>

Millevoye. La Peste de Marseille (poème).