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«Ce n'est point aux malheureux sans propriétés, sans capital, vivant du travail de leurs mains, aux prolétaires qu'on doit imputer les incidents déplorables qui marquèrent les derniers moments de Bailly. Avancer une opinion si éloignée de la vérité, c'est s'imposer le devoir d'en prouver la réalité.»

      Et à l'appui de ces paroles il rapporte l'exclamation échappée à Bailly, après sa condamnation, suivant le dire de Lafayette: «Je meurs pour la séance du Jeu de Paume et non pour la funeste journée du Champ de Mars.» Mais comment admettre ces audaces de la réaction, en pleine terreur, quand pour satisfaire une haine posthume, elle s'exposait à tant de périls? Comment admettre pareille supposition malgré les invraisemblances, plutôt que ces égarements funestes, ces délires de la multitude trop facile à tromper quand on l'excite dans le sens de ses passions, quand elle est prise de la fièvre homicide en dépit de ses naturels et généreux instincts? N'est-il pas dans notre révolution trop d'exemples, hélas! de ces effroyables vertiges! Étaient-ils soldés ceux qui battaient des mains sur le passage de Charlotte Corday, conduite à l'échafaud, sur le passage de Marie Antoinette, de Madame Élisabeth, de Beauharnais, de Custines, d'André Chénier et de tant d'autres illustres victimes? Était-ce pour le salaire, qui fut si minime, que travaillaient les égorgeurs de septembre, les assassins des Carmes, etc., que le peuple, le vrai peuple d'ailleurs hautement renie et regarde comme des monstres?

      Maintenant, pour ne pas laisser le lecteur sous une impression trop douloureuse, en regard de ces lugubres pages, mettons-en une qui repose et console, «qui élève l'âme et remplisse le cœur de douces émotions.» Après la mort de son mari, Madame Bailly se trouva dans une position qui était plus que la gêne au point qu'elle fut heureuse de se voir inscrite au bureau de charité de son arrondissement, grâce aux sollicitations pressantes du géomètre Cousin, membre de l'Académie. Maintes fois on vit cet homme éminent traverser tout Paris, ayant sous le bras le pain, la viande et la chandelle destinés à la veuve d'un illustre confrère.

      Voici qui n'est pas moins touchant. Après le 18 brumaire, de Laplace fut nommé ministre de l'intérieur. Le soir même, 21 du mois, il demandait une pension de 2,000 francs pour Madame Bailly. Le premier consul l'accorda aussitôt, en ajoutant comme condition expresse que le premier trimestre serait payé d'avance et sur le champ. «Le 22, de bonne heure, une voiture s'arrête dans la rue de la Sourdière (où demeurait la veuve de Bailly); madame de Laplace en descend, portant à la main une bourse remplie d'or.

      »Elle s'élance dans l'escalier, pénètre en courant dans l'humble demeure, depuis plusieurs années témoin d'une douleur sans remède et d'une cruelle misère; Madame Bailly était à la fenêtre: «Ma chère amie, que faites-vous là de si grand matin? s'écrie la femme du ministre. – Madame, repartit la veuve, j'entendis hier les crieurs publics, et je vous attendais.10»

      Qu'ajouter à de telles paroles? il faut se taire et admirer.

      BEAUJON

      Beaujon (Nicolas), né à Bordeaux en 1718, successivement banquier de la cour, receveur-général des finances de la généralité de Rouen, conseiller d'État à brevet, avait acquis, dans ces différentes positions, une fortune considérable qu'il dépensait généreusement. C'est ainsi qu'au mois de juillet 1784, fut par lui fondé l'hospice qui porte son nom, mais dans un but fort différent du but actuel. En effet, cet établissement construit, d'après les ordres de Beaujon, par l'architecte Girardin et doté d'une rente annuelle de 25,000 livres, était destiné à douze garçons et douze filles orphelins et nés dans le faubourg. Ils y étaient nourris, vêtus, instruits depuis l'âge de six ans jusqu'à douze, époque à laquelle on leur donnait 400 livres pour l'apprentissage du métier qu'ils avaient choisi. Des sœurs de la Charité dirigeaient l'éducation des filles; celle des garçons était confiée aux frères de la doctrine chrétienne.

      Mais, lors de la révolution, l'État s'empara de l'établissement dont il changea la destination en faisant de l'asile un hôpital pour les malades. C'était méconnaître les intentions du fondateur, qui n'était plus là pour protester, mort pendant l'année 1786. N'ayant point d'enfants, par son testament, Beaujon voulut faire des heureux avec les trois millions dont se composait sa fortune qu'il divisa en un grand nombre de legs particuliers.

      Le célèbre banquier put ainsi trouver de précieuses jouissances dans ses immenses richesses dont pour lui-même il ne faisait que médiocrement usage. Dans les dernières années de sa vie surtout, son état d'infirmité habituelle ne lui permettait même plus la promenade, et une maladie chronique de l'estomac le condamnait au régime de vie le plus sévère. Il n'en recevait pas moins à sa table, largement servie, chaque jour quelques amis ou des artistes; mais pendant que les joyeux convives savouraient à l'envi les mets délicats, dégustaient les vins fins, les liqueurs et le café, l'amphytrion, un peu mélancolique sans doute, devait se borner à l'eau claire et à la panade, à moins qu'il ne préférât le laitage.

      Quelle amère dérision dans la possession même de ces trésors que lui prodiguait la fortune, si M. de Beaujon n'eut trouvé une noble compensation et une satisfaction délicieuse dans cette libéralité qui s'épanchait si largement en bienfaits dont plusieurs, comme on l'a vu, ont survécu au donateur et, après des siècles peut-être, feront bénir sa mémoire!

      BEETHOVEN (LOUIS VAN)

      Contrairement à ce qui arriva pour Mozart et pour beaucoup d'autres, l'instinct musical ne se révéla point chez Beethoven tout d'abord. Un de ses compagnons d'enfance, M. Baden, dont le témoignage positif infirme les récits de plusieurs biographes, raconte qu'il fallut user de violence pour lui faire commencer l'étude de la musique, et que, pendant les premiers temps, plus d'une fois il fut battu parce qu'il refusait de se mettre au piano. M. Baden d'ailleurs ajoute, qu'une fois ces premiers dégoûts surmontés, merveilleux furent les progrès du jeune Louis dans cet art pour lequel il se passionna bientôt et qui devait si fort l'absorber, témoin cette anecdote:

      Beethoven entre un jour chez un restaurateur pour dîner. Il prend la carte des mets du jour pour choisir ce qui lui convient, mais au même instant, une idée musicale se présente à sa pensée. Vite il saisit son crayon et retournant la carte, il écrit sous la dictée de son inspiration et couvre de notes la page blanche qu'il met ensuite dans sa poche. Alors revenu à lui et voyant le garçon s'approcher, il tire sa bourse et demande ce qu'il doit:

      «Vous ne devez rien, monsieur, puisque vous n'avez pas dîné.

      – Comment, je n'ai pas dîné! En êtes-vous bien sûr?

      – Très-sûr, monsieur, et mieux que moi vous devez le savoir.

      – Alors c'est différent, donnez-moi quelque chose.

      – Que désirez-vous?

      – Ce que vous voudrez.

      Mais n'anticipons point et revenons de quelques pas en arrière, car la jeunesse de l'illustre maître offre quelques particularités dignes d'intérêt. Beethoven (Louis) naquit à Bonn, sur le Rhin, le 10 décembre 1770, d'une famille originaire de Hollande, ce qui explique la particule Van qui précède le nom de l'illustre compositeur.

      Beethoven apprit de son père, dès l'âge de cinq ans, les premiers principes de la musique. Son maître de piano fut Vander Eden, organiste de la cour, qui de lui-même offrit ses conseils et, en véritable artiste, donna gratuitement ses leçons. Après sa mort arrivée en 1782, son successeur Neefe ne se montra pas moins bienveillant; il est vrai que l'enfant, attirant déjà l'attention publique par ses rares dispositions, lui était recommandé par l'électeur Maximilien d'Autriche. Neefe n'hésita pas à initier de suite son élève aux grandes conceptions de Bach et Haendel, et l'enthousiasme de l'enfant fut tel que, non content d'exécuter sur le piano ces admirables compositions, il voulut s'essayer à les imiter, tout ignorant qu'il fût des règles de l'harmonie, et composa plusieurs morceaux (sonates et chansons) où se trahit surtout son inexpérience et qu'il désavoua plus tard comme l'œuvre indigne d'un débutant.

      Vers l'année 1786 ou 1787, il fit un voyage à Vienne dans le seul but de voir Mozart, dont il admirait passionnément la musique. Après avoir lu la lettre d'introduction et de recommandation,

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<p>10</p>

François Arago. – Éloge de Bailly.