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comme par enchantement. Les soldats et les autres à l'envi se précipitent sur l'esplanade et le chevalier, profitant de cet élan, dirige si habilement leurs efforts que dans un temps assez court, tous les cadavres étaient enlevés et lancés dans les bastions, puis recouverts de chaux et de terre. Cela avait lieu, le 16 septembre 1720. Par une espèce de miracle, Roze qui semblait, comme Belsunce, couvert d'un bouclier céleste:

      Sous l'aile du Seigneur, le prélat vénérable

      Dans le commun fléau demeure invulnérable;

      Roze en fut quitte pour une légère indisposition; mais les pauvres forçats et les braves soldats, à l'exception de deux ou trois, au bout de quelques jours, avaient succombé, en rendant à la ville un immense, un inappréciable service. Le chevalier resta jusqu'à la fin intrépide, infatigable au poste du péril et ce fut seulement lorsque toute trace d'épidémie eut disparu, qu'il songea à prendre quelque repos et à se démettre de ses fonctions.

      «Comme on a pu le remarquer dans l'histoire de plusieurs illustres bienfaiteurs de l'humanité, dit M. Paul Autran25, le chevalier Roze avait si peu compté sur l'éclat de la renommée comme récompense de ses belles actions, qu'il ne songea nullement à exploiter à son profit la popularité qu'il s'était acquise. Il rentra dans l'obscurité. Quant à la récompense que son dévouement avait si bien méritée, il est vrai de dire qu'il ne semble pas qu'on ait rien fait de ce qu'on aurait dû faire en sa faveur après la cessation de la peste. Dans les actes de la famille, il ne porte que le titre modeste de capitaine d'infanterie, à la suite de la garnison de Marseille. Mais qu'importe! plus de richesses et d'honneur n'auraient rien ajouté à sa gloire.» Et là haut assurément, la récompense et des plus belles ne manqua point à ce héros, qui fut lui aussi un héros chrétien, car la religion seule peut exalter jusqu'à la sublime abnégation d'un tel dévouement.

      D'ailleurs Roze eut aussi, même ici-bas, une première et douce récompense. C'est à tort que des écrivains, Marmontel et Lacretelle entre autres, ont affirmé qu'il mourut dans l'indigence. Parti en 1722 de Marseille pour se rendre à Paris, d'après l'invitation de quelques amis, le chevalier dut s'arrêter au hameau de Gavotte, près de Septêmes, par suite d'un accident arrivé à sa voiture. Dans la maison qui lui donna l'hospitalité, se trouvait une jeune et aimable personne, Mlle Labasset qui, pleine d'admiration pour son dévouement, s'estima heureuse (quoiqu'il ne fût ni jeune ni riche) de lui offrir sa main et avec elle sa fortune assez considérable. Roze, tout désintéressé qu'il fût, en acceptant la première, ne put refuser la seconde. Le mariage se fit dans une chapelle dépendant de la paroisse de Pennes; et Roze, au lieu de continuer son voyage, revint à Marseille, où il vécut dans la retraite, content du bien qu'il pouvait faire et de la joie qu'il trouvait dans un paisible et charmant intérieur. Marmontel se trompe encore quand il dit que sa fille, à cause de sa pauvreté, se fit religieuse. Il mourut, sans laisser d'enfants, le 2 septembre 1733, à l'âge de soixante-deux ans, et nul doute qu'il ait reçu à son heure suprême la bénédiction de son évêque, qui devait lui survivre tant d'années encore. On peut affirmer pareillement sans crainte de se tromper que, malgré le silence qui depuis un temps s'était fait autour de sa gloire, la mort de Roze fut un deuil pour tous ses concitoyens et que la ville entière voulut assister à ses funérailles.

      BÉRANGER

      Peu d'hommes ont joui de leur vivant d'une pareille popularité, d'une telle renommée, mais qui ne devaient lui survivre que très diminuées, et cela fort justement d'ailleurs. – «Il a créé dans notre littérature, dit un judicieux critique, un genre qui n'existait pas avant lui, la chanson lyrique ou l'ode chantée. Son style est toujours (non pas, certes) pur, correct, élégant, son vers souvent inspiré. Lorsqu'il veut chanter les malheurs ou les gloires de la patrie, il élève et entraîne. Il sait aussi exprimer des sentiments plus tendres, et faire vibrer les fibres du cœur. Toutefois, même sous le rapport littéraire, il a été trop vanté. Comme chansonnier il manque de gaîté; son rire est amer et n'a ni l'abandon ni l'entrain de celui de Désaugiers, son émule. Comme poète lyrique, il manque de souffle; il a de l'inspiration, mais une inspiration qui dure peu et ne va guère au-delà de la première ou de la seconde strophe. Les épithètes oiseuses ou redondantes prennent trop souvent la place de la pensée; les chevilles même n'y sont pas rares. Les refrains seuls sont toujours heureux et viennent se graver d'eux-mêmes dans la mémoire. À tout prendre, Béranger est un poète, un vrai poète, mais qui doit plus encore à l'art et au travail qu'à la nature. Ses contemporains l'ont placé au premier rang, mais la postérité plus juste le fera descendre au second (voire même au troisième) qui seul lui appartient.»

      Ce qui est par dessus tout regrettable et déplorable, c'est que, dans les œuvres du chansonnier, se rencontrent, et nombreuses, des pièces licencieuses, irreligieuses, cyniquement impies, ou qui sont empreintes des passions politiques et des haines injustes de l'époque. Pourtant ce n'était point un sentiment violent qui les avait dictées à l'auteur, s'il est vrai qu'il ait répondu à des amis lui conseillant de retrancher ces chansons:

      «Je m'en garderais bien, ce sont celles-là qui servent de passe-port aux autres.»

      Cette parole, que rapporte la Biographie universelle de Feller, serait tellement blâmable et coupable qu'on incline à douter de son authenticité. Le biographe nous dit d'ailleurs: «Pendant les dernières années de sa vie, Béranger montra des sentiments meilleurs que ceux qu'il avait eus jusque-là; s'il n'était pas croyant encore, il parlait de la religion avec respect; il tenait à rappeler qu'il avait toujours été spiritualiste. Il avait conservé des relations avec sa sœur qui était religieuse, et depuis longtemps retirée dans un couvent où elle priait et expiait pour son frère; il s'était mis aussi en relation avec le curé de sa paroisse qu'il chargeait de distribuer ses aumônes; car, quoique peu riche, il était bienfaisant. Lorsque sa dernière heure approcha, le prêtre et la religion vinrent au chevet du malade et furent bien reçus; il sortit de sa bouche des paroles sympathiques, chrétiennes même, et l'on peut croire qu'un retour à Dieu plus complet et plus consolant aurait eu lieu si de malheureux amis (quels amis que ceux-là!) n'étaient intervenus pour l'empêcher.»

      Sa mort eut lieu à Paris, le 16 juillet 1857, à l'âge de 77 ans; il était né dans cette même ville le 19 août 1780 comme lui-même le dit dans la chanson intitulée le Tailleur et la Fée.

      Dans ce Paris plein d'or et de misère,

      En l'an du Christ mil sept cent quatre-vingt,

      Chez un tailleur, mon pauvre vieux grand-père,

      Moi, nouveau né, sachez ce qui m'advint:

      Rien ne prédit la gloire d'un Orphée

      À mon berceau qui n'était pas de fleurs;

      Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs,

      Me trouve un jour dans les bras d'une fée;

      Et cette fée, avec de gais refrains,

      Calmait le cri de mes premiers chagrins.

      Le bon vieillard lui dit, l'âme inquiète:

      «À cet enfant quel destin est promis?»

      Elle répond: «Vois-le, sous ma baguette,

      Garçon d'auberge, imprimeur et commis.

      Un coup de foudre ajoute à mes présages26.

      Ton fils atteint va périr consumé;

      Dieu le regarde, et l'oiseau ranimé

      Vole en chantant braver d'autres orages.

      .....

      Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,

      Éveilleront sa lyre au sein des nuits.»

      Le vieux tailleur s'écrie: «Eh quoi! ma fille

      Ne m'a donné qu'un faiseur de chansons!

      Mieux jour et nuit vaudrait tenir l'aiguille

      Que, faible écho, mourir en de vains sons.

      – Va,

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<p>25</p>

Éloge de Roze, par Paul Autran.

<p>26</p>

L'auteur fut frappé de la foudre dans sa jeunesse.