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conseil de madame Roland ne fut pas le seul effet de son influence sur les affaires à cette époque, et la disgrâce de Roland et sa sortie de son premier ministère, événement d'une grande influence, furent encore l'effet d'une de ces séances qui avaient lieu chez madame Roland autrefois quatre jours par semaine, et lorsqu'elle fut au ministère ce fut tous les jours.

      Ce qui causa véritablement la disgrâce de Roland, disgrâce venue de la Cour, tandis que la seconde vint de la Convention, fut une lettre écrite au Roi par Roland… Cette lettre n'est pas dans tous les mémoires du temps22… mais Bonnecarrère me l'a laissé copier dans les papiers qu'il avait à Versailles, papiers où il y a des trésors précieux, et dont je crois que son fils, son seul héritier, ignore la valeur.

      «Sire, l'état actuel de la France ne peut subsister longtemps… C'est un état de crise dont la violence a atteint le plus haut degré, etc.»

      Roland remit sa lettre au Roi; Servan, ministre de la guerre, remit aussi une lettre ou une note dans le même genre, et tout le ministère, Clavières, Roland, Servan, etc., se trouvant de la même opinion, donna plutôt qu'il ne reçut sa démission… Il y a dans ce fait une grande conséquence par les suites qu'eut ce changement de ministère. Madame Roland n'avait pas toujours en vue alors dans ses actions le salut de la patrie… il ne dépendait pas seulement de démarches du genre de celle-ci… Il ne s'agissait pas seulement de montrer au Roi qu'une femme avait du pouvoir sur son mari et sur une partie de l'Assemblée… Madame Roland en avait un grand sans doute à cette époque, et la Gironde, toute à elle, répondait à son appel. Mais le motif de la résistance de Roland était noble et beau; il s'agissait du camp de vingt mille hommes sous Paris.

      Servan était aussi un homme d'un beau caractère… – Comme ministre de la guerre, vous vous perdez si vous consentez, lui dit madame Roland.

      – Soyez tranquille, mon honneur et mon cœur me défendront…

      – Comment le Roi a-t-il pris votre avis?

      – Fort mal; il m'a tourné le dos, et à peine étais-je rentré que Dumouriez est venu me prendre le portefeuille, qu'il garde en attendant.

      – Dumouriez!..

      – Oui…

      – Mais comment se fait-il qu'il se trouve en faveur?..

      – Par la Reine… Bonnecarrère est fort en crédit près d'elle par une intrigue de femme du côté de la comtesse Diane de Polignac… Les femmes sont puissantes à cette cour… Et quand des personnes comme celle que je viens de nommer font et défont des ministres, une monarchie peut se dire perdue23.

      – Dumouriez! répéta madame Roland… Dumouriez et Bonnecarrère!..

      – Oui… celui-ci a un des portefeuilles, je ne sais lequel. C'est un homme de beaucoup d'esprit, qui a fait pour l'intrigue plus que jamais personne n'a fait pour le bien… Si cet homme avait autant travaillé pour être honnête homme qu'il l'a fait pour arriver à être un Figaro politique, il mériterait une statue!..

      – Mais comment allez-vous vous en tirer tous tant que vous êtes?..

      – Nous venons à vous!.. Clavières, votre mari et moi, il faut que vous nous donniez une direction de conduite et même une lettre dans laquelle nous donnons tous notre démission…

      – Ah!.. je le veux bien, dit madame Roland… aussi vous serez servis, je vous le jure, à souhait; car ce ministère, cette politique, cela m'éloigne de mes occupations chéries; et certes ce que me donnent en dédommagement ces grandeurs-là ne vaut pas la peine qu'on leur sacrifie une heure de sa vie privée!..

      Les ministres étaient donc réunis au nombre de quatre chez madame Roland, le soir du jour où Servan avait parlé au Roi et où Roland avait donné sa lettre. Assis en rond autour d'une table verte sur laquelle étaient des papiers et une écritoire, les quatre ministres observaient avec une sorte de joie inquiète madame Roland, dans la rédaction silencieuse de la lettre qu'elle faisait au nom de tous. Duranthon24, du parti de Dumouriez, était devant la cheminée, et, quoiqu'on fût au mois de juin, il y était debout, relevant les basques de son habit pour se donner une contenance, comme tous les hommes médiocres qui trahissent et sont au-dessous de la trahison… Il s'était fait attendre plus d'une heure au rendez-vous de ses collègues; Clavières ne l'aimait pas, et toutes les fois que madame Roland le consultait de l'œil ou de la voix, Clavières haussait les épaules, en lui disant tout bas:

      – Laissez-le donc à lui-même… nous n'en voulons pas plus dans notre disgrâce que nous n'en voulions dans notre prospérité.

      Au moment où madame Roland allait lire sa lettre, un message du roi mande M. Duranthon au château, mais SEUL! Madame Roland jette sa plume en s'écriant: – Nos lenteurs nous ont fait perdre l'initiative… C'est votre démission qu'on vous envoie.

      C'était vrai!

      Au bout d'une heure, Duranthon revint. Il avait une figure assez ridicule habituellement: son air était celui d'une vieille femme avec ses petits traits mal arrangés, ses rides mal placées; cette peau d'une teinte blafarde avait de la ressemblance avec des joues fardées; enfin il avait une figure déplaisante et désagréable à l'excès. Madame Roland le supportait, mais avec grand'peine. Il était vain, sans talent, et n'avait pour lui que la réputation d'un honnête homme qu'il vint perdre dans ce ministère sans en attraper une autre… C'était bien la peine d'être ministre…

      En le voyant arriver avec une physionomie abattue, comme s'il avait appris la mort de son fils unique, ses collègues et madame Roland ne purent retenir un éclat de rire… Il tira alors de sa poche un papier, qu'il allait lire avec une figure de circonstance qui ne laissait pas d'avoir son prix, lorsque madame Roland s'écria:

      – M. Duranthon, c'est la démission de mon mari et la vôtre que vous apportez là, n'est-il pas vrai? Donnez donc, mon Dieu!..

      Et elle lui prend le papier des mains. C'était en effet la démission des quatre ministres!..

      – Mon ami, dit-elle à son mari, c'est encore mieux mérité de notre part que de celle de ces messieurs!.. Mais le Roi ne l'annoncera pas à l'Assemblée! et puisqu'il n'a pas profité de la leçon de votre lettre de ce matin, il faut rendre ces leçons utiles au public, en les lui faisant connaître… Je ne vois rien de plus conséquent au courage de l'avoir écrite que celui d'en envoyer une copie à l'Assemblée!.. Au moins, en apprenant votre renvoi, elle en apprendra la cause.

      Cette idée devait plaire à Roland… Il la saisit, la lettre fut envoyée à l'Assemblée. On sait comment elle accueillit le renvoi des trois ministres!.. elle ordonna d'abord l'impression de la lettre et son envoi dans les départements, en faisant une mention honorable de la conduite des trois ministres.

      Après cette dernière marque de courage, madame Roland rentra dans sa vie privée… Mais elle n'y retrouva plus la paix et le repos… Elle voyait sa patrie livrée au malheur et sentait dans son cœur tout ce qui pouvait donner peut-être d'utiles lumières. Elle était réduite au silence et à se consumer par son propre feu!..

      SALON

      DE MADAME DE BRIENNE

      ET

      DU CARDINAL DE LOMÉNIE

      C'était une femme assez laide que madame de Brienne, et qui, en cas de besoin, aurait pu se faire passer pour un homme. Elle avait des moustaches, même de la barbe, et sa voix et sa démarche ne donnaient pas le démenti à ce premier aspect masculin. Elle avait, dit-on, de l'esprit; je ne le puis nier, parce qu'elle ne m'a pas prouvé le contraire; tout ce que je puis dire, c'est que je ne voudrais pas en avoir un semblable.

      Elle avait eu un salon composé de parties assez originales pour faire un tout au milieu duquel on se plaisait. L'abbé Morellet, qui en était un des plus intimes, me dit, lorsque je lui racontai comment j'avais connu madame la comtesse de Brienne, que son intimité était fort agréable, et que les habitués de cette maison y trouvaient du charme. À

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<p>22</p>

Bonnecarrère, témoin oculaire du fait, m'a dit que le Roi fut au moment de faire sortir Roland du salon; ce fut la Reine qui le retint. On a prétendu que ce fait avait été considéré comme une offense par le Roi, et qu'il ne le pardonna pas à Roland, et surtout à sa femme.

<p>23</p>

Voir à ce sujet l'Essai de M. de Chateaubriand sur les Révolutions, 1798, Londres.

<p>24</p>

Ministre de la justice.