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de ses principes à cette époque; mais jamais elle ne parut même s'écarter de cette façon d'agir, lorsque plus tard son influence faisait mouvoir des factions. Qui croirait que, dans ces petits comités composés de Brissot, Pétion, Robespierre, Gensonné, Vergniaud, Guadet, Bazot, Fonfrède, Valazé, enfin tous ces hommes dont certes l'histoire a buriné plutôt qu'écrit les noms, madame Roland distinguait surtout à cette époque Robespierre?.. Elle le jugeait le plus honnête de tous!.. Dans ces comités qui avaient lieu chez madame Roland, on discutait des projets de loi, des plans réformateurs, des remontrances à la Cour pour éloigner tous les favoris, madame de Polignac surtout, dont l'avidité, disait Robespierre, RUINERAIT enfin la France si cette femme y rentrait!.. On discutait beaucoup, on parlait longtemps, et au résumé, à la fin de la soirée, il se trouvait qu'on n'avait rien fait. Un soir, après avoir écouté en silence une partie de la conversation, où Vergniaud avait été admirable et où madame Roland lui avait répondu avec un talent qui aurait honoré la tribune la plus éloquente, Robespierre s'approcha d'elle et lui dit très-bas en lui serrant la main:

      – Quelle admirable éloquence!.. vous m'avez fait mal!.. Employez donc ce don du Ciel à convaincre ces gens-là que, dans la prairie du Ruthly, Guillaume Tell ne parla que pour jurer d'exterminer les tyrans de la Suisse!..

      Cette remarque prouvait déjà la jalousie de Robespierre contre la Gironde, qui était toute brillante d'éloquence… Mais il avait raison cependant, et on ne pouvait nier que les paroles et les mots n'aient amené chez nous des abus qui ont fait plus de mal qu'on ne le croit.

      On projetait souvent dans le salon de madame Roland, dans ces comités du soir, beaucoup de décrets qui passaient ensuite à la Convention; mais la coalition de la minorité de la noblesse acheva d'affaiblir le côté gauche et opéra les maux de la réunion… Un soir, madame Roland était seule; la réunion se faisait ordinairement vers sept ou huit heures; il n'en était que sept ou six et demie; enfin elle achevait à peine de dîner, lorsqu'elle vit arriver Robespierre!.. il était seul aussi, chose assez rare, car il était toujours accompagné de plusieurs de ses collègues… Il est à remarquer que dans ces réunions du soir chez madame Roland il n'y avait aucune femme… elle y était seule… Quelquefois, l'un des députés, marié, amenait sa femme, mais lorsque madame Roland recevait un autre jour de la semaine; car les jours de réunion, son salon était ouvert seulement aux notabilités politiques ou littéraires, et puis en cela elle était comme beaucoup de femmes littéraires, ou bien étudiant, comme elle le faisait alors, la politique agitée qui menaçait de tout envahir! Une conversation légère n'était pas à l'unisson de pareille matière, et son langage n'aurait pas été compris par une femme sortant de chez mademoiselle Bertin ou venant de se faire coiffer par Léonard!!..

      Robespierre témoigna à madame Roland sa joie de la trouver seule.

      – Nous allons causer à cœur ouvert, lui dit-il; le voulez-vous?

      Il prit une chaise en disant ces mots, et se plaça tout auprès d'elle.

      – Pouvez-vous en douter? lui dit-elle, avec ce sourire bienveillant qui découvrait trente-deux perles…

      – Eh bien! écoutez donc ce que j'ai à vous dire, non-seulement en mon nom, mais à celui de beaucoup de gens qui pensent qu'avec votre admirable éloquence et l'influence qu'elle vous donne sur les hommes tels que Brissot et Vergniaud, vous pouvez faire faire à la liberté, cette liberté dont vous êtes idolâtre, je le sais, et que je vénère moi-même autant qu'elle m'est chère: eh bien! vous pouvez beaucoup pour sa cause… Vous savez que dans vos réunions, quoique j'y sois fort assidu, je parle peu (c'était vrai); mais si je suis silencieux, j'écoute et je profite. Je suis timide ensuite, et j'ose peu prendre la parole dans ces réunions devant des hommes comme Guadet, Gensonné, Vergniaud!.. Oh! ce Vergniaud!..

      La manière dont il prononça ce nom aurait fait frémir si l'on avait alors connu Robespierre!.. Mais bien loin de là, madame Roland était convaincue de sa bonté, et surtout de son amour pour la liberté et la patrie…

      – Que puis-je faire? dit-elle. Vous savez que nous ne sommes pas toujours du même avis, quoique de même opinion; mais je suis disposée à tout pour la liberté…

      – Eh bien donc, il faut que Brissot se détermine à faire un journal… La presse est de toutes les armes la plus meurtrière… la parole n'est rien à côté d'elle… Un discours, quelque bien qu'il soit préparé, ne l'est jamais assez; et puis, l'organe peut n'être pas heureusement harmonieux, la mémoire peut manquer, la timidité embarrasser votre débit… Que tout cela se trouve réuni, et une cause est manquée dans sa défense comme dans son attaque… Un journal, au contraire, est tout ce qu'il faut pour que nous frappions fort et juste… On est lu… on est relu… et la conviction atteint avant que la réfutation n'arrive!.. Qu'importe une réponse qui vient huit jours ou vingt-quatre heures après?.. À l'Assemblée, voyez l'abbé Maury et Mirabeau!.. Ils se disent tous deux des mots admirables qui se détruisent l'un par l'autre… Et pourtant, Mirabeau a la victoire quoiqu'il soit moins éloquent que l'abbé… parce qu'il répond sur-le-champ et que le discours de l'autre, préparé depuis longtemps, est réduit au silence en un moment. Mais un journal qui prend l'initiative, car ce n'est que comme cela que je l'entends, est sûr de vaincre. Déterminez Brissot à faire un journal… Nous avons songé à cela, et nous avons dit que vous seule pouviez persuader Brissot.

      Madame Roland s'engagea à ce que voulait Robespierre, avec d'autant plus de plaisir que c'était aussi depuis longtemps sa pensée. Elle parla à Brissot; il prit feu à ce projet, et bientôt parut le premier numéro du journal intitulé le Républicain! Dumont le Genevois y travailla d'abord avec Brissot… Le nom du gérant responsable était celui d'un monsieur du Châtelet, militaire, et homme de fer plutôt qu'homme de paille. C'était cela qu'il fallait. Condorcet avait deux articles admirables qu'on allait y insérer, lorsque le journal fut arrêté et défendu; je ne me rappelle plus bien à présent pour quelle raison. J'ai rapporté ce fait, parce que l'influence de madame Roland requise par Robespierre pour l'établissement d'un journal m'a paru plaisante.

      Une personne de mes amis, qui allait chez madame Roland à cette époque, se trouva un jour chez elle avec Pétion, Robespierre et Brissot. C'était Desgenettes, neveu de Valasé; il était alors fort jeune homme (dix-huit à vingt ans), et fort curieux de tout ce qui se faisait comme affaire politique. Ce jour était important, c'était celui de l'arrestation du Roi à Varennes. En apparence Robespierre était frappé de terreur et pâle de crainte. Il disait que le parti républicain était perdu; que, si les royalistes avaient de la raison, ils égorgeraient tout ce qu'il y avait de patriotes dans Paris et feraient une seconde Saint-Barthélemy; que cela était à craindre, parce que la famille royale n'avait pas pris cette détermination sans avoir dans Paris un parti puissant. Brissot répondit, ainsi que Pétion, que cela n'était pas à craindre, et qu'au contraire, en fuyant, le Roi avait brisé la royauté; que sa fuite était sa perte et qu'il en fallait profiter; que les dispositions du peuple étaient excellentes, parce qu'il était enfin éclairé sur celles de la Cour et sur sa perfidie. – Le Roi ne veut plus de la constitution jurée, dit Brissot; il en veut une plus homogène… C'est le moment de s'en emparer et de disposer les esprits à la république!..

      Robespierre était assis et mangeait ses ongles17, manie qu'il avait, ainsi que de ricaner; il se retourna à demi et dit avec un accent moqueur:

      – Qu'est-ce que c'est d'abord qu'une république?..

      Sans doute que Robespierre n'était pas royaliste; mais ce mot dit avec ironie est bien fort et donne lieu à des réflexions, même dit en raillerie.

      Je n'écris pas positivement une histoire politique; mais toutes les fois que les personnages dont je m'occupe essentiellement ont des rapports directs avec les hommes du temps, je m'arrêterai à des détails même minutieux. C'est ainsi que je parlerai toujours de madame Roland; elle est dans ce genre la personne le plus en rapport avec les hommes influents de l'époque de 1791, jusqu'à celle où elle mourut. C'est une femme habile, à qui son esprit donnait dans son salon une influence grande et solennelle. C'est de là souvent que sont sorties les lois que nous voyons encore aujourd'hui comme

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Sylla mangeait aussi ses ongles.