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est vraiment digne d'admiration. Je l'ai vue ainsi du moins, et j'espère rendre le portrait ressemblant.

      Ainsi donc, puisque j'écris le salon de madame Roland, il me faut parler de ce salon lorsqu'elle fut à ce second ministère; car l'inaction de Roland ne fut pas longue; il fut rappelé au ministère, et là, comme au premier, sa femme fut tout pour lui comme pour son parti. Je m'étendrai peu sur les affaires politiques qui précédèrent cette rentrée; elles eurent sans doute une immense influence, mais madame Roland n'en eut pas une ostensible; elle était bien sœur de la Gironde alors, mais non pas comme elle le fut sur les marches de l'échafaud18.

      Madame Roland aimait Pétion: cela m'étonne. Je ne crois pas que Pétion ait été jamais sincère ni avec la Révolution, ni avec le Roi. Mais franche et naturelle, madame Roland ne croyait pas qu'on pût tromper, et elle jugeait avec son propre cœur. Pétion était donc pour elle un exemple qu'elle se plaisait à suivre. Pétion ne recevait pas chez lui; chose évidemment absurde! Si l'on conspire dans un salon, ce n'est pas lorsqu'il y a deux cents personnes, et l'intérieur d'un homme d'état est bien plus redoutable pour le gouvernement lorsque son suisse consulte une liste pour laisser entrer chez son maître. Quant à Pétion, sa simplicité, disait-il, était la cause de sa sauvagerie.

      Madame Roland n'avait pas de sauvagerie, mais le grand monde l'ennuyait. Aussi, dès qu'elle fut au ministère, elle déclara qu'elle ne recevrait que par invitations, et qu'elle n'aurait point de maison ouverte. Elle recevait cependant, mais de cette manière.

      Elle donnait à dîner deux fois par semaine. L'une était consacrée aux collègues de Roland. Ce dîner fut quelquefois la source de bien des querelles!.. Ce fut surtout pendant le second ministère de Roland, lorsque Danton, Clavières, Monge, étaient ses collègues… lorsque, gonflé de fiel et de haine, Robespierre lançait sur Danton, parvenu au pouvoir avant lui, un regard d'anathème qui lui disait: Tu mourras!

      L'autre dîner était consacré soit à des députés, soit à des employés au ministère, soit enfin à des hommes jetés dans les affaires publiques… La table de madame Roland était toujours remarquablement bien servie, mais sans aucun luxe… du très-beau linge, de beaux cristaux, une grande profusion de fleurs, mais peu d'argenterie, et pas du tout de vaisselle plate. Quinze couverts, c'était le plus petit nombre; vingt personnes, le plus élevé. On ne faisait qu'un service, innovation que madame Roland mit la première en usage. On dînait à cinq heures, pour laisser arriver les députés, dont les moments étaient incertains. Après le dîner, on retournait au salon, on y causait, et à neuf heures tout l'hôtel du ministère était désert et silencieux. Les autres jours de la semaine, madame Roland dînait quelquefois seule avec son mari, quelquefois avec quelques amis, dont le nombre n'excédait jamais trois ou quatre. Sa fille Eudora dînait chez elle avec sa gouvernante, parce que les heures des repas étant irrégulières, madame Roland ne voulait pas que sa fille en souffrît.

      C'était un intérieur vraiment touchant que celui de cette maison, surtout dans l'intimité, et lorsque les favorisés étaient des hommes tels que Gensonné, Guadet, Vergniaud, Valasé! Saints martyrs de la liberté19!..

      Un ami de madame Roland, qui devint un habitué de sa maison, était Thomas Payne. Il avait été naturalisé français. Connu par ses écrits, qui eurent une grande influence dans la guerre d'Amérique, et pouvaient en avoir une immense en Angleterre et en France, il avait une singularité attachée à lui qui mérite d'être signalée. Il entendait le français sans le parler, et madame Roland entendait l'anglais sans le parler aussi. Cependant ils avaient de longues conversations, parlant chacun dans leur langue. Madame Roland était une habile publiciste, et pouvait comprendre les hautes pensées de Payne, qui éclairait mieux une révolution qu'il ne pouvait fonder une constitution, dit madame Roland.

      David William, aussi mandé par la Convention, était un homme d'une grande habileté que madame Roland avait admis dans son intérieur; mais toutes les maisons de Paris ne ressemblaient pas à celle de madame Roland. Le calme de son salon, quoique l'on y discutât souvent, contrastait étrangement avec le trouble des moindres réunions… Aussi s'empressa-t-il de retourner dans sa paisible patrie!

      – Adieu, dit-il à madame Roland, je vous quitte à regret; mais je ne puis rien ici. On ne peut rien faire avec des hommes qui ne savent pas écouter. Vous autres Français, vous ne prenez pas la peine de conserver même la décence extérieure. L'étourderie, l'insouciance, la malpropreté, ne rendent pas un législateur plus savant, et rien n'est indifférent de ce qui frappe les yeux et se passe en public… Voyez quels hommes sont les députés depuis le 31 mai!.. Ils parcourent Paris, ivres, à moitié vêtus, en veste, la tête coiffée d'un sale bonnet rouge!.. Savez-vous ce qui arrivera un jour?.. C'est qu'ils tomberont tous, peuple et gouvernement, sous la verge d'un despote qui saura les assujettir20.

      Mais Danton était celui qui allait le plus souvent chez madame Roland. Toujours il avait un prétexte pour lui parler et passer dans son appartement avec Fabre d'Églantine… Souvent même il venait lui demander à dîner… C'était alors pour causer plus intimement avec elle et son mari des affaires publiques. En voyant cette figure atroce s'animer du feu sacré qui brûlait en son âme, on était surpris, au bout d'un certain temps, de s'habituer à elle, et même d'y trouver des beautés!.. et pourtant jamais physionomie n'exprima, comme celle de cet homme, l'emportement des passions brutales… L'ambition devait le porter à abattre la tête de son concurrent, l'amour celle de son rival. Mais aussi cet homme pouvait donner sa vie pour un être aimé21, comme la sacrifier pour sa patrie. Mais aussi, pour peu que le sort de cette même patrie lui parût en danger, Danton aurait tiré le poignard et conduit les assassins!.. Cette époque, où il allait si souvent chez madame Roland, était celle où il chantait les matines de septembre… on était aux vigiles de ces terribles jours, et Fabre d'Églantine, lui aussi, n'ignorait pas ce qui se préparait!.. Croyait-il, comme Danton, que là était le salut de la patrie?.. Mais n'abordons pas encore ce sujet… il viendra bien assez tôt!

      Lorsque Roland fut appelé au ministère pour la première fois, il y eut le jour de sa présentation une question singulière agitée dans le salon de madame Roland; j'ai oublié ce fait, mais il est toujours temps de revenir.

      – Je viens vous demander votre avis, ma chère amie, lui dit son mari; je le puis faire sans que l'on m'accuse de me laisser mener par ma femme, ajouta-t-il en riant. – Comment me faut-il être habillé?

      – Comment?.. mais comme vous êtes tous les jours. Demandez à ces messieurs…

      Madame Roland avait toujours la coutume de se référer à ceux qui l'entouraient avec une grâce charmante; et dans cette occasion elle était encore aimable, car c'était évidemment de son ressort…

      Tous furent de son avis, excepté Robespierre.

      – Il faut faire comme tout le monde, dit-il.

      – Eh bien! il fait comme tout le monde.

      – Non pas, car ses souliers, toujours attachés avec des cordons, ne se porteraient pas dans une assemblée ordinaire.

      – Avez-vous oublié, dit madame Roland avec une amertume qu'elle voulait vainement déguiser, que le jour où les trois corps furent introduits chez le Roi, on jugea à propos de n'ouvrir qu'un battant de porte pour le tiers-état. Mon mari n'est que du tiers-état;… et pour ce tiers-état, tout est assez bon… Il ne faut pas porter des objets qui ne sont pas faits pour nous… non plus que la terre elle-même n'est pas faite pour nous! Il faut un sentier frayé pour les pas d'une caste méprisée; à la Cour nous ne sommes que des parias!..

      Ses narines s'ouvraient et paraissaient trembler; ses lèvres étaient plus vermeilles, et sa voix émue ressemblait alors au tintement d'une cloche d'argent.

      Enfin la présentation par Dumouriez eut lieu le lendemain. Lorsque le chapeau rond, les souliers à cordons furent aperçus par l'huissier de la chambre, il demeura stupéfait, et dit à Dumouriez, qui était alors ministre

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<p>18</p>

Ces détails m'ont été racontés pour la dixième fois avant-hier matin par une personne très-connue dans cette malheureuse époque de la Révolution, et qui allait très-souvent chez madame Roland.

<p>19</p>

On veut aujourd'hui ternir la gloire de la Gironde. – C'est injuste et de plus impolitique.

<p>20</p>

Propres paroles de David William.

<p>21</p>

Ce qu'il a fait, car c'est pour avoir aimé sa femme au point de ne la pouvoir quitter qu'il a été arrêté. On l'avait arrêté… il pouvait fuir.