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leur vue Sébastien trembla; son visage se couvrit de pâleur.

      Se couchant entre les deux chiens, et arrondissant son bras autour du cou de chacun d’eux, il considéra ces gens, en retenant son haleine et comme dominé par l’incertitude et l’effroi.

      La vaillantise et la gaîté du jeune garçon s’étaient évanouies.

      Ses craintes, cependant, ne semblaient pas le résultat d’une vile lâcheté, mais bien d’une horreur soudaine inspirée par quelque puissance formidable et mystérieuse.

      Frissonnant, Sébastien, jeta un regard vers le jeune chasseur: il avait fait halte et apprêté son fusil.

      Les trois individus et lui s’étaient découverts au même instant.

      Qu’allaient-ils faire? La rencontre serait-elle amicale? Sébastien Delaunay ne le supposait pas.

      Le chasseur noir semblait avoir aussi ses doutes. De vrai, les autres avaient l’air de blancs et de francs trappeurs; mais leur extérieur était plus sauvage que celui des indigènes eux-mêmes.

      Nous sommes facilement accessibles au soupçon; parfois, l’intuition nous désigne qui nous devons fuir et qui nous devons rechercher.

      Celui qui marchait en tête de ces êtres hybrides, ayant lancé une oeillade au chasseur noir, ôta un fantastique casque de peau, orné d’une queue de renard, et, après avoir passé dans ses cheveux hérissés une main qu’on eût pu prendre pour la patte d’un volverenne, il hurla comme un Indien.

      Son salut resta sans réponse.

      – Ohé! ohé! dit-il, voilà mon mangeux de lard.

      – Pas plus mangeux de lard que vous, répliqua froidement le chasseur.

      – Point d’impudence, mon garçon. Nous autres, on est né sur les prairies, moitié ours-gris, moitié panthère, moitié Français et moitié Indien. Huh! houh!

      Le chasseur noir releva son arme et appuya son index sur la détente.

      – Je suis d’humeur paisible, dit-il; je ne me mêle pas des affaires d’autrui, et je réclame le privilège d’être laissé tranquille. Mais les fanfaronnades et les grands airs ne me font pas peur, sachez-le. Si je désire demeurer en paix avec tous, blancs, rouges ou métis, je ne souffre pas les insultes.

      Un des trappeurs grogna comme un ours, tandis qu’un second hurlait comme un loup et que le troisième imitait le chant perçant du coq.

      Le naturel du jeune homme était évidemment paisible.

      – Si, dit-il, vous croyez qu’il convient d’aborder de cette manière un étranger et un blanc, je me permettrai de différer d’opinion avec vous. Votre conduite est grossière, injurieuse; je m’éloigne.

      – Pas si vite mon garçon, nous avons affaire à vous.

      Et l’interlocuteur marcha sur le chasseur noir d’un air insolent.

      – Arrière, ne m’approchez pas! dit celui-ci en le couchant en joue.

      Sébastien Delaunay fixait sur cette scène des regards avides. Il n’avait pas changé de posture.

      Il était encore étendu entre ses chiens, les mains placées sur leur gueule. Pas un mot, pas un mouvement de ce qui se faisait ne lui avait échappé.

      – Peut-être ne saviez-vous pas, morveux, que je m’appelle l’Ours-gris? Je suis la mort pour tout gibier à quatre ou à deux pattes qui ose se poser sur mon chemin. A bas ce fusil d’enfant, et nous allons régler votre affaire!

      Le jeune homme haussa les épaules.

      – Merci, je saurai prendre soin de ma personne. Je ne me fie pas à des coquins de votre sorte, et ne suis pas homme à me laisser intimider et peut-être piller avec impunité.

      L’Ours-gris gronda d’une façon menaçante. La méchanceté naturelle de son caractère s’éveillait.

      – Étranger, avez-vous jamais entendu parler de Bill Brace[15], dit-il, d’une voix où la colère perçait déjà?

      – Il se peut, mais je ne me rappelle pas, répondit froidement le chasseur.

      – C’est moi qui suis Bill Brace, ajouta l’autre.

      – Peut-être me ferez-vous l’honneur de me présenter vos compagnons? fît le jeune homme d’un ton moqueur.

      – Vous les connaîtrez bien assez vite, c’est moi qui vous le dis. Ce gaillard-là qui peut dévorer une mule crue à son déjeûner, eh bien, c’est Ben Joice; et cet autre qui vous avale une pinte de whiskey sec d’un coup, c’est Zene Beck. Je ne pense pas que vous alliez jamais dire nos noms à l’un des postes de la compagnie de la baie d’Hudson, ou aux établissements.

      Il y avait quelque chose de particulièrement sinistre dans la manière dont il prononça cette dernière phrase.

      Les muscles de son visage se déprimèrent et une perversité opiniâtre apparut dans tous ses traits.

      La vanité de la force physique le rendait insolent. Bill Brace croyait à l’invincibilité de ses nerfs. Déréglé par inclination et habitude, vicieux et agressif par nature, il avait besoin de cette correction qui dompte le scélérat et humilie le brutal.

      – Dites-moi quels sont vos desseins et je saurai mieux quoi faire, fit le chasseur noir. Si votre intention est de me dépouiller, je ne suis pas disposé à le permettre. J’ai déjà vu des gens de votre calibre. La plupart se sont montrés paisibles, et je puis vous assurer que ceux qui se sont comportés autrement n’ont rien gagné.

      – A bas votre arme! vociféra Bill Brace.

      – Oui, à bas les armes! répéta Ben Joice.

      – A bas ton fusil! appuya Zene Beck.

      Le chasseur redressa sa taille et de douce qu’était sa physionomie, elle devint ferme, presque dure.

      Une main sur le manche d’un formidable bowie-knife[16], Bill Brace avança le pied droit.

      – Prenez garde, misérables! cria le chasseur, avec un coup d’oeil rapide à la batterie de son fusil; vous êtes trois contre un, mais le premier de vous qui fait un mouvement, je le tue comme un chien. Je vous tiens pour vagabonds et bandits;… cependant, pas pour des lâches. S’il en est un parmi vous qui veuille se mesurer avec moi, à la carabine, au pistolet, au couteau, ou aux armes que la nature nous a données, je suis son homme.

      Bill Brace haussa ses épaules herculéennes, et sourit dédaigneusement, mais plutôt de rage que de bon coeur.

      – Vous criez bien haut, mon petit, mais je vas vous donnez une fière leçon, grommela-t-il entre ses dents.

      En disant ces mots, il s’appuyait sur le canon de son fusil dont la crosse reposait à terre.

      Jamais face horrible ne s’était empreinte d’un cachet plus diabolique.

      Vivant loin de la contrainte des lois civiles, débarrassé de toutes les formalités et conventions de la société, suivant à sa guise les impulsions d’une nature désordonnée, flattant ses appétits sauvages, singeant les moeurs des Indiens – leurs vices et non leurs vertus – avec une confiance entière en sa puissance musculaire, Bill Brace était devenu le type de la bestialité humaine, si je puis m’exprimer ainsi. Imposer comme loi sa volonté aux autres, telle était son ambition et même sa devise.

      Quoique d’une taille plus haute, le chasseur noir était d’une constitution plus grêle.

      Il avait plus d’harmonie dans les formes, mais moins de vigueur apparente.

      Son extérieur indiquait le sang-froid et cependant la souplesse.

      En général il ne semblait pas capable de soutenir une lutte corps à corps avec son adversaire.

      Néanmoins, Sébastien observa qu’il était calme, qu’il ne manifestait aucun de ces signes de trépidation qui accompagnent ordinairement la peur ou la colère.

      – L’entendez-vous,

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