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les gens qui y mettent le pied ne peuvent plus l’en retirer. Ils sont obligés d’y rôder jusqu’à la fin de leurs jours… Vous n’avez pas besoin de secouer la tête, je vous dis qu’on les y a vus, M. Ténébreux.

      – Bon, je ne vous disputerai pas sur ce, point, quoique je n’aie jamais songé à trouver quelque chose de pire que moi, partout où je vais. Je n’ai, du reste, jamais pu voir d’esprits moi-même; mais j’ai eu une nièce qui pouvait les voir par légions, au bénéfice de ses amoureux, vous comprenez? sans doute vous avez entendu parler de ma famille. Il y a eu mon grand-père, le voyageur, et mon oncle, l’historien, qui étaient des gaillards extraordinaires dans leurs branches d’affaires. Je sais bien qu’il y a des gens qui ont glosé et ri sous cape quand j’ai parlé des exploits de mon grand-père le voyageur, et de mon oncle l’historien, mais ça ne fait rien de rien, oui bien, je le jure, votre serviteur!

      En jasant ainsi, les voyageurs finirent par atteindre une hauteur d’où leur vue dominait complètement la Ville hantée, dont les murailles granitiques avaient une apparence sépulcrale à la clarté terne et blafarde de la lune.

      – Voyez-vous là, en bas? dit Jack en étendant la main.

      – Où?

      – Où ces rochers sont amoncelés. Eh bien, c’est l’entrée de la Vallée du Trappeur perdu. On l’appelle la Porte du Diable. Ayant, comme je vous l’ai dit, chassé à la rivière aux Loutres, aux sources du Castor et au Rocher noir, j’ai recueilli ces histoires de l’un, de l’autre, en faisant mes affaires.

      – Vous prenez plus intérêt à ces niaiseries que moi. Qu’on me donne un bon territoire pour trapper ou chasser et je ferai un pied-de-nez aux superstitions des Indiens et des blancs ignorants.

      Nick s’interrompit soudain et ajouta d’un ton différent;

      – Regardez parmi les rochers, Jack, n’est-ce pas un de vos fantômes?

      – Où ça? où ça? demanda Wiley.

      – Ne le voyez-vous pas qui remue, là, à gauche?

      – Oui, c’est vrai, répliqua précipitamment le trappeur. Il vaudrait mieux ne pas approcher, de peur…

      – Vous irez où il vous plaira, M. Deux-cents-chevaux, mais mes yeux m’ont été donnés pour mon service et je les utiliserai, interrompit Nicolas.

      Ce qui avait sollicité l’attention de Nick, c’étaient plusieurs personnes glissant, en un seul rang, le long des rochers.

      Elles n’étaient pas tellement éloignées qu’il ne pût les voir distinctement.

      A leurs vêtements et à leur démarche, on pouvait les prendre pour des blancs, mais il eût peut-être été imprudent de l’affirmer.

      Nicolas les compta.

      Ils étaient cinq, et le plus avancé avait la taille ceinte d’une écharpe rouge. Leurs armes reluisaient au clair de lune.

      Aussitôt, Whiffles se rappela la scène du petit bassin, alors qu’il cherchait à découvrir qui lui avait volé ses pièges. Tout son esprit se tint en éveil.

      Il épia avec un intérêt indescriptible la marche des cinq personnages, tandis que Wiley demeurait silencieux à son côté; mais en suivant anxieusement la direction de ses regards.

      Les cinq individus descendirent au fond de la vallée et disparurent près de la Porte du Diable.

      – Que pensez-vous de ça? fit brusquement Wiley.

      – Il n’est pas rare de voir des trappeurs dans cette partie du pays, répliqua soucieusement Nicolas.

      – Oui, mais pas comme ceux-là – pas comme ceux-là! murmura Wiley.

      Et il poursuivait d’un ton grave:

      – Je vas vous donner un avis, étranger: Evitez la Vallée du Trappeur, la ville des Rochers et la contrée environnante; évitez-les comme vous éviteriez un parti des Pieds-Noirs, ou la peste.

      – Merci, Jack Wiley, merci! Je n’ai peur ni des hommes, ni des fantômes. Pendant bien des années, j’ai parcouru bois, montagnes et prairies, et il n’y a pas un endroit que je redoute plus qu’un autre. Tout coin de terre ou d’eau, entre la baie d’Hudson et la rivière Colombia m’est égal. Je connais le repaire du loup, de l’ours, de la panthère et des animaux destructeurs de cette région, tout aussi bien que les villages, pistes, campements et territoires de chasse de ces damnés serpents rouges. Et moi, Nick Wiffles, je vais ça et là, où bon me semble, en homme qui sait son chemin, et l’étendue des forces que le créateur de de toutes choses lui a données, oui bien, je le jure, votre serviteur!

      Le brave chasseur prononça ces paroles avec la bonhomie, moitié sérieuse, moitié joviale, qui lui était habituelle, et, jetant sa carabine sur son épaule, il reprit fermement sa marche en homme qui a foi en son jugement, en sa prévoyance.

      IV. LE CHASSEUR NOIR

      Après avoir atteint le plateau, le jeune garçon – Sébastien Delaunay – pénétra dans une petite hutte cachée dans un bouquet de cotonniers.

      Les chiens le suivirent, mais en se retournant de temps à autre sous la direction que leur maître avait prise.

      Au centre de la hutte flambait un bon feu de branchages. Sébastien s’assit auprès. Pendant quelques instants il s’occupa à empenner des flèches, tandis que Maraudeur et Infortune, étendus à ses pieds, l’observaient en silence, d’un air somnolent, les yeux à demi clos.

      Toutefois, bientôt fatigué de son travail, il décrocha un grand arc indien, pendu à la paroi de la hutte, et, après l’avoir bandé avec soin, il jeta un carquois sur ses épaules et se dirigea vers le lieu d’où il s’était séparé du trappeur.

      Il faisait sombre; mais les chiens, saisissant la piste de leur maître, partirent devant Sébastien et le guidèrent à la vallée.

      Comme une sentinelle vigilante, jusqu’à ce que la lune se levât, il inspecta minutieusement le terrain en parlant quelquefois aux chiens et en réfléchissant parfois aussi.

      Tout-à-coup Maraudeur s’arrêta court, dressa ses oreilles et pointa son nez vers le fond de la vallée qu’argentaient faiblement les rayons de la lune. Son compagnon à quatre pattes gronda, tressaillit. Il se serait précipité en bas de la montagne si Sébastien ne l’eût retenu.

      L’adolescent connaissait assez les habitudes du chien pour savoir que les siens avaient vu ou senti un homme ou un animal. Mais, vainement s’efforça-t-il de découvrir quelque nouvel être vivant. Un groupe d’arbres nains, un peu plus bas, près du lit de la vallée, offrait un point d’observation meilleur et plus sûr; il y descendit.

      Aussitôt, il reconnut l’avantage de son mouvement; car, en dirigeant ses regards au sud, il aperçut un individu qui approchait.

      C’était un blanc, mais pas Nicolas.

      Sa taille, ses vêtements l’indiquaient.

      Sébastien se prit à l’examiner.

      A l’élasticité de sa démarche, à la flexibilité de ses membres on jugeait qu’il était jeune. Il portait un habillement tout noir, différant matériellement par la coupe de ceux des trappeurs, mais prouvant peut-être que son propriétaire arrivait récemment des pays civilisés.

      Il était impossible de distinguer les traits de cet homme. Ses armes consistaient en un fusil à deux coups passé derrière l’épaule.

      L’indispensable couteau de chasse et des pistolets pendaient à sa ceinture de cuir uni.

      Quoique seul et au coeur d’un pays sauvage, le jeune chasseur (ainsi le désignerons-nous) paraissait brave et sûr de lui.

      C’est au moins ce que pensa Sébastien, dont l’attention fut appelée d’un autre côté par Maraudeur, qui aboya, bondit, et parut décidé à s’élancer dans la vallée.

      Sébastien eut quelque peine à le calmer et

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