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heures, il parcourut un pays, tantôt montueux, tantôt marécageux et inaccessible aux pieds inexpérimentés; au bout de ce temps, il était au terme de son excursion.

      C’était un vallon entre deux montagnes et arrosé par un petit tributaire de la branche orientale de la Saskatchaouane. Sur la rive sud s’étendait une passe étroite à demi masquée par des rochers et des buissons. Cette passe menait aux prairies de la Saskatchaouane et aux territoires de chasses des Pieds-noirs.

      Deux cavaliers ne pouvaient marcher de front dans ce sentier.

      D’après les calculs du trappeur Nicolas, les Indiens et le prisonnier devaient passer là pour se rendre à leur village. Il résolut de se poster près de l’eau, et de les attendre, car il espérait qu’en arrivant, ils abreuveraient leurs chevaux et peut-être feraient une halte avant de se remettre en route.

      Une grosse roche couverte de mousse et entourée de halliers épais de mesquites se dressait sur la rive. Nicolas se blottit derrière.

      La nuit devenait plus noire. Les chaînes de montagnes s’abîmaient dans ses plis épais.

      Le val ressemblait à un temple désert dont les passes et les défilés étaient les ailes mystérieuses; les rochers abrupts, les murs rongés par le temps, et le ciel sans étoiles, le dôme immense.

      La prévision du chasseur se réalisa.

      Un piétinement de chevaux, assourdi, lointain d’abord, clair et plus rapproché ensuite, se fit bientôt entendre.

      Les scènes et les incidents de la vie du désert n’affectent pas les nerfs d’un trappeur aguerri, comme ceux de l’homme sortant des établissements civilisés. Aussi, Nicolas reçut-il avec son calme habituel ces signes de l’arrivée des sauvages.

      Dans certaines circonstances sang-froid vaut bravoure. Il permet de saisir tous les avantages et d’en profiter.

      Pénétrant dans le vallon, les sauvages marchèrent à la rivière qu’ils traversèrent immédiatement. Ce mouvement les conduisit tout près de la retraite que s’était choisie le trappeur. Ils échangèrent ensuite quelques mots dans leur idiome, mirent pied à terre, et firent boire leurs chevaux en les tenant par la bride.

      Effrayé de quelque objet insolite, l’animal que montait le prisonnier recula jusque vers le fourré de mesquites où se tenait tapi Nicolas.

      Le guerrier aux sept plumes, qui était le chef du parti, fit peu attention à ce détail; toute tentative d’évasion de ce côté semblait du reste complètement inutile, car nul, si audacieux qu’il fût n’aurait osé pousser un cheval sur cette montée rocheuse, presque perpendiculaire.

      Pour le trappeur c’était, toutefois, un moment propice. La providence favorisait apparemment ses intentions.

      Les Indiens se tenaient toujours immobiles près de la rivière.

      Débuchant à demi de sa cachette et tirant de sa gaine un couteau bien affilé, Nicolas se disposa à exécuter son hardi projet.

      Un tressaillement, une exclamation pouvait le trahir. Il imita le sifflement du serpent.

      Le captif tourna légèrement la tête, Nicolas saisit, – qu’on nous pardonne l’expression, – l’occasion aux cheveux.

      – Trappeur, souffla-t-il tout bas, un ami est là, soyez sur vos gardes!

      Si faiblement que fussent dits ces mots, ils arrivèrent aux oreilles du prisonnier qui dressa soudain la tête et regarda autour de lui.

      – Chut! ajouta Nicolas, sortant du buisson.

      Le captif l’aperçut. Mais il comprima l’émotion que cette apparition imprévue avait soulevée en lui.

      Les dangers incessants qui environnent un trappeur du Nord lui ont appris à sentir et à réfléchir promptement…

      Nicolas coupa les lanières qui assujettissaient le captif à son cheval, puis, tranchant les liens mis à ses poignets, il lui plaça entre les mains une paire de pistolets.

      Tout cela se fit avec une rapidité et une dextérité dont les lourds habitants des villes ne peuvent se faire une idée exacte.

      Un novice eût certainement échoué, mais l’habitude et l’adresse aplanissent la surface rugueuse des impossibilités apparentes.

      Nicolas se retira ensuite derrière la roche et l’autre trappeur, se coulant sans bruit à bas du cheval, le suivit. Aussitôt le cri de guerre des Pieds-noirs retentit dans le vallon.

      – Maintenant, étranger, en avant! escaladons cette montagne. Tenez-vous près de moi et je vous garantis que nous ferons faire plus d’une culbute à ces damnés païens. Feu, quand vous trouverez une chance! Mais ne gaspillez pas votre plomb!

      Et là-dessus Nicolas s’élança sur les rochers avec l’agilité d’une antilope.

      – Mes membres sont pas mal engourdis, mais n’ayez pas peur, dit l’autre, j’en ferai bon usage.

      Les Pieds-noirs les poursuivaient en hurlant de désappointement.

      Par bonheur, les fugitifs avaient un peu d’avance. Et comme ils étaient rompus aux vicissitudes de l’existence et aux périls du Far-west ils n’appréhendaient guère de tomber entre les mains de leurs ennemis.

      Les Indiens envoyèrent plusieurs coups de fusil, mais sans les atteindre. En dix minutes nos fuyards furent au sommet de la montagne.

      Ils respirèrent un moment, et Nicolas rouvrit la marche en conduisant son compagnon vers une partie plus accessible de cette contrée.

      III. LA PORTE DU DIABLE

      Nicolas désirait vivement voir le visage de son compagnon; mais l’obscurité l’empêchait de distinguer ses traits.

      Ce ne fut qu’à une heure avancée, quand la lune se leva, qu’il put se satisfaire à cet égard.

      Un examen plus attentif de l’individu le confirma dans son idée première. C’était le type du franc-trappeur nomade, sur lequel les moeurs indiennes avaient fortement déteint.

      Il était sans doute adonné aux habitudes de cette race, car il avait sur la vie des principes faciles, et un mépris cordial pour les gens en dehors de sa profession.

      La physionomie qu’il offrit à Nicolas, éclairée par les premiers rayons de la lune, n’était pas propre à attirer l’amitié ou à assurer la confiance.

      Il avait les yeux enfoncés, et d’une expression sinistre. Son front était bas, contracté par un froncement perpétuel. Un nez épaté et aplati, surmontait sa bouche, démesurément fendue, comme celle d’un animal carnassier. Le menton était court, le cou gros, les épaules larges.

      La vétusté et l’usure avaient rongé ses vêtements d’étoffe grossière.

      Pour compléter ce vilain portrait, le trappeur louchait.

      Nicolas se dit dans son for intime que sa dernière aventure n’avait pas ajouté une acquisition importante au nombre de ses amis. Bref, il n’était pas content de celui qu’il venait de sauver; car si ce dernier ne payait pas de mine, il ne séduisait pas plus par son langage.

      Il avait la parole sèche, cassante. Ses phrases partaient comme les décharges d’une catapulte ou d’une batterie. De plus il les accentuait d’un certain grognement rien moins que plaisant.

      Dans la rapidité de leur fuite, au milieu des ténèbres, Nicolas s’était écarté de la route qu’il avait l’intention de prendre.

      Il se trouvait alors sur une éminence, entourée par un paysage d’un caractère sauvage et pittoresque. Jetant les yeux à l’est, il lui sembla apercevoir les ruines d’une grande cité.

      L’apparition était produite par de longs et énormes amas de rochers, empilés les uns sur les autres, découpés en forme de murailles, de tours chancelantes et de colonnes brisées.

      Cette ville fantastique couvrait les flancs et le sommet d’une montagne, et s’étendait

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