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résolu à tout risquer pour le salut de cette femme! Ce qu’elle était, il ne le savait pas plus que les événements qui avaient déterminé cette tragédie; mais, dans son âme, il croyait qu’elle était innocente de tout crime et ne méritait pas le sort auquel on l’avait trop manifestement condamnée.

      Son sexe, son infortune, sa prestigieuse beauté, tout faisait appel au coeur du trappeur et le pénétrait d’un sentiment qu’il n’avait jamais éprouvé auparavant.

      Les exécuteurs de ce drame se placèrent tout à fait sur le bord de la rivière, balancèrent deux ou trois fois le corps et le lancèrent à l’eau; il tomba avec un bruit sourd, s’enfonça et disparut; quelques bouillonnements marquèrent seuls l’endroit où il avait été immergé.

      L’homme à la ceinture rouge examina, durant une minute, la surface troublée; puis, agitant sa torche, il s’éloigna, suivi de ses complices, et remonta précipitamment les rochers.

      Tout cela avait eu lieu en silence. Pas un mot n’avait été articulé par le sombre commandant ou par ses hommes.

      Ainsi qu’un songe affreux, le spectacle passa sous les yeux du trappeur. Mais, repoussant l’impression glaciale qui l’envahissait, il se coula promptement dans la rivière avec son couteau entre les dents. Ensuite il plongea et nagea vers l’endroit où le corps avait été jeté.

      Il l’eut bien vite atteint. Coupant alors le lien qui retenait la pierre à ce corps, il le saisit de la main gauche et s’approcha du bord avec la droite, mais en se tenant encore au-dessous de la surface de l’eau.

      Quoiqu’il fût bon nageur, il ne tarda pas à ressentir une effroyable compression à la poitrine. Les ondes sifflaient et bourdonnaient dans ses oreilles. Il avait impérieusement besoin d’air.

      Alors il sortit la tête de la rivière et respira longuement. La grève était proche; il y traîna son précieux fardeau.

      Déjà il se félicitait du succès, lorsque la clarté d’une torche et un bruit de pas sur les rochers, l’engagèrent à la circonspection. Aussitôt, il s’étendit dans le gazon à côté de l’objet de sa sollicitude.

      C’était l’assassin qui revenait pour voir si son crime était bien perpétré: il promena un long regard sur les eaux de la rivière et partit enfin, à la grande satisfaction du trappeur.

      Dès qu’il fut éloigné, celui-ci enleva le manteau qui recouvrait la jeune femme et la transporta à une place plus sèche et plus abritée. Là, il lui frictionna les tempes, lui frappa dans la paume des mains et employa divers autres moyens pour la ramener au sentiment.

      Un léger tremblement des nerfs, puis un soupir lui annoncèrent que ses efforts n’étaient pas infructueux. A la fin, elle ouvrit les yeux; ses lèvres décolorées s’animèrent; un rayon d’intelligence éclaira son visage.

      Évidemment, elle ignorait ce qui s’était passé depuis le moment où elle avait perdu ses sens. Pensant être encore au pouvoir de ses ennemis, elle tendit les mains comme pour demander grâce. Ce mouvement affecta profondément le trappeur.

      – Vous êtes en sûreté, cher petit ange du bon Dieu! s’écria-t-il vivement. Les coquins sont partis, et vous voilà avec un homme prêt à se faire hacher pour vous. Plus besoin de crier merci, pauvrette, plus besoin d’avoir peur, ô Dieu, non; vous êtes avec un ami, oui bien, je le jure, votre serviteur!

      La jeune femme jeta au chasseur un coup d’oeil vague et incrédule. Son esprit était encore en désordre. Elle ne pouvait bien saisir sa situation, car l’idée d’un danger mortel l’absorbait complètement.

      – Regardez-moi sans crainte, ma fille, poursuivit le trappeur. C’est un ami qui est près de vous, et un ami qui ne vous délaissera pas à l’heure d’une maudite petite difficulté! Voyez! les brigands ne sont pas ici. Vous avez échappé à leur cruauté, et vous voici libre. Dieu soit loué, lui qui n’a pas voulu permettre un aussi noir forfait. J’ai toujours cru à la providence, moi! et j’y crois plus que jamais ce soir, oui bien, je le jure, votre serviteur!

      La douce intonation de ces chaleureuses paroles eut un effet magique sur la jeune femme.

      Elle commença à comprendre.

      Le trappeur alors la souleva délicatement; elle appuya la tête sur l’épaule du brave homme et pleura comme un enfant.

      II. LE TRAPPEUR CAPTIF

      Le printemps avait fait son apparition dans les montagnes. Les arbres s’habillaient d’un riche feuillage; les prairies se tapissaient de verdure, et les neiges hivernales achevaient de fondre au sommet des pics.

      Debout sur un rocher, le trappeur examinait la vallée déroulée à ses pieds[3]. Il avait six pieds de haut; il était mince et droit comme une flèche. Des muscles secs, endurcis par l’exercice, saillissaient sous son épiderme.

      Il portait le costume des aventuriers du Nord. Son visage était ouvert, agréable quoiqu’un peu marqué par les soucis. La nature l’avait doté d’une de ces bouches comiques qu’il est impossible de réduire à la mélancolie, et qui persistent, dans les cas les plus épineux, à paraître souriantes. Ses yeux, profondément enchâssés sous les sourcils, s’harmonisaient merveilleusement avec sa bouche et avaient la même expression.

      Une longue carabine était négligemment passée sous son bras. Sa grande silhouette, immobile, placée en relief contre les rochers, aurait fourni un magnifique tableau à ces peintres qui, dédaignant les lieux communs, cherchent le pittoresque et le hardi comme sujet d’inspiration.

      Cependant cet homme – quel qu’il fut – avait indubitablement affronté d’un air calme les vicissitudes de la vie, et appris à supporter avec une patience philosophique les infortunes qui ne pouvaient être écartées.

      Dans sa physionomie, un je ne sais quoi indiquait qu’il était incapable de rester en repos. Donnez-lui montagnes, prairies, forêts et rivières, gardez-le loin des villes, loin du séjour des civilisés et il sera chez lui, quoique ses immenses territoires de campement puissent être à des centaines de milles de distance!

      Un son caverneux monta aux oreilles du chasseur. Il était comme produit par des sabots d’animaux non ferrés. Immédiatement, les instincts de notre homme furent en éveil.

      Il descendit du faîte raboteux de la montagne jusqu’à ce qu’il pût mieux découvrir les différents points de la vallée. Puis, se postant derrière un arbre, il chercha la cause du bruit qu’il avait entendu. Bientôt elle lui fut connue. Cinq cavaliers apparurent à la lisière d’un bouquet d’arbres.

      Ils cheminaient vers l’endroit où le chasseur était en observation. Quatre d’entr’eux étaient des indigènes, mais le cinquième était un blanc captif.

      A mesure qu’ils avancèrent, le chasseur étudia l’extérieur des cavaliers et du prisonnier.

      C’était un homme d’âge mûr.

      Il appartenait vraisemblablement à la classe vagabonde de ces francs-trappeurs[4] qui fraternisent également avec les races blanches et les races rouges.

      On voyait bien qu’il n’avait pas été pris sans lutte; car, pour ne point parler d’une blessure à son visage, sa camisole de chasse était toute déchirée et souillée de sang et de boue. Le casque[5] de fourrure que portent ordinairement les gens de cette espèce lui manquait aussi. Sans doute il l’avait perdu dans le conflit qui avait précédé sa capture. Ses cheveux longs, ébouriffés, tombaient par touffes épaisses sur son visage dont elles rehaussaient l’expression morose et rechignée.

      Il avait les mains garrottées derrière le dos, et serrées avec une violence qui pouvait lui donner un avant-goût des tortures qu’il aurait à souffrir quand ses bourreaux seraient arrivés à leur camp ou à leur village. Pour plus de sûreté, on l’avait lié sur son cheval avec de fortes lanières de peau de buffle[6], attachées à ses chevilles et passées sous le ventre de l’animal.

      Il était facile de s’apercevoir que cette situation ne plaisait pas fort au captif; et la

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