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un coeur mondain, était arrêté, par les milles digues de l’égoïsme, de la coquetterie et de l’ambition. La bonté ne lui plaisait plus que comme une élégance. Elle ferait bien encore des charités d’argent, des charités de sa peine même et de son temps, mais toute une partie d’elle-même était réservée, ne lui appartenait plus, Elle lisait ou rêvait encore le matin dans son lit, mais avec un esprit faussé, qui s’arrêtait maintenant au-dehors des choses et se considérait lui-même, non pour s’approfondir, mais pour s’admirer voluptueusement et coquettement comme en face d’un miroir. Et si alors on lui avait annoncé une visite, elle n’aurait pas eu la volonté de la renvoyer pour continuer à rêver ou à lire. Elle en était arrivée à ne plus goûter la nature qu’avec des sens pervertis, et le charme des saisons n’existait plus pour elle que pour parfumer ses élégances et leur donner leur tonalité. Les charmes de l’hiver devinrent le plaisir d’être frileuse, et la gaieté de la chasse ferma son coeur aux tristesses de l’automne.

      Parfois elle voulait essayer de retrouver, en marchant seule dans une forêt, la source naturelle des vraies joies.

      Mais, sous les feuillées ténébreuses, elle promenait des robes éclatantes. Et le plaisir d’être élégante corrompait pour elle la joie d’être seule et de rêver.

      «Partons-nous demain? demandait le duc.

      – Après-demain», répondait Violante.

      Puis le duc cessa de l’interroger. A Augustin qui se lamentait, Violante écrivit: «Je reviendrai quand je serai un peu plus vieille.»

      – «Ah! répondit Augustin, vous leur donnez délibérément votre jeunesse; vous ne reviendrez jamais dans votre Styrie» Elle n’y revint jamais. Jeune, elle était restée dans le monde pour exercer la royauté d’élégance que presque encore enfant elle avait conquise. Vieille, elle y resta pour la défendre. Ce fut en vain. Elle la perdit, Et quand elle mourut, elle était encore en train d’essayer de la reconquérir. Augustin avait compté sur le dégoût. Mais il avait compté sans une force qui, si elle est nourrie d’abord par la vanité, vainc le dégoût, le mépris, l’ennui même: c’est l’habitude.

Août 1892FIN de Violante Ou La Mondanité

      Fragments de Comédie Italienne

      «De même que l’écrevisse, le bélier,

      le scorpion, la balance et le verseau

      perdent toute bassesse quand ils

      apparaissent comme signes du zodiaque,

      ainsi on peut voir sans colère ses

      propres vices dans des personnages éloignés…

EMERSON

      I – Les maîtresses de Fabrice

      La maîtresse de Fabrice était intelligente et belle; il ne pouvait s’en consoler. «Elle ne devrait pas se comprendre! s’écriait-il en gémissant, sa beauté m’est gâtée par son intelligente; m’éprendrais-je encore de la Joconde chaque fois que je la regarde, si je devais dans le même temps entendre la dissertation d’un critique, même exquis?» Il la quitta, prit une autre maîtresse qui était belle et sans esprit. Mais elle l’empêchait continuellement de jouir de son charme par un manque de tact impitoyable. Puis elle prétendit à l’intelligence, lut beaucoup, devint pédante et fut aussi intellectuelle que la première avec moins d’aisance et des maladresses ridicules. Il la pria de garder le silence: même quand elle ne parlait pas, sa beauté reflétait cruellement sa stupidité. Enfin, il fit la connaissance d’une femme chez qui l’intelligence ne se trahissait que par une grâce plus subtile, qui se contentait de vivre et ne dissipait pas dans des conversations trop précises le mystère charmant de sa nature. Elle était douce comme les bêtes gracieuses et agiles aux yeux profonds, et troublait comme, au matin, le souvenir poignant et vague de nos rêves. Mais elle ne prit point la peine de faire pour lui ce qu’avaient fait les deux autres: l’aimer.

      II – Les amies de la comtesse Myrto

      Myrto, spirituelle, bonne et jolie, mais qui donne dans le chic, préfère à ses autres amies Parthénis, qui est duchesse et plus brillante qu’elle; pourtant elle se plaît avec Lalagé, dont l’élégance égale exactement la sienne, et n’est pas indifférente aux agréments de Cléanthis, qui est obscur et ne prétend pas à un rang éclatant. Mais qui Myrto ne peut souffrir, c’est Doris; la situation mondaine de Doris est un peu moindre que celle de Myrto, et elle recherche Myrto, comme Myrto fait de Parthénis, pour sa plus grande élégance.

      Si nous remarquons chez Myrto ces préférences et cette antipathie, c’est que la duchesse Parthénis non seulement procure un avantage à Myrto, mais encore ne peut l’aimer que pour elle-même; que Lalagé peut l’aimer pour elle-même et qu’en tout cas étant collègues et de même grade, elles ont besoin l’une de l’autre; c’est enfin qu’à chérir Cléanthis, Myrto sent avec orgueil qu’elle est capable de se désintéresser, d’avoir un goût sincère, de comprendre et d’aimer, qu’elle est assez élégante pour se passer au besoin de l’élégance. Tandis que Doris ne s’adresse qu’à ses désirs de chic, sans être en mesure de les satisfaire; qu’elle vient chez Myrto, comme un roquet près d’un mâtin dont les os sont comptés, pour tâter de ses duchesses, et si elle peut, en enlever une; que, déplaisant comme Myrto par une disproportion fâcheuse entre son rang et celui où elle aspire, elle lui présente enfin l’image de son vice. L’amitié que Myrto porte à Parthénis, Myrto la reconnaît avec déplaisir dans les égards que lui marque Doris. Lalagé, Cléanthis même lui rappelaient ses rêves ambitieux, et Parthénis au moins commençait de les réaliser: Doris ne lui parle que de sa petitesse. Aussi, trop irritée pour jouer le rôle amusant de protectrice, elle éprouve à l’endroit de Doris les sentiments qu’elle, Myrto, inspirerait précisément à Parthénis, si Parthénis n’était pas au-dessus du snobisme: elle la hait.

      III – Heldémone, Adelgise, Ercole

      Témoin d’une scène un peu légère, Ercole n’ose la raconter à la duchesse Adelgise, mais n’a pas même scrupule devant la courtisane Heldémone.

      «Ercole, s’écrie Adelgise, vous ne croyez pas que je puisse entendre cette histoire? Ah! je suis bien sûre que vous agiriez autrement avec la courtisane Heldémone; vous me respectez: vous ne m’aimez pas.»

      «Ercole, s’écrie Heldémone, vous n’avez pas la pudeur de me taire cette histoire? Je vous en fais juge; en useriez-vous ainsi avec la duchesse Adelgise? Vous ne me respectez pas: vous ne pouvez donc m’aimer.»

      IV – L’inconstant

      Fabrice qui veut, qui croit aimer Béatrice à jamais, songe qu’il a voulu, qu’il a cru de même quand il aimait, pour six mois, Hippolyta, Barbara ou Clélie. Alors il essaye de trouver dans les qualités réelles de Béatrice une raison de croire que, sa passion finie, il continuera à fréquenter chez elle, la pensée qu’un jour il vivrait sans la voir étant incompatible avec un sentiment qui a l’illusion de son éternité. Puis, égoïste avisé, il ne voudrait pas se dévouer ainsi, tout entier, avec ses pensées, ses actions, ses intentions de chaque minute, et ses projets pour tous les avenirs, à la compagne de quelques-unes seulement de ses heures, Béatrice a beaucoup d’esprit et juge bien: «Quel plaisir, quand j’aurai cessé de l’aimer, j’éprouverai à causer avec elle des autres, d’elle-même, de mon défunt amour pour elle…» (qui revivrait ainsi, converti en amitié plus durable, il espère). Mais, sa passion pour Béatrice finie, il reste deux ans sans aller chez elle, sans en avoir envie, sans souffrir de ne pas en avoir envie. Un jour qu’il est forcé d’aller la voir, il maugrée, reste dix minutes. C’est qu’il rêve nuit et jour à Giulia, qui est singulièrement dépourvue d’esprit, mais dont les cheveux pâles sentent bon comme une herbe fine, et dont les yeux sont innocents comme deux fleurs.

      V

      La vie est étrangement facile et douce avec certaines personnes d’une grande distinction naturelle,

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