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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
Читать онлайн.Название Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel
Год выпуска 0
isbn 4064066373511
Автор произведения Marcel Proust
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il revit tout cela, et pourtant deux secondes ne s’étaient pas écoulées depuis que le docteur écoutant son coeur avait dit:
«C’est la fin!» Il se releva en disant:
«C’est fini!» Alexis, sa mère et Jean Galeas se mirent à genoux avec le duc de Parme qui venait d’arriver. Les domestiques pleuraient devant la porte ouverte.
Violante Ou La Mondanité
«Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde…
Ne désirez point de paraître devant les grands.»
Henri_Gervex Scène de café à Paris1877
Chapitre I – Enfance méditative de Violante
La vicomtesse de Styrie était généreuse et tendre et toute pénétrée d’une grâce qui charmait. L’esprit du vicomte son mari était extrêmement vif, et les traits de sa figure d’une régularité admirable. Mais le premier grenadier verni était plus sensible et moins vulgaire. Ils élevèrent loin du monde, dans le rustique domaine de Styrie, leur fille Violante, qui, belle et vive comme son père, charitable et mystérieusement séduisante autant que sa mère, semblait unir les qualités de ses parents dans une proportion parfaitement harmonieuse. Mais les aspirations changeantes de son coeur et de sa pensée ne rencontraient pas en elle une volonté qui, sans les limiter, les dirigeât, l’empêchât de devenir leur jouet charmant et fragile. Ce manque de volonté inspirait à la mère de Violante des inquiétudes qui eussent pu, avec le temps, être fécondes, si dans un accident de chasse, la vicomtesse n’avait péri violemment avec son mari, laissant Violante orpheline à l’âge de quinze ans. Vivant presque seule, sous la garde vigilante mais maladroite du vieil Augustin, son précepteur et l’intendant du château de Styrie, Violante, à défaut d’amis, se fit de ses rêves des compagnons charmants et à qui elle promettait alors de rester fidèle toute sa vie. Elle les promenait dans les allées du parc, par la campagne, les accoudait à la terrasse qui, fermant le domaine de Styrie, regarde la mer.
Élevée par eux comme au-dessus d’elle-même, initiée par eux, Violante sentait tout le visible et pressentait un peu de l’invisible. Sa joie était infinie, interrompue de tristesses qui passaient encore la joie en douceur.
Chapitre II – Sensualité
«Ne vous appuyez point sur un roseau qu’agite le vent et n’y mettez pas votre confiance, car toute chair est comme l’herbe et sa gloire passe comme la fleur des champs.»
Sauf Augustin et quelques enfants du pays, Violante ne voyait personne. Seule une soeur puînée de sa mère, qui habitait Julianges, château situé à quelques heures de distance, visitait quelquefois Violante. Un jour qu’elle allait ainsi voir sa nièce, un de ses amis l’accompagna. Il s’appelait Honoré et avait seize ans. Il ne plut pas à Violante, mais revint. En se promenant dans une allée du parc, il lui apprit des choses fort inconvenantes dont elle ne se doutait pas. Elle en éprouva un plaisir très doux, mais dont elle eut honte aussitôt. Puis, comme le soleil s’était couché et qu’ils avaient marché longtemps, ils s’assirent sur un banc, sans doute pour regarder les reflets dont le ciel rose adoucissait la mer.
Honoré se rapprocha de Violante pour qu’elle n’eût froid, agrafa sa fourrure sur son cou avec une ingénieuse lenteur et lui proposa d’essayer de mettre en pratique avec son aide les théories qu’il venait de lui enseigner dans le parc.
Il voulut lui parler tout bas, approcha ses lèvres de l’oreille de Violante qui ne la retira pas; mais ils entendirent du bruit dans la feuillée.
«Ce n’est rien, dit tendrement Honoré. – C’est ma tante», dit Violante. C’était le vent. Mais Violante qui s’était levée, rafraîchie fort à propos par ce vent, ne voulut point se rasseoir et prit congé d’Honoré, malgré ses prières. Elle eut des remords, une crise de nerfs, et deux jours de suite fut très longue à s’endormir. Son souvenir lui était un oreiller brûlant qu’elle retournait sans cesse. Le surlendemain, Honoré demanda à la voir. Elle fit répondre qu’elle était partie en promenade.
Honoré n’en crut rien et n’osa plus revenir. L’été suivant, elle repensa à Honoré avec tendresse, avec chagrin aussi, parce qu’elle le savait parti sur un navire comme matelot. Quand le soleil s’était couché dans la mer, assise sur le banc où il l’avait, il y a un an, conduite, elle s’efforçait à se rappeler les lèvres tendues d’Honoré, ses yeux verts à demi fermés, ses regards voyageurs comme des rayons et qui venaient poser sur elle un peu de chaude lumière vivante. Et par les nuits douces, par les nuits vastes et secrètes, quand la certitude que personne ne pouvait la voir exaltait son désir, elle entendait la voix d’Honoré lui dire à l’oreille les choses défendues. Elle l’évoquait tout entier, obsédant et offert comme une tentation. Un soir à dîner, elle regarda en soupirant l’intendant qui était assis en face d’elle.
«Je suis bien triste, mon Augustin, dit Violante. Personne ne m’aime, dit-elle encore.
– Pourtant, repartit Augustin, quand, il y a huit jours, j’étais allé à Julianges ranger la bibliothèque, j’ai entendu dire de vous: “Qu’elle est belle! “
– Par qui?» dit tristement Violante.
Un faible sourire relevait à peine et bien mollement un coin de sa bouche comme on essaye de relever un rideau pour laisser entrer la gaieté du jour.
«Par ce jeune homme de l’an dernier, M, Honoré – Je le croyais sur mer, dit Violante, – Il est revenu», dit Augustin, Violante se leva aussitôt, alla presque chancelante jusqu’à sa chambre écrire à Honoré qu’il vînt la voir. En prenant la plume, elle eut un sentiment de bonheur, de puissance encore inconnu, le sentiment qu’elle arrangeait un peu de sa vie selon son caprice et pour sa volupté, qu’aux rouages de leurs deux destinées qui semblaient les emprisonner mécaniquement loin l’un de l’autre, elle pouvait tout de même donner un petit coup de pouce, qu’il apparaîtrait la nuit, sur la terrasse, autrement que dans la cruelle extase de son désir inassouvi, que ses tendresses inentendues – son perpétuel roman intérieur – et les choses avaient vraiment des avenues qui communiquaient et où elle allait s’élancer vers l’impossible qu’elle allait rendre viable en le créant.
Le lendemain elle reçut la réponse d’Honoré, qu’elle alla lire en tremblant sur le banc où il l’avait embrassée.
«Mademoiselle, Je reçois votre lettre une heure avant le départ de mon navire. Nous n’avions relâché que pour huit jours, et je ne reviendrai que dans quatre ans. Daignez garder le souvenir de
Votre respectueux et tendre HONORÉ.»
Alors, contemplant cette terrasse où il ne viendrait plus, où personne ne pourrait combler son désir, cette mer aussi qui l’enlevait à elle et lui donnait en échange, dans l’imagination de la jeune fille, un peu de son grand charme mystérieux et triste, charme des choses qui ne sont pas à nous, qui reflètent trop de cieux et craignent trop de rivages, Violante fondit en larmes.
«Mon pauvre Augustin, dit-elle le soir, il m’est arrivé un grand malheur.» Le premier besoin des confidences naissait pour elle des premières déceptions de sa sensualité, aussi naturellement qu’il naît d’ordinaire des premières satisfactions de l’amour. Elle ne connaissait pas encore l’amour. Peu de temps après; elle en souffrit, qui est la seule manière dont on apprenne à le connaître.
Chapitre III – Peines d’amour
Violante fut