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Читать онлайн.Mais voici qu’un jour, comme il se levait de sa chaise pour aller à table, son domestique étonné le vit marcher beaucoup mieux. Il fit demander le médecin qui attendit pour se prononcer. Le lendemain il marchait bien. Au bout de huit jours, il lui permit de sortir. Ses parents et ses amis conçurent alors un immense espoir. Le médecin crut que peut-être une simple maladie nerveuse guérissable avait affecté d’abord les symptômes de la paralysie générale, qui maintenant, en effet, commençaient à disparaître. Il présenta ses doutes à Baldassare comme une certitude et lui dit:
«Vous êtes sauvé!» Le condamné à mort laissa paraître une joie émue en apprenant sa grâce. Mais, au bout de quelque temps, le mieux s’étant accentué, une inquiétude aiguë commença à percer sous sa joie qu’avait déjà affaiblie une si courte habitude. A l’abri des intempéries de la vie, dans cette propice atmosphère de douceur ambiante, de calme forcé et de libre méditation, avait obscurément commencé de germer en lui le désir de la mort. Il était loin de s’en douter encore et sentit seulement un vague effroi à la pensée de recommencer à vivre, à essuyer les coups dont il avait perdu l’habitude et de perdre les caresses dont on l’avait entouré. Il sentit aussi confusément qu’il serait mal de s’oublier dans le plaisir ou dans l’action, maintenant qu’il avait fait connaissance avec lui-même, avec le fraternel étranger qui, tandis qu’il regardait les barques sillonner la mer, avait conversé avec lui pendant des heures, et si loin, et si près, en lui-même. Comme si maintenant il sentait un nouvel amour natal encore inconnu s’éveiller en lui, ainsi qu’en un jeune homme qui aurait été trompé sur le lieu de sa patrie première, il éprouvait la nostalgie de la mort, où c’était d’abord comme pour un éternel exil qu’il s’était senti partir.
Il émit une idée, et Jean Galeas, qui le savait guéri, le contredit violemment et le plaisanta. Sa belle-soeur, qui depuis deux mois venait le matin et le soir resta deux jours sans venir le voir. C’en était trop!
Il y avait trop longtemps qu’il s’était déshabitué du bât de la vie, il ne voulait plus le reprendre. C’est qu’elle ne l’avait pas ressaisi par ses charmes. Ses forces revinrent et avec elles tous ses désirs de vivre; il sortit, recommença à vivre et mourut une deuxième fois à lui-même. Au bout d’un mois, les symptômes de la paralysie générale reparurent.
Peu à peu, comme autrefois, la marche lui devint difficile, impossible, assez progressivement pour qu’il pût s’habituer à son retour vers la mort et avoir le temps de détourner la tête. La rechute n’eut même pas la vertu qu’avait eue la première attaque vers la fin de laquelle il avait commencé à se détacher de la vie, non pour la voir encore dans sa réalité, mais pour la regarder, comme un tableau. Maintenant, au contraire, il était de plus en plus vaniteux, irascible, brûlé du regret des plaisirs qu’il ne pouvait plus goûter.
Sa belle-soeur, qu’il aimait tendrement, mettait seule un peu de douceur dans sa fin en venant plusieurs fois par jour avec Alexis.
Une après-midi qu’elle allait voir le vicomte, presque au moment d’arriver chez lui, ses chevaux prirent peur; elle fut projetée violemment à terre, foulée par un cavalier, qui passait au galop, et emportée chez Baldassare sans connaissance, le crâne ouvert.
Le cocher, qui n’avait pas été blessé, vint tout de suite annoncer l’accident au vicomte, dont la figure jaunit. Ses dents s’étaient serrées, ses yeux luisaient débordant de l’orbite, et, dans un accès de colère terrible, il invectiva longtemps le cocher; mais il semblait que les éclats de sa violence essayaient de dissimuler un appel douloureux qui, dans leurs intervalles, se laissait doucement entendre. On eût dit qu’un malade se plaignait à côté du vicomte furieux. Bientôt cette plainte, faible d’abord, étouffa les cris de sa colère, et il tomba en sanglotant sur une chaise.
Puis il voulut se faire laver la figure pour que sa belle-soeur ne fût pas inquiétée par les traces de son chagrin. Le domestique secoua tristement la tête, la malade n’avait pas repris connaissance. Le vicomte passa deux jours et deux nuits désespérés auprès de sa belle-soeur. A chaque instant, elle pouvait mourir. La seconde nuit, on tenta une opération hasardeuse. Le matin du troisième jour, la fièvre était tombée, et la malade regardait en souriant Baldassare qui, ne pouvant plus contenir ses larmes, pleurait de joie sans s’arrêter. Quand la mort était venue à lui peu à peu il n’avait pas voulu la voir; maintenant il s’était trouvé subitement en sa présence.
Elle l’avait épouvanté en menaçant ce qu’il avait de plus cher; il l’avait suppliée, il l’avait fléchie.
Il se sentait fort et libre, fier de sentir que sa propre vie ne lui était pas précieuse autant que celle de sa belle-soeur, et qu’il éprouvait autant de mépris pour elle que l’autre lui avait inspiré de pitié. C’était la mort maintenant qu’il regardait en face, et non les scènes qui entoureraient sa mort. Il voulait rester tel jusqu’à la fin, ne plus être repris par le mensonge, qui, en voulant lui faire une belle et célèbre agonie, aurait mis le comble à ses profanations en souillant les mystères de sa mort comme il lui avait dérobé les mystères de sa vie.
IV
«Demain, puis demain, puis demain glisse, ainsi à petits pas jusqu’à la derrière syllabe que le temps écrit dans son livre. Et tous nos hiers ont éclairé pour quelques fous le chemin de la mort poudreuse. Éteins-toi! Éteins-toi!, court flambeau! La vie n’est qu’une ombre errante, un pauvre comédien qui se pavane et se lamente pendant son heure sur le théâtre et qu’après qu’on n’entend plus. C’est un conte, dit par un idiot, plein de fracas et de furie, qui ne signifie rien.»
Les émotions, les fatigues de Baldassare pendant la maladie de sa belle-soeur avaient précipité la marche de la sienne. Il venait d’apprendre de son confesseur qu’il n’avait plus un mois à vivre; il était dix heures du matin, il pleuvait à verse. Une voiture s’arrêta devant le château. C’était la duchesse Oliviane. Il s’était dit alors qu’il ornait harmonieusement les scènes de sa mort:
«… Ce sera par une claire soirée. Le soleil sera couché, et la mer qu’on apercevra entre les pommiers sera mauve. Légers comme de claires couronnes flétries et persistants comme des regrets, de petits nuages bleus et roses flotteront à l’horizon…» Ce fut à dix heures du matin, sous un ciel bas et sale, par une pluie battante, que vint la duchesse Oliviane; et fatigué par son mal, tout entier à des intérêts plus élevés, et ne sentant plus la grâce des choses qui jadis lui avaient paru le prix, le charme et la gloire raffinée de la vie, il demanda qu’on dît à la duchesse qu’il était trop faible.
Elle fit insister, mais il ne voulut pas la recevoir.
Ce ne fut même pas par devoir: elle ne lui était plus rien. La mort avait vite fait de rompre ces liens dont il redoutait tant depuis quelques semaines l’esclavage. En essayant de penser à elle, il ne vit rien apparaître aux yeux de son esprit: ceux de son imagination et de sa vanité s’étaient clos.
Pourtant, une semaine à peu près avant sa mort, l’annonce d’un bal chez la duchesse de Bohême où Pia devait conduire le cotillon avec Castruccio qui partait le lendemain pour le Danemark, réveilla furieusement sa jalousie. Il demanda qu’on fit venir Pia; sa belle-soeur résista un peu; il crut qu’on l’empêchait de la voir, qu’on le persécutait, se mit en colère, et pour ne pas le tourmenter, on la fit chercher aussitôt.
Quand elle arriva, il était tout à fait calme, mais d’une tristesse profonde. Il l’attira près de son lit et lui parla tout de suite du bal de la duchesse de Bohême. Il lui dit:
«Nous