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Les invisibles de Paris. Gustave Aimard
Читать онлайн.Название Les invisibles de Paris
Год выпуска 0
isbn 4064066328313
Автор произведения Gustave Aimard
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
— Ce sera moi, si vous voulez?
— Vous, mon témoin? ricana l’autre. Soit. Venez, que je vous paye la peine que vous avez prise de venir jusqu’ici.
Cette fois, les fers se croisèrent jusqu’à la garde; les deux tireurs firent en même temps un pas de retraite, puis, revenant l’un sur l’autre, ils s’attaquèrent avec fureur.
Mauclerc sentit qu’il avait trouvé un adversaire redoutable.
Il redoubla de soin, de force et de vitesse.
Mais, comprenant que le baron venait d’étudier son jeu, il en changea, et prit une garde en tierce, usitée surtout par les duellistes italiens ou espagnols.
C’était un étrange et sinistre spectacle que celui de ces deux hommes aux traits pâlis par la colère et la haine, qui se tâtaient, s’épiaient froidement, pliés sur leurs jarrets, prêts à s’élancer l’un sur l’autre, à s’entre-déchirer comme deux tigres.
A leur droite, un groupe composé des deux dominos, qui soignaient et soutenaient un blessé, un mourant peut-être...
A leur gauche, un jeune homme, le vicomte de Rioban, le cigare aux lèvres, attendant que son tour vînt.
Et au-dessus de leur tête, la lune blafarde, cette vieille curieuse, éclairant de ses rayons argentés ces monceaux de pierres, tristes comme des ruines centenaires.
Un silence de mort planait sur toutes ces têtes. On n’entendait d’autre bruit que le froissement de l’acier contre l’acier et les appels de pied des combattants.
Les épées sifflaient comme des serpents, dégagements, coups droits, battements, coupés, toutes les finesses, toutes les ressources de l’escrime étaient mises en pratique par ces deux hommes, qui semblaient avoir eu le même maìtre.
Mauclerc, plus grand, plus robuste, sentant qu’il fallait en finir avec ce second adversaire, et en finir promptement, s’il ne voulait pas donner la partie trop belle à celui qui lui succéderait, se decida à mettre à profit sa taille et sa vigueur.
D’Entragues, qui lisait dans son regard, s’arrêta, l’épée haute et prête à riposter, sur une parade de seconde.
Mauclerc se fendit, rapide comme la foudre.
— Il va parer seconde; je remise et je le tue, murmura-t-il à part lui.
Un fin sourire se jouait sur la lèvre du baron d’Entragues. Il para bien seconde, comme l’autre l’avait espéré ; mais, au lieu d’une parade simple, il en fit une double.
Mauclerc, toujours fendu, essaya en vain de remiser son coup, et pendant qu’il cherchait à se relever, à reprendre son équilibre et à rompre, son ennemi lui allongea un coup droit en plein corps.
— Ah! la liste!... la liste!.. put à peine articuler le misérable.
Et il s’affaissa sur le sol, où il demeura immobile. L’épée vengeresse de d’Entragues avait traversé ce papier qui devait envoyer ses frères, ainsi que l’avait dit René de Luz, à l’échafaud ou tout au moins dans un exil perpétuel.
— Est-il mort? demanda Rioban.
— S’il en revenait, ce serait triste, répondit d’Entragues, qui, se penchant sur le corps de Mauclerc, s’empara d’une enveloppe sanglante et contenant la preuve de son infamie et de sa trahison.
— Laissons-nous le corps ici? fit San-Lucar.
— Non, repartit Mortimer, accomplissons nos ordres jusqu’au bout.
— Soit.
Au moment où deux d’entre eux se baissaient pour prendre le corps et le porter jusqu’à l’une des voitures, une voix à peine distincte murmura ce mot:
— Attendez!
Les quatre témoins des deux scènes précédentes se retournèrent stupéfaits, et ils assistèrent au spectacle horrible, mais vrai, que nous allons décrire:
René de Luz, le blessé, l’agonisant, profitant de la liberté que lui laissaient ses amis, dont toute l’attention s’était reportée sur les derniers moments de Mauclerc, René de Luz, se traînant jusqu’au corps de celui-ci, lui prit la tête d’une main, tout en se soutenant lui-même de l’autre, et, approchant sa bouche de l’oreille du vaincu:
— Tu devais laver ta joue dans le sang de l’homme qui t’avait frappé au visage, Mauclerc: cet homme, c’était moi. Tu ne l’as pas fait. Tu as menti en cela, comme dans tout le reste. Mais tu m’as souffleté, et ce que tu as dit, je le ferai.
Et sur ce, René de Luz trempant sa main dans le sang de Mauclerc, se lava la joue souffletée, et cette joue toute rouge et ruisselante, par un suprême effort il se dressa debout, seul, sans secours, et d’une voix fière et vibrante:
— Mes amis, cria-t-il, croyez-vous que mon honneur me soit rendu?
Et il tomba de toute sa hauteur sur la terre humide et sanglante.
Quels sont ces hommes? Vers quel but inconnu marchent-ils? Nous le saurons dans le courant de cette longue histoire. Mais, à coup sûr, le but ne peut être que grand et terrible. Ces hommes vont droit devant eux, broyant tout sur leur passage, jouant avec la mort, qui seule peut les arrêter en chemin.
Quelques minutes plus tard, une des voitures emportait René de Luz dans les bras de ses amis en deuil.
L’autre contenait, avec le corps de Mauclerc, roulé dans une couverture de cheval, deux hommes masqués.
Après un quart d’heure de marche; ce dernier véhicule atteignit le pont d’Iéna. Là, s’arrêtant au milieu du pont, le cocher cria:
— Il n’y a personne.
Les deux hommes masqués descendirent, prirent le vaincu, le portèrent sur le parapet et le lancèrent dans la rivière, qui l’engloutit avec un bruit sinistre. Puis ils remontèrent dans la voiture, qui partit au grand trot, se dirigeant vers l’endroit où elle les avait pris, à l’entrée du passage de l’Opéra.
MM. d’Entragues et de Rioban attendaient les deux dominos.
Deux heures sonnaient quand les quatre personnages qui venaient d’assister aux terribles scènes que nous avons racontées, rentrèrent calmes et souriants dans le bal, où les appelait un motif assez puissant pour leur faire déserter le chevet de René de Luz, laissé entre les mains de nos meilleurs médecins.
Ils arrivèrent juste au moment où, après un galop infernal, les joyeux masques, titis, chicards, débardeurs, sauvages, etc..., portaient en triomphe le héros de leur orchestre, Musard, le vrai, le seul Musard, — Musard, premier du nom!
IV
Où il est démontré que le carnaval n’est pas gai pour tout le monde.
On vient de le voir, tout Paris est en fête.
Plus que tous les autres, le quartier des Écoles prend sa part de la joie commune.
Les cabarets chantent, aux angles des rues de la Cité, de la Harpe et Saint-Jacques.
Sur les boulevards extérieurs, les bals publics éparpillent dans l’air les notes apocryphes de leur musique d’aveugle appelant, à grand renfort d’harmonie imitative, les danseurs qui se hâtent d’accourir, déjà plus que raisonnablement ivres.
Là, c’est la jeunesse qui jette sa gourme, ce sont les fils de bons provinciaux qui se saignent aux quatre veines pour leur