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Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper
Читать онлайн.Название Le corsaire rouge
Год выпуска 0
isbn 4064066319045
Автор произведения James Fenimore Cooper
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Mrs Wyllys, qui n’encourageait jamais dans son élève ces petits mouvements de faiblesse, quelque jolis, quelque attrayants qu’ils pussent paraître à d’autres yeux, jeta sur la jeune personne un regard calme et presque sévère, en répondant avec une promptitude et une décision qui annonçait son désir qu’il ne fût jamais plus question de frayeur:
–Si tous les dangers que vous paraissez craindre existaient réellement, le passage ne se ferait pas tous les jours, et même à toute heure sans le moindre accident. Vous êtes sans doute M dame, venue souvent par la mer de la Caroline avec l’amiral de Lacey?
–Jamais, répliqua la veuve promptement et même d’un ton un peu sec. La mer ne convenait pas à ma santé, et je n’ai jamais manqué de voyager par terre. Mais cependant vous sentez, Wyllys, que, comme épouse et veuve d’un chef d’escadre, il ne serait pas convenable que je fusse tout à fait étrangère à la science nautique. Je pense qu’il y a peu de femmes dans tout l’empire britannique qui connaissent mieux que moi les vaisseaux, soit isolés, soit réunis en escadre, surtout ces derniers. C’est une connaissance que j’ai naturellement acquise comme femme d’un officier que son devoir appelait à commander des flottes. Je présume que ce sont des choses qui vous sont totalement étrangères.
La physionomie noble et pleine de dignité de Mrs Wyllys, sur laquelle on eût dit que des souvenirs anciens et pénibles avaient laissé une expression douce, mais durable, de tristesse, qui tempérait, sans les effacer, les traces de fermeté et de courage qu’on retrouvait encore dans son regard ferme et assuré, se couvrit un instant d’une teinte plus prononcée de mélancolie. Après avoir hésité, comme si elle eût désiré changer de conversation, elle répondit:
–La mer n’est pas pour moi un élément tout à fait étranger. J’ai fait dans ma vie beaucoup de longues, et quelquefois même de périlleuses traversées.
–Comme simple passagère. Mais nous autres femmes de marins, nous sommes les seules de notre sexe qui puissions nous vanter de connaître véritablement cette noble profession! Qu’y a-t-il, ou que peut-il y avoir de plus beau, s’écria la douairière dans un mouvement d’enthousiasme naval, qu’un superbe vaisseau fendant la lame furieuse, comme j’ai entendu l’amiral le dire mille fois, son éperon labourant l’onde, et son taille-mer glissant à la suite, comme un serpent sinueux qui s’allonge sur ses propres replis? Je ne sais, ma chère Wyllys, si je me fais comprendre; mais pour moi, à qui ces effets sont familiers, cette description charmante rappelle tout ce qu’il y a de plus beau et de plus sublime!
Le léger sourire inaperçu qui dérida le front de la gouvernante aurait pu trahir la réflexion secrète qu’elle faisait alors, que le défunt amiral avait dû avoir l’esprit de malice et de plaisanterie de l’état, lorsque, dans cet instant, un léger bruit qui ressemblait assez au murmure du vent, mais qui dans le fond n’était autre que des éclats de rire étouffés, partit de l’étage supérieur de la tour. Les mots «c’est charmant» allaient sortir des lèvres de la jeune Gertrude, qui sentait toute la beauté du tableau que sa tante avait essayé de tracer, sans s’arrêter à en critiquer les détails; mais tout à coup la voix lui manqua, et son attitude annonçait une attention profondément excitée.
–N’avez-vous rien entendu? s’écria-t-elle.
–Les rats n’ont pas encore tout à fait déserté le moulin, répondit froidement la gouvernante.
–Le mouliin! ma chère Mrs Wyllys; voulez-vous persister à appeler ces ruines pittoresques un moulin?
–Je sens tout le tort que ce nom fatal doit faire à ses charmes, surtout pour des yeux de dix-huit ans; mais, en conscience, je ne puis lui donner un autre nom.
–Les ruines ne sont pas assez abondantes dans ce pays, ma chère gouvernante, reprit Gertrude en riant, tandis que ses yeux étincelants prouvaient l’intérêt qu’elle mettait à défendre son opinion favorite, pour que nous soyons en droit de les dépouiller, sans des preuves certaines, du peu de droits qu’elles peuvent avoir à notre vénération.
–Eh bien! le pays n’en est que plus heureux! Les ruines, dans une contrée, sont comme la plupart des signes de décrépitude qui se manifestent sur le corps humain, de tristes preuves d’excès et de passions en tout genre, qui ont hâté les ravages du temps. Ces provinces sont comme vous, ma Gertrude, dans leur fraîcheur et leur jeunesse, et comparativement aussi dans leur innocence. Espérons pour l’une et pour l’autre une longue, utile et heureuse existence.
–Grand merci pour moi et pour mon pays! mais cependant je ne puis admettre que ces ruines pittoresques aient été un moulin.
–Qu’elles soient ce que vous voudrez, voilà longtemps qu’elles occupent cette place, et, selon toute apparence, elles y resteront encore plus longtemps, ce qui est plus que nous ne pouvons dire de notre prison, comme vous appelez ce beau vaisseau à bord duquel nous devons nous embarquer.–Eh! mais Madame, si mes yeux ne se trompent pas, je vois les mâts se mouvoir lentement et dépasser les cheminées de la ville.
–Vous avez parfaitement raison, Wyllys; les matelots sont en irain de touer le vaisseau pour le mettre à flot, puis ils l’attacheront à ses ancres pour qu’il ne bouge pas jusqu’à ce qu’on soit prêt à déplier les voiles, afin de mettre en mer dans la matinée. C’est une manœuvre qu’on fait souvent, et que l’amiral m’a expliquée si clairement, qu’il me serait assez facile de la commander en personne, si cela convenait à mon sexe et à ma position.
–Alors ce mouvement doit nous rappeler que tous nos apprêts de départ ne sont pas encore terminés. Quelque charmant que soit ce lieu, Gertrude, il faut le quitter à présent, au moins pour quelques mois.
–Oui, ajouta Mrs de Lacey en suivant à pas lents la gouvernante qui prenait déjà les devants; des flottes entières ont été souvent touées à leurs ancres, pour attendre que le vent et la marée fussent favorables. Aucune personne de notre sexe ne connaît les dangers de l’Océan, nous exceptées, qui avons été unies par le plus étroit de tous les nœuds à des officiers de rang et de mérite; et nulle autre ne peut jouir délicieusement de la véritable grandeur de cette noble profession. C’est un charmant spectacle qu’un vaisseau fendant les vagues avec sa poupe, et s’élançant sur son propre sillage, comme le coursier écumant qui court toujours sur la même ligne, quoiqu’il se précipite de toute sa vitesse.
La réponse de Mrs Wyllys ne parvint pas jusqu’aux oreilles des deux indiscrets cachés dans la tour. Gertrude avait suivi ses compagnes; mais après avoir fait quelques pas, elle s’arrêta pour jeter un dernier regard sur ses murs délabrés. Un profond silence régna pendant plus d’une minute.
–Cassandre, dit-elle enfin à la jeune négresse qui était auprès d’elle, il y a, dans l’arrangement de ces pierres, quelque chose qui m’aurait fait désirer qu’elles eussent été quelque chose de plus qu’un moulin.
–Y avoir des rats dedans, reprit cette fille avec sa simplicité naïve; vous avoir entendu ce que bonne Mrs Wyllys dire.
Gertrude se retourna, sourit, et donna un petit coup sur la joue noire de sa suivante, avec des doigts que le contraste faisait paraître blancs comme la neige, comme pour la gronder de vouloir détruire la douce illusion dont elle aimait à se bercer; puis, courant rejoindre sa tante et sa gouvernante, elle se mit à descendre la colline en bondissant avec la légèreté d’une jeune Atalante.
Les deux habitants passagers de la tour restèrent aux écoutes aussi longtemps qu’ils purent apercevoir le plus léger pli de sa robe flottante, et alors ils se retournèrent en face l’un de l’autre et se regardèrent quelque temps en silence, chacun d’eux s’efforçant de lire dans les yeux de son voisin.
–Je suis prêt à prêter serment devant le lord chancelier, s’écria tout à coup l’avocat, que ces ruines n’ont jamais été un moulin!
–Votre opinion a éprouvé un changement