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Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper
Читать онлайн.Название Le corsaire rouge
Год выпуска 0
isbn 4064066319045
Автор произведения James Fenimore Cooper
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
L’étranger regarda dans la direction qui lui était indiquée, et il vit le jeune marin dont il avait voulu parler debout au pied d’une vieille tour qui fléchissait insensiblement minée par le temps, et qui était à peu de distance de l’endroit où il se trouvait. Jetant une poignée de petite monnaie aux deux matelots, il leur souhaita un meilleur repas, et passa de l’autre côté de la haie, dans l’intention apparente d’examiner aussi les ruines.
–Le camarade en use librement avec ses pièces de cuivre, dit Dick en suspendant les opérations de ses dents pour examiner de nouveau et plus en détail l’étranger; mais comme elles ne viendront pas où il les a plantées, vous pouvez, Moricaud, leur faire prendre le chemin de ma poche. Il n’a pas la main fermée, ce luron-là; mais aussi ces hommes de loitirent tout leur argent de la bourse du diable; et ils ne sont pas embarrassés pour s’approvisionner de nouveau, lorsque le parquet commence à se dégarnir.
Laissant le nègre ramasser les pièces et les remettre, comme on le lui ordonnait, entre les mains de celui qui, s’il n’était pas son maître, était toujours prêt à exercer sur lui la même autorité que s’il en eût eu le droit, nous suivrons l’étranger, qui se dirigeait vers l’édifice chancelant. Il était difficile de voir ce qui, dans ces ruines, pouvait attirer l’attention d’un homme qui, d’après ses propres discours, avait eu sans doute bien des occasions d’admirer des débris beaucoup plus imposants des anciens temps, de l’autre côté de l’Atlantique. C’était une petite tour circulaire qui s’élevait sur des piliers grossiers réunis par des arcades, et elle avait pu être construite, dans l’enfance du pays, pour servir de place forte, quoiqu’il fût beaucoup plus probable que c’était un édifice d’une nature plus pacifique. Plus d’un demi-siècle après l’époque dont nous parlons, ce petit bâtiment, remarquable par sa forme, par ses ruines et par ses matériaux, est devenu tout à coup l’objet des recherches et des investigations de cet être érudit dont l’espèce s’est tellement multipliée,–l’antiquaire américain.–Il n’est pas surprenant que des débris aussi honorés soient devenus la cause de maintes doctes et chaudes discussions. Tandis que les amateurs chevaleresques des arts et des antiquités du pays ont rompu galamment des lances autour de ces murailles tombant en poussière, les hommes moins instruits et moins zélés ont regardé les combattants avec cette espèce de surprise qu’ils auraient manifestée s’ils avaient été présents quand le célèbre chevalier de la Manche s’escrimait contre ces autres moulins à vent si ingénieusement décrits par l’immortel Cervantes.
En approchant, l’étranger en vert donna un léger coup de badine sur sa botte, pour attirer l’attention du jeune marin, qui semblait plongé dans de profondes rêveries, et l’abordant sans plus de façon:
–Cette ruine ne serait pas mal, dit-il d’un ton libre, si elle était couverte de lierre, et qu’elle fût placée au bout d’un bois d’où l’on pût l’apercevoir par une percée ménagée avec art; mais excusez-moi, les hommes de votre profession ne s’inquiètent guère de tout cela. Que leur font des bois et d’augustes débris! Voilà la tour, ajouta-t-il en montrant les grands mâts du vaisseau qui était dans le havre extérieur, voilà la tour que vous aimez à contempler, et les seules ruines pour vous, c’est un naufrage!
–Vous paraissez bien au fait de nos goûts, Monsieur, répondit froidement le jeune homme.
–C’est donc par instinct, car il est certain que je n’ai eu que bien peu d’occasions de m’instruire par des relations directes avec aucun membre de ce corps, et il ne me paraît pas que je doive être beaucoup plus heureux dans ce moment. Soyons francs, mon ami, et parlons sans aigreur: que voyez-vous dans cet amas de pierres qui puisse détourner si longtemps votre attention de ce noble et beau vaisseau que vous considériez avec tant de soin?
–Était-il donc surprenant qu’un marin qui n’a pas d’emploi examinât un bâtiment qu’il trouve à son goût, peut-être dans l’intention d’y demander du service?
–Son commandant aurait perdu la tête s’il refusait une pareille offre; mais vous semblez trop instruit pour occuper un berth secondaire.
–Berth! répéta le jeune homme en fixant de nouveau ses yeux, avec une expression singulière, sur l’étranger.
–Oui, berth. N’est-ce pas votre terme de marine pour poste ou rang? Nous ne connaissons pas beaucoup votre vocabulaire, nous autres avocats; mais pour ce mot-là, je crois pouvoir le risquer en toute assurance. Ai-je le bonheur d’avoir votre assentiment?
Le jeune marin sourit, et comme si cette saillie avait rompu la glace, ses manières perdirent beaucoup de leur contrainte pendant le reste de l’entretien.
–Il est tout aussi évident, répondit-il, que vous avez été sur mer, qu’il l’est que j’ai été à l’école. Puisque nous avons eu l’un et l’autre ce bonheur, soyons généreux et cessons de parler par paraboles. Par exemple, à quoi pensez-vous que servait cette tour, avant qu’elle fût tombée en ruine?
–Pour en juger, répondit l’étranger en vert, il est nécessaire de l’examiner de plus près. Montons.
En disant ces mots, l’avocat monta en effet par une méchante échelle, et passant par une trappe ouverte, il se trouva sur un plancher qui reposait sur les colonnes cintrées. Son compagnon hésitait à le suivre; mais voyant que l’autre l’attendait au haut de l’échelle, et qu’il avait l’attention de lui indiquer un échelon qui ne tenait plus, il s’élança à son tour, et grimpa avec l’agilité et l’assurance particulières à sa profession.
–Nous y voici! s’écria l’étranger en examinant les murs, qui étaient composés de pierres si petites et si irrégulières qu’ils semblaient ne tenir à rien; un bon plancher en chêne pour tillac, comme vous disiez, et le ciel pour toit, comme nous appelons le haut d’une maison dans nos universités. Maintenant parlons des choses de ce bas monde. A… A… J’oublie le nom que vous m’avez dit que vous portiez.
–Cela peut dépendre des circonstances. J’ai porté différents noms dans des positions différentes. Cependant, si vous m’appelez Wilder, je ne manquerai pas de répondre.
–Wilder! voilà un nom qui, je l’espère, ne peint pas votre caractère. Vous autres enfants de la mer, vous n’êtes ordinairement rien moins que sauvages, quoique vous ayez la réputation d’être parfois un peu inconstants dans vos goûts. Combien de belles avez-vous laissées soupirant au milieu de berceaux touffus et déplorant votre ingratitude, tandis que vous labouriez,-c’est le mot, je crois, –que vous labouriez le vaste Océan aux flots salés?
–Il est peu de personnes qui soupirent pour moi, répondit Wilder d’un air pensif, quoiqu’il commençât à trouver un peu long un interrogatoire fait aussi librement. Continuons, si vous voulez bien, notre examen de la tour. A quoi pensez-vous qu’elle ait servi?
–Voyons d’abord à quoi elle sert maintenant, et nous découvrirons facilement ensuite quel était son usage autrefois. Dans ce moment elle renferme deux cœurs assez légers, et, si je ne me trompe, deux têtes tout aussi légères, qui ne sont pas surchargées d’un approvisionnement de raison. Autrefois elle avait ses greniers de blé, et, je n’en doute pas, certains petits quadrupèdes qui avaient les pattes aussi légères que nous avons la tête et le cœur. En bon anglais, c’était un moulin.
–Il y en a qui pensent que c’était une forteresse.
–Hemm! la place pourrait tenir au besoin, reprit l’étranger en jetant un coup d’œil rapide et particulier autour de lui. Mais c’était un moulin, quelque désir qu’on puisse avoir de lui trouver une plus noble origine. L’exposition au vent, les piliers pour préserver l’intérieur du bâtiment des invasions de la vermine, la forme de la construction, tout le prouve. Tic-tac, tic-tac; il s’est fait assez de bruit ici du temps passé,