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Maman Léo. Paul Feval
Читать онлайн.Название Maman Léo
Год выпуска 0
isbn 4064066085247
Автор произведения Paul Feval
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il se leva et prit le bras de la veuve, qui chancelait en effet.
—Vous avez affaire à un bon enfant, vous savez, continua-t-il en la ramenant vers la table, et nous ferons une paire d'amis tous deux, j'en suis certain. Ça m'a amusé en commençant de poser en casseur vis-à-vis d'une luronne de votre numéro, mais vous n'êtes qu'une femme, après tout, puisque vous pleurez, et je reprends vis-à-vis de vous la galanterie de mon sexe.
Il aida la dompteuse à s'asseoir, en ajoutant:
—Vous ne me demandez plus qui je suis en faisant les gros yeux, alors je vous le dis: ni chiffonnier ni prince, à peu près le milieu entre les deux: M. Constant, officier de santé et plus avisé que bien des fainéants qui ont passé leur thèse, premier aide préparateur dans la maison du Dr Samuel dont j'ai la confiance et qui me fait tout ce qui ne concerne pas mon état, spécialement la chasse à la dompteuse, car voilà trois fois vingt-quatre heures que je cours sur votre piste comme un Osage dans les forêts vierges de l'Amérique du Nord... pas bien riche avec cela, mais amateur de ce qui brille et portant des lunettes de chrysocale avant de les troquer contre des lunettes d'or. Est-ce de la franchise, ça? Ambitieux pas mal et nourrissant l'espoir que l'aventure de la petite demoiselle pourra me pousser dans le monde, puisqu'elle m'a déjà mis en relations avec des gens que je n'aurais jamais approchés sans cela; exemple, Mme la marquise d'Ornans, Mme la comtesse Corona (un joli brin celle-là, ou que le diable m'emporte!), le colonel Bozzo, qui est dix fois millionnaire, M. de Saint-Louis, qui succédera peut-être à Louis-Philippe et d'autres encore.
—Je vous en prie, prononça tout bas la veuve, parlez-moi de Fleurette.
—Et de Maurice, pas vrai? interrompit M. Constant avec un bon gros rire; vous n'êtes plus toute jeune, mais il y en a de plus déchirées que vous, et il paraît que le lieutenant est joli comme un amour. Moi je ne le connais pas, je dis seulement que s'il est moitié aussi beau que mademoiselle Valentine est belle, ce doit être un Adonis! Ne vous impatientez pas, j'arrive à l'objet de ma visite.
Son doigt martela par trois fois, à petits coups bien espacés, le milieu de son front, et il ajouta:
—Le Dr Samuel dit que ça pourra guérir avec des soins et du temps, mais elle l'est tout à fait.
—Pauvre Fleurette! balbutia la veuve, qui resta bouche béante.
—Hélas! oui, comme un beau petit lièvre, et soyons justes, il y avait bien de quoi toquer une jeune personne de cet âge-là, quoiqu'elle n'ait pas été élevée dans du coton. Mais ne vous faites pas trop de mal, vous savez, on la soigne à la papa, et il n'y en a pas deux comme le Dr Samuel dans Paris pour traiter les maladies de cette espèce-là. Elle n'est pas méchante, tout le monde l'adore à la maison, tous les jours elle reçoit des visites de vicomtes, de baronnes et de marquises: elle mange bien, elle boit bien, elle dort bien...
—Folle! répéta pour la seconde fois Mme Samayoux; car elle avait cru d'abord à une exagération de langage: tout à fait folle!
M. Constant hocha la tête gravement en signe d'affirmation et il y eut un silence. Échalot ne travaillait plus depuis que le nouveau venu avait prononcé le nom du colonel Bozzo.
Échalot le dévorait des yeux et prêtait attentivement l'oreille.
VIII
Échalot aux écoutes
Ni Mme Samayoux ni M. Constant ne faisaient attention à Échalot, qui était à demi-caché derrière un poteau.
Le temps avait marché et ces journées de novembre sont courtes; la baraque commençait à se faire sombre.
M. Constant et la dompteuse étaient assis en face l'un de l'autre.
M. Constant, qui avait l'air d'un homme tout rond, très disposé à prendre ses aises, avait versé sans plus de façon du vin dans les deux verres.
—Je ne suis pas plus bête qu'un autre, reprit-il, quoiqu'on n'ait pas encore songé à moi pour l'Académie des sciences, mais quant à bon garçon, ça y est des pieds à la tête! vous verrez que nous serons camarades. À votre santé, maman Léo: c'est comme ça que la petite mademoiselle vous appelle.
La dompteuse le regardait d'un air indécis.
—C'est vrai que vous avez l'air bonne personne, dit-elle, et si vous êtes venu chez moi, ce n'est bien sûr pas pour me faire du chagrin, mais vous me parlez comme si je savais quelque chose et je ne sais rien de rien.
—Pas possible! s'écria M. Constant; la foire des Loges n'est pas le bout du monde, et les journaux ont assez radoté là-dessus!
—Aujourd'hui même, répliqua la dompteuse, aujourd'hui seulement j'ai appris ce que les journaux ont pu dire. Ce serait trop long de vous expliquer pourquoi je restais dans l'ignorance. J'avais beaucoup d'ouvrage, et puis peut-être que je ne regardais pas autour de moi de peur de voir, car c'est bien certain que, depuis des semaines, je ne me suis jamais levée sans avoir un poids sur le cœur. On dit qu'il y a des pressentiments. Mais ce qu'on m'a rapporté tout à l'heure, c'est l'histoire du meurtre dans la chambre garnie de la rue d'Anjou; tout ce qui a suivi, je l'ignore, et si c'est un effet de votre bonté, je voudrais bien le savoir.
—Comment donc! fit l'officier de santé, mais c'est tout simple, ça! Figurez-vous que je vous aime déjà tout plein, maman Léo; je suis entré ici croyant avoir affaire à un gros hérisson de casseuse de cailloux et vous êtes douce comme un petit agneau. Nous allons donc commencer par le commencement. Attention! vous avez beau avoir de la peine, ça va vous amuser; d'abord il n'y a pas eu de meurtre rue d'Anjou...
—Ah! s'écria la veuve, j'en étais sûre!
—Parbleu! ça tombe sous le sens! les tourtereaux n'étaient pas là pour le plus grand plaisir du juge d'instruction Remy d'Arx; mais ils avaient fait dessein de se périr ensemble par désespoir amoureux, voilà tout. L'autre juge d'instruction, celui qui a succédé au défunt Remy d'Arx, M. Perrin-Champein, est un fin finaud de la finauderie, qui a des yeux par-devant, par-derrière et sur les côtés, un vrai chien de chasse, quoi! Il n'a pas seulement baissé le nez vers cette piste-là, et quand Mme la marquise est allée le voir pour lui demander sa protection en faveur de la demoiselle, il a répondu: «Dormez sur vos deux oreilles; je pense bien qu'il n'y a pas que des roses blanches et des fleurs de lys dans l'aventure de mademoiselle votre nièce; mais ça regarde un conseil de famille bien plus que la cour d'assises.»
—Mais alors, dit la veuve, que son grand espoir étouffait, Maurice aussi doit être à l'abri?
—Pour le fait divers de la rue d'Anjou, oui, maman; reste seulement la mauvaise plaisanterie de la rue de l'Oratoire, 6, chambre n° 18, au second. Vous voyez si je suis ferré sur ma géographie! Savez-vous ce que c'est qu'une commission rogatoire, vous?
—Non, répondit la veuve, je ne sais pas grand-chose, allez, monsieur Constant. Buvez donc, si vous ne trouvez pas mon vin trop mauvais.
—C'est ça! et vous allez trinquer avec moi! Une commission rogatoire, c'est quand les juges se dérangent, et M. Perrin-Champein s'est dérangé pour venir chez nous interroger la petite demoiselle: quand je dis petite, elle a une taille superbe, mais de la voir tomber si bas, ça fait l'effet comme si elle était redevenue une enfant. Vous savez, on se fait des idées sur les gens qui ont de certains métiers; moi, je me