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Le dernier vivant. Paul Feval
Читать онлайн.Название Le dernier vivant
Год выпуска 0
isbn 4064066085827
Автор произведения Paul Feval
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Cela m'effraie. Moi je ne vois personne et je ne connais rien.
Moi.... Comment te faire la confession d'un triste sire, empêtré dans la plus plate et la plus bête—à ce qu'ils disent—de toutes les aventures réservées aux innocents qui ne savent pas le premier mot de la vie?
Je n'ai pas eu de jeunesse. Je commence à croire que c'est un grand malheur.
Je vivais avec vous là-bas à Paris; mais je ne vivais pas comme vous, et j'ai souvent pensé depuis que c'était là l'origine du défaut d'élan que je remarquais chez la plupart d'entre vous à mon égard.
Il y avait des heures où j'aurais tant souhaité votre affection! Je me sentais si bien capable de me dévouer pour vous, du moins pour quelques-uns d'entre vous.
Quand Albert et toi vous vous en alliez ensemble, j'étais jaloux comme un amoureux qu'on dédaigne.
J'ai entendu parler d'Albert ces jours derniers, et dans une circonstance triste pour moi. Mais tout ce qui m'entoure est triste. J'ai commencé une lettre pour lui; elle ne sera jamais achevée.
Que devient-il, ce cher Rochecotte, si doux, si généreux? Il m'avait dit une fois:
«Toi, Lucien, on ne te voit jamais que les jours où on ne fait pas de fredaines!»
C'était un gros reproche, je le comprends bien à présent.
Pour être aimé, il faut partager tout avec ses amis, même leurs défauts, si c'est un défaut que de faire des fredaines.
Je penche à croire que non, puisque je regrette amèrement d'avoir été sage au temps où les autres sont fous.
On paye cela. Je suis fou maintenant que les autres sont sans doute devenus sages.
Geoffroy, mon bon Geoffroy, ce n'est certes pas pour te conter ces balivernes que j'ai pris la plume, ce matin, avec un si terrible serrement de cœur.
Je m'étais résolu à te faire ma confession générale, et je la retarde tant que je peux.
Il me semble que tout ce bavardage est utile pour la préparer, et peut-être pour diminuer l'effort douloureux qu'elle me coûte.
Je sais que tu ne la désires pas, je m'excuserais presque d'oser une importunité pareille, s'il ne s'agissait pas de toi, et je bavarde pour ajourner d'autant notre peine à tous deux.
C'est bien vrai, Geoffroy, j'envie tout de toi: ta gaieté, ton insouciance, et jusqu'à tes péchés qui t'ont fait homme.
Tu sais ce qui n'est pas dans les livres, tu as vécu et non pas lu la vie. Tu as eu des aventures. Moi, faute d'en avoir eu jamais, je perds pied à ma première aventure. Je m'y noie.
Que tes lettres sont vivantes! Celle-ci est déjà plus longue que la plus longue parmi celles que tu m'as écrites, mais quelle différence! Il n'y a rien dans la mienne, et combien de choses les tiennes disent! Ceux qui, comme toi, agissent sans cesse peuvent raconter toujours. C'est intéressant, c'est jeune, c'est charmant. Tu as des centaines d'espoirs et le double de désirs.
Combien trouverait-on de jolis noms dans la collection de tes lettres que je garde et que je relis pour me faire honte à moi-même: honte de ma méprisable immobilité!
Ah! Geoffroy! l'oiseau qui a des ailes peut-il être l'ami du limaçon tardif, attelé péniblement à sa coque? L'un dévore l'espace en se jouant, l'autre vit et meurt au pied du même vieux mur.
Dès le pays latin, vous regorgiez de passions. Lovelaces que vous étiez. Albert, du fond de sa mansarde, visait la bonne duchesse dans son jardin de la rue Vanneau. Le jardin était beau, t'en souviens-tu? mais la duchesse avait le nez rouge. Et rappelle-toi l'horreur de ce pauvre Rochecotte le jour où elle oublia d'ôter ses besicles pour traverser le parterre!
Toi! tu comptais tes rêves par les contredanses que tu dansais, un soir au faubourg Saint-Germain, et le lendemain chez Bullier. On aurait pavoisé toute une rue avec la guirlande de tes amours.
L'as-tu oublié? J'avais aussi mon rêve. Il était unique. Je suis sûr que tu ne t'en souviens guère.
Ni moi non plus, du reste.
C'était un rêve décent que toute mère aurait pu souhaiter à sa fille: un rêve agrafé jusqu'au menton, un rêve sage comme une image.
Quand vous me parliez de vos divinités. Albert ou toi, je répondais en chantant les louanges de ma petite voisine d'Yvetot qui était un peu la parente de Rochecotte: Olympe—Mon Olympe, comme vous disiez en vous gaussant de moi.
Par le fait, mon rêve, Mlle Olympe Barnod, était, au dire de Rochecotte lui-même, beaucoup plus jolie que la plupart de vos déesses. Je n'ai connu au monde qu'une seule femme encore plus charmante qu'Olympe, et c'est d'elle que je vais enfin t'entretenir.
Du reste, je n'eus pas la peine d'être infidèle à mes adorations de bambin. Quand je revins au pays après ma thèse, Mlle Olympe, au lieu de m'attendre, s'était fort avantageusement mariée.
Elle s'appelait Mme la marquise de Chambray.
Voilà donc un pas de fait, Dieu merci: je t'ai laissé voir qu'il s'agissait d'amour.
Elle a nom Jeanne. Elle est de famille noble. Tu as beaucoup connu son père à Paris. Seulement, tu ne l'as pas connu sous le nom que Jeanne porte.
Nous l'appelions, tout le monde l'appelait le baron de Marannes, et c'était bien son nom, mais ce n'était pas tout son nom. En réalité, il se nommait M. Péry de Marannes.
Ce n'était pas avec moi qu'il était lié là-bas, c'était avec vous, les amis de la joie. À soixante ans qu'il avait, il était trop jeune pour moi.
Quand il mourut, sa veuve resta dans une situation si précaire qu'elle ne voulut rien garder de ce qui fait étalage, elle fut Mme Péry, tout court, sans titre. Jeanne est Mlle Péry.
Je t'entends d'ici, Geoffroy. Comment! le baron était marié, lui, le viveur imperturbable! le roi des vieux garçons! Se représente-t-on la femme du baron! Et sa fille! Où diable as-tu été pêcher la fille du baron?
Voilà ce que tu dis ou du moins ce que tu penses.
Vous l'aimiez assez, comme un drôle de corps qu'il était. Je me souviens de t'avoir reproché à toi personnellement cette accointance disproportionnée. Tu me répondis en riant: «C'est le plus jeune d'entre nous.»
Lui-même il disait cela, et c'était très vrai à un certain point de vue.
Plus tard, j'ai connu le baron de Marannes beaucoup plus et beaucoup mieux que vous ne pouviez le connaître vous-mêmes.
Cela ne m'a pas porté à l'en estimer davantage.
C'était un de ces vieux hommes qui restent verts parce qu'ils sont incapables de mûrir. Il y a de belles exceptions dans la nature. Celle-ci est laide, mais elle plaît jusqu'à un certain point.
On en rit d'ailleurs et cela désarme.
Ces vieux hommes, tout en étant des exceptions ne sont pas rares. On en trouve partout et partout ils sont les mêmes.
Le trait principal de leur physionomie est de ne pouvoir vivre avec ceux de leur âge.
Ils se font tutoyer successivement par cinq ou six générations de jeunes gens.
C'est leur gloire. Ils sont heureux et fiers quand les échappés de collège les appellent par leur petit nom.
Généralement on regarde cette manie comme assez innocente. Les uns pensent qu'elle est la marque d'un bon cœur, quelque peu banal et doublé d'une intelligence frivole.
D'autres,