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Le dernier vivant. Paul Feval
Читать онлайн.Название Le dernier vivant
Год выпуска 0
isbn 4064066085827
Автор произведения Paul Feval
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il me salua profondément et de cette façon qui désigne la porte sans équivoque aucune.
Je sortis. Quelque chose me résista quand je poussai la porte, quelque chose qui obstruait le seuil.
C'était le Dr Chapart, auteur du sirop, qui venait d'arriver là aux écoutes et que le battant, en s'ouvrant, avait sévèrement souffleté. Je refermai aussitôt la porte pour que Lucien ne s'aperçût de rien et je demandai tout bas:
—Que faisiez-vous là, Monsieur?
Ce qui me resta de l'entrevue
Le Dr Chapart ne fut pas déconcerté le moins du monde. Il me tendit la main comme un effronté gros petit homme qu'il était.
—Bien le bonsoir, me dit-il en portant l'autre main à sa joue, vous avez failli m'assommer. J'étais là pour ausculter, parbleu! pour ausculter la situation à travers le trou de la serrure. Allez-vous me reprocher mon trop de soins? Ça s'est vu: les clients sont si drôles!
Je fis un geste pour l'inviter à me livrer passage. Il tenait toute la largeur du corridor.
Mais il ne bougea pas. J'avais cru voir son regard piqué un instant sur le dossier que j'emportais sous ma redingote où je l'avais dissimulé de mon mieux pour plaire à Lucien. Le docteur poursuivit:
—Bien gentil garçon, dites donc, ce pauvre malheureux là! Et bien doux aussi, quoiqu'il ait l'idée de tuer une dame. Excusez, c'est sa marotte, chacun à la sienne. Ma femme et ma fille le dorlotent. Ça rime avec marotte. Son cas est drôle et incurable. C'est la manie métapsychique intermittente de ma nouvelle nomenclature. Connaissez-vous mon traité? non? vous devriez l'acheter. J'ai tâché d'amuser les gens du monde. Cas très curieux, très rare et qui m'appartient, M. Thibaut est mon second. Avant lui, j'en avais un autre, mais pas si beau, un major du train d'artillerie qui se battait lui-même comme plâtre parce qu'il se prenait pour sa propre femme. Est-ce assez cocasse? Vous pouvez venir souvent ou rarement, comme vous voudrez. Ici on est libre comme l'air. Je vous présenterai aux dames Chapart. Tiens, tiens....
Il fit comme s'il apercevait seulement mon dossier, et reprit:
—Nous emportons des paperasses entre cuir et chair? Ça vous regarde. Seulement, un bon conseil gratis, en usez-vous? Je vous l'offre: quand on n'est ni notaire, ni médecin, ni confesseur, le plus sage est de ne pas fourrer le nez dans les affaires des malades.
Après une autre poignée de main, il s'effaça pour me laisser passer, et je l'entendis s'éloigner avec son ronflement de toupie.
Quand j'arrivai dans la rue des Moulins, je m'arrêtai comme étourdi. Je ne sais comment expliquer cela, mais pendant mon énorme visite—elle avait duré plus d'une demi-journée.—c'est à peine si j'avais essayé de réfléchir.
En somme, j'avais été pris par surprise. Malgré le peu que je savais d'avance sur Lucien, je ne m'attendais à rien de ce que je venais de voir et d'entendre.
Tout au plus croyais-je retrouver un vieux camarade avec une blessure profonde, mais à demi cicatrisée déjà.
Et comme, en cas pareil, on essaye volontiers d'oublier, j'avais écarté le côté tragique, me disant que Lucien était sans doute dans quelqu'un de ces embarras auxquels chacun de nous est sujet et qu'on fait cesser soit par une démarche, soit par un prêt d'argent.
Le mot caractérisant ce que je croyais devoir à Lucien était: consolation plutôt que secours. On voit combien j'étais loin de compte.
Je m'étais vu tout à coup en face d'une pauvre créature ravagée par un mal mystérieux, d'un être diminué, ruiné, épuisé, et ce vieillard-enfant m'avait paru attaqué d'une folie douce, peu caractérisée et surtout inoffensive, sous laquelle avait percé inopinément une pensée de meurtre.
Mais cette pensée même s'était exprimée d'une façon si tranquille, si dépourvue de véhémence et de passion que je l'avais à peine prise au sérieux.
Puis, petit à petit, par une pente insensible, j'étais arrivé, sans secousse ni avertissement, au centre d'une situation tragique dont les détails me restaient inconnus et qui me laissait enveloppé dans un réseau de mystères.
Et il faut noter ceci: les vagues renseignements que je possédais à l'avance ne m'aidaient en rien à comprendre, mais ils me défendaient le doute.
Sans eux, j'aurais pu me réfugier dans l'idée que la folie de Lucien avait créé les menaces du drame.
Mais cela même ne m'était pas permis. Je connaissais l'existence de la tragédie.
Ma première sensation morale fut l'étonnement de reconnaître si tard en moi la présence d'une curiosité arrivée à l'état de fièvre, mais qui était restée comme assoupie tant que j'avais été en présence de Lucien.
C'est-à-dire tant que j'avais eu précisément sous la main le vivant moyen de satisfaire cette même curiosité.
Je ne me souvenais point, en effet, d'avoir éprouvé le besoin d'interroger Lucien pendant ces longues heures où il aurait pu assurément me répondre, puisqu'une éclaircie s'était faite en son cerveau.
Était-ce la répugnance involontaire que j'avais à pénétrer tout au fond de ce malheur sans issue?
J'avais écouté Lucien avec une pitié passive, sans arrêter ni presser ses aveux. Dans toute la rigueur du terme, j'avais laissé sa pensée libre d'aller où elle voulait. Pas une seule fois, je n'avais essayé de la diriger vers le nœud même du problème.
Maintenant qu'il n'était plus temps, je ressentais un regret tardif, mêlé de colère et peut-être de remords, car cette curiosité dont je parle, c'était bien plutôt de l'intérêt.
Comment servir Lucien, si je restais dans mon ignorance?
Et Lucien me l'avait dit lui-même quand il avait reconnu les symptômes avant-coureurs de sa crise qui revenait: un long intervalle de temps s'écoulerait peut-être avant que je pusse le retrouver en état de lucidité.
Et le soupçon me venait que sa phrase pouvait avoir une signification autre et plus grave, car j'avais conscience d'un danger qui le menaçait, d'une surveillance organisée autour de lui, d'une pression exercée sur lui.
Tout ce qui l'entourait me paraissait étrange; je voyais sa situation inexplicable. J'avais défiance du hasard ou de la cause, quelle qu'elle fût, qui l'avait poussé dans cette maison d'où je sortais la tête brûlante, le cœur glacé, et dont le maître me laissait un souvenir à la fois comique et mauvais.
J'ai peur des grotesques.
Je me demandais pourquoi Lucien, malade, était à Paris et non pas en Normandie: pourquoi il était seul, abandonné de sa famille et livré à des soins mercenaires?
Oui, certes, je pouvais le craindre: Sous la signification triste de la phrase de Lucien, peut-être y avait-il un sens caché plus triste encore.
Peut-être avait-il voulu dire: «Prends bien vite ce dépôt qu'une lueur de raison me porte à te confier aujourd'hui, car qui sait si demain il ne serait pas trop tard!»
Et