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une vieille histoire, mais qui est toujours amusante.

      La dame n'avait rien qu'un assez gentil mobilier, conquis sur divers, et quant au baron, il avait beaucoup de dettes. Qu'arriva-t-il? Reproches de s'être mutuellement trompés, scandale, séparation et le reste. Vous connaissez tout cela mieux que moi, puisque vous avez été l'homme d'affaires du vieux drôle.

      Ce que vous ignorez peut-être, c'est que d'une pierre vous recevez déjà deux coups, sans compter les autres, qui ne peuvent manquer de venir.

      On vous accuse déjà d'avoir eu vent du fantastique héritage, et de faire une affaire d'argent, détestable, il est vrai, mais très honteuse aussi.

      On vous accuse, en outre, de fermer volontairement les yeux sur le passé de la petite personne. Elle chasse de race, vous le savez puisque tout le monde le sait.

      C'est comme la loi que nul n'est censé ignorer quand elle a été dûment affichée.

      Vous arrivez après beaucoup d'autres, vous êtes censé le savoir.

      Si par impossible vous ne le saviez vraiment pas, écrivez donc un mot à ce fou de Rochecotte. Sa réponse vous fixera, et je me déclarerai bien heureux si mon avertissement désintéressé peut vous empêcher de faire une pareille culbute.

      Croyez-moi, écrivez à Rochecotte.

      Pièces numéros 4, 5, 6, 7 & 8

      Dates échelonnées du 4 au 15 octobre. Toutes lettres anonymes. Écritures diverses, mais contrefaites uniformément.

      Note de Geoffroy.—Ces lettres ne contenaient aucun fait nouveau. Trois d'entre-elles faisaient allusion à l'héritage du dernier vivant et à la tontine des cinq fournisseurs. Les deux autres engageaient ironiquement Lucien Thibaut à se renseigner sur le compte de Jeanne auprès d'Albert de Rochecotte.

      Pièce numéro 9

      (Lettre écrite et signée par Lucien.)

       À M. le comte Albert de Rochecotte, à Paris.

      Yvetot, 15 octobre 1864.

      Mon cher Albert.

      Je te prie de me répondre courrier pour courrier. La question que je vais t'adresser te paraîtra singulière. Il m'en coûte beaucoup de te la faire, surtout par écrit, mais les circonstances me pressent et m'obligent. Je suis dans l'enfer en attendant ta réponse, qui va décider de mon sort. Connais-tu Mlle Jeanne Péry, fille de notre ancien compagnon, le baron Péry de Marannes? Je m'adresse à ta loyauté. Ton affirmation fera foi pour moi. Je t'embrasse.

      Pièce numéro 10

      (Écriture d'Albert de Rochecotte. Réponse à la précédente. Lettre signée et renfermant un billet anonyme qu'on trouvera sous le n°10 bis.)

      Paris, le 17 octobre 1864.

      Mon pauvre bon Lucien, je ne comprends rien à la lettre.

      Ou plutôt, si fait, je comprends très bien que tu vas faire une sottise, comme me l'annonce le billet ci-joint, reçu dans le courant de la semaine et que je t'engage à lire attentivement avant d'achever ma prose....

      Pièce numéro 10 bis

      (Anonyme. Même écriture que le n°3. Sans date ni désignation de lieu de départ. Point de timbre postal.)

      M. le comte de Rochecotte est prévenu que son ancien camarade et ami L. Thibaut est sur le point d'épouser une jeune personne peu digne de lui.

      Les amis de M. L. Thibaut ont lieu de supposer que M. de Rochecotte connaît supérieurement ladite jeune personne, et la connaît sous des rapports qui lui permettront d'éclairer la situation d'un seul mot.

      Pour tout dire, un desdits amis de M. L. Thibaut a rencontré à Paris, non pas une fois, mais plusieurs, ladite jeune personne au bras de Rochecotte lui-même, et cela dans des endroits où une honnête femme hésiterait à entrer.

      Il est probable que M. L. Thibaut écrira à M. de Rochecotte pour lui demander des renseignements.

      S'il ne le fait pas, il serait peut-être du devoir d'un galant homme de prendre les devants pour dire à ce malheureux ce qu'est ladite jeune personne.

      La mère et les sœurs de M. L. Thibaut sont dans la consternation.

      Suite du numéro 10

      As-tu lu? bon! D'abord j'ai trouvé ce billet absolument impertinent. Je n'ai jamais été avec ma Fanchonnette que dans de très bons endroits.

      Et il y a un temps immémorial que je n'ai été nulle part avec une autre que ma Fanchonnette.

      La première idée qui m'est venue, c'est que tu voulais me l'épouser sous le nez, ce qui aurait été malhonnête de ta part.

      Mais je me suis calmé en songeant que tu ne la connaissais seulement pas. J'ai jeté le chiffon anonyme et je n'y ai plus songé.

      Hier soir, parlons désormais sérieusement, ta lettre est arrivée. Elle m'a expliqué un peu l'hébreu impertinent du billet.

      D'après ta lettre «ladite jeune personne» est la fille de ce vieux Rodrigue de baron. Celui-là, j'ai bien le droit d'en faire les honneurs puisqu'il était un peu mon cousin par sa femme.

      Tiens, justement au même degré, et même plus près, je crois, que la perfection des perfections, mon autre cousine, la divine Olympe. Tu l'as donc oubliée depuis qu'elle est marquise?

      Mon père ne voyait pas la baronne Péry de Marannes. Ils s'étaient brouillés, je ne sais pourquoi. Ceci est pour répondre à ta question. La mère et la fille sont des étrangères pour moi. Je ne les connais ni d'Ève ni d'Adam, je l'affirme sur l'honneur.

      Voilà qui est dit. À ce sujet, le billet anonyme se trompe absolument. Comment peut-il se tromper tant que cela et me radoter à moi-même qu'il m'a rencontré avec une personne que je n'ai jamais vue, je n'en sais rien et m'en bats l'œil. Je méprise les charades, ne sachant pas les deviner.

      Mais, mon vieux Lucien, il y a autre chose, malheureusement. Je suis presque marri de ne pouvoir remplir les intentions charitables de l'anonyme, car tu vas te casser le cou, c'est clair. As-tu idée, entre parenthèses, de ce que peut être l'anonyme?

      Les belles dames prennent souvent ce style de procureur quand elles vous lancent ainsi des gredineries non signées.

      As-tu une belle dame à tes trousses?

      Moi, j'ai songé à ta bonne mère. Je l'approuverais palsambleu! Ou à une de tes sœurs.

      La chose sûre, c'est que la fille de mon honoré cousin, le seigneur de Marannes, ne doit pas valoir très cher.

      Il est bien établi que le billet ment: je suis amoureux jusqu'au délire, et par continuation depuis les temps les plus fabuleux, de mon idole, de ma houri, de mon délicieux petit bijou, de ma Fanchette chérie, mon ange, mon diable, ma ruine, mon salut que tout Paris me connaît et m'envie, et qui me fait enrager en dansant avec tout Paris. Je me moque donc de toutes les Jeanne de l'univers et principalement de la tienne.

      Mais, et sois assez perspicace pour remarquer que ce mot, prononcé pour la seconde fois, est écrit en lettres capitales, mais, dis-je, cela n'empêche pas du tout le billet anonyme de mériter considération. Quant à moi, il m'a beaucoup frappé.

      Que diable! je ne suis pas le seul être au monde qui puisse se damner avec une Jeanne comme la tienne. Il y en a des quantités d'autres, je t'en donne ma parole d'honneur.

      Or, mon brave Lucien, mon cher camarade, tu n'es pas du bois dont on fait des maris résignés. Non. L'autre mois nous causions encore de toi, Geoffroy et moi. En voilà un qui fait son chemin! Nous disions que tu étais la meilleure et la plus noble

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