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et la brillante perruque noire du baron. Warwara put remarquer que ce vieux drôle se penchait tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre pour regarder dans les voitures transformées en dortoirs, quand il ne s'accroupissait pas pour surprendre par les fenêtres basses, éclairées au dedans, les secrets de toilette d'une Suzanne quelconque.

      —Monsieur le baron, dit-elle tout haut, je vous prierai de me donner de la lumière.

      —Comment! vous ici, mademoiselle!... Je vous croyais endormie.

      —Il a, pensa Warwara, déjà regardé par ma fenêtre.

      Le baron tira son briquet de sa poche et lui remit ce qu'elle demandait.

      —Cela vous suffit?

      —Tout à fait.

      —Alors, je peux baiser aussi la petite main?...

      —Toutes les deux si vous voulez.

      Il la regarda s'éloigner.

      —Quelle charmante créature! Et elle pourrait embellir ma vie... Si ce freluquet n'était pas ici! Il ne semble pas lui déplaire, quoiqu'il n'ait pas le sou! Ces petites personnes-là pourtant aiment les belles robes, les pelisses de fourrure, les diamants...

      La méditation du baron fut interrompue par la lumière qui brilla soudain à la fenêtre de Warwara, dont on avait négligé, non sans intention peut-être, de fermer les rideaux. L'artificieuse fille posa son miroir à côté de la chandelle, sur une petite table, et procéda lentement à se déshabiller, dénouant d'abord ses lourds cheveux et y promenant ses doigts avec complaisance, puis détachant sa robe, qu'elle posa sur une chaise; après quoi, elle fit voir par le mouvement le plus naturel ses épaules virginales et se mit à tresser légèrement les ondes d'or qui avaient enveloppé jusque-là sa poitrine. Bromirski suivait tous ses mouvements, et il sentait se serrer de plus en plus les cordes qui le liaient pour jamais.

      Tandis que Warwara procédait à se déchausser, on frappa doucement à la porte. Elle jeta un châle autour d'elle et demanda:

      —Qui est là?

      —Moi!

      —Qui, vous?

      —Moi, belle Warwara.

      —Vous, Maryan! quelle audace!

      —Ce n'est pas ce petit maître, mademoiselle, mais bien votre vieil ami Bromirski! Ouvrez!

      —Pourquoi?

      —J'ai à vous parler de choses importantes.

      —Attendez jusqu'à demain!

      —Warwara, je ne suis pas un galant à poches vides, moi, je suis riche, très-riche; tous vos désirs, je vous le jure, seront comblés. Ne me repoussez pas.

      —Ah! ma mère avait bien raison de me prémunir contre vous, de dire que vous étiez un homme dangereux! Mais je saurai défendre mon honneur.

      En même temps, elle tirait le verrou, si doucement que Bromirski put croire que la porte cédait à ses assauts redoublés.

      Le lendemain, de grand matin, sans être aperçue de Maryan ni de personne, sauf l'hôtelier juif, Warwara monta dans le carrosse du baron, qui la ramena chez sa mère. Elle était pâle et grave, mais sur ses lèvres serrées on lisait la satiété du triomphe. Lorsqu'elle entra dans la chambre de madame Gondola, celle-ci ne témoigna ni mécontentement ni plaisir; une extrême surprise se peignit seule sur ses traits.

      —Tu n'entres donc pas au théâtre? dit-elle, tandis que la jeune fille ôtait ses gants et son chapeau.

      —Le monde est un grand théâtre, répondit Warwara, et j'ai toutes les facilités pour y jouer très-bien mon rôle.

       Table des matières

      Le baron Bromirski fut depuis lors très-assidu dans la maison des deux dames. Il envoyait comme interprètes de son amour pour Warwara des bécasses, des perdrix, des lièvres, de beaux fruits, des robes, des fourrures et des bijoux, mais rien de tout cela ne réussissait à lui assurer un tête-à-tête avec celle qu'il adorait. Warwara, sérieuse et même taciturne, gardait le silence, tandis qu'en désespoir de cause il jouait au «mariage» durant les longues soirées d'hiver avec madame Gondola.

      Un jour, une charrette de paysan entra dans la cour de sa seigneurie, et Warwara en descendit, couverte d'un voile épais. Le baron s'élança, tout ravi, pour recevoir cette visite imprévue:

      —Ah! s'écria-t-il en baisant tendrement la main qui reposait froide comme un glaçon dans les siennes, vous me rendez le plus heureux des hommes!

      —Je ne sais si vous avez lieu de vous réjouir, répondit Warwara, mais ce que j'ai sur le coeur me rend infiniment malheureuse.

      Elle s'était assise dans le cabinet du baron et dénouait lentement son voile. Lorsqu'elle l'eut retiré, Bromirski vit qu'elle avait en effet les yeux rouges.

      —Que s'est-il passé, ma bien-aimée? Que souhaitez-vous de moi? Tout ce que je possède est à vous.

      —Merci, vous êtes généreux et bon pour tout le monde, je suppose, sauf pour une seule personne, la femme que vous avez perdue!... Le mal est sans remède!...

      Elle porta son mouchoir à son visage et sanglota.

      Le baron était consterné.

      —M'expliquerez-vous, Warwara...

      —Il faut vous expliquer! murmura-t-elle en le regardant d'un air de tendre reproche, vous ne devinez pas!... Je serai bientôt mère, Lucien.

      —Mais ce n'est pas un si grand malheur, dit le baron en souriant avec embarras.

      Au fond, cette nouvelle le flattait singulièrement; il avait grandi d'un pouce.

      —Vous riez, s'écria Warwara, quand je pense à mourir!

      —Ma chère belle, je suis prêt à faire tout ce que vous demanderez; j'assurerai l'avenir de l'enfant...

      —Non, Lucien, ce ne serait pas assez: ma pauvreté est plus fière que vous ne croyez. L'amour m'a entraînée; c'est un crime, je le sais, aux yeux du monde... il pourrait être excusable aux vôtres; mais vous me méprisez trop pour faire de moi votre femme...

      Le baron parut de nouveau extrêmement embarrassé. Il n'avait pas pensé à la conclusion qui se présentait.

      —Mon refuge sera dans la mort. Oui, je me tuerai, moi et mon enfant!

      Elle se leva hautaine, indignée; ses yeux étincelaient.

      —Eh! s'écria Bromirski avec humeur, je ne demande qu'à réfléchir; il ne s'agit plus d'une bagatelle!

      —Réfléchir! Vous n'avez pas réfléchi, avant de déshonorer une fille innocente qu'aveuglait une passion insensée... Ah! je me suis bien trompée! Aujourd'hui, je vous connais, je vous juge; vous n'étiez pas digne de mon sacrifice; adieu...

      —Warwara!... Je vous conjure...

      Elle était déjà loin. Le baron courut après elle sans bonnet, en robe de chambre, puis, désespérant de l'atteindre, il fit atteler; ce fut en vain; il ne la trouva nulle part. Éperdu, il arriva chez madame Gondola; Warwara n'y était pas... Avait-elle donc réalisé ses menaces! Quelle responsabilité terrible pesait sur lui! Sous quel fardeau gémissait sa conscience! Des heures s'écoulèrent.

      Il perdait la tête de plus en plus; enfin l'infortunée rentra, et à sa vue il fut tout près de défaillir comme un condamné qui reçoit sa grâce sous la potence. Elle ne lui accorda pas un regard; elle ne répondit pas un mot, lorsqu'il balbutia:

      —Pardon! je suis, en principe, ennemi du mariage, mais si

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