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à demi étouffé, vaquer aux soins du ménage; le soir, elle se délassait en tirant les cartes. Cependant Warwara lisait des drames à haute voix.

      —Quelle idée de perdre ton temps en lectures inutiles et de crier de façon à faire croire aux voisins que nous nous disputons?

      —Je ne suis pas femme à perdre mon temps; j'apprends des rôles, parce que je compte entrer au théâtre.

      —Toi, ma fille, une comédienne!...

      —Cela vaut mieux que d'être courtisane. Ma résolution est prise, et tu sais que je ne renonce jamais à un projet. Tout sourit aux comédiennes; leur opulence égale celle des vraies princesses.

      Madame Gondola se mit en colère. Depuis lors, il y eut entre ces deux femmes de violentes et continuelles discussions. Warwara fut vite à bout de patience.

      —J'en ai assez, dit-elle brusquement un jour; je ne resterai pas une heure de plus dans ce taudis.

      —Qu'est-ce qui t'arrête? répliqua la mère; je ne te retiens pas; seule, je vivrai plus tranquille!

      Sans ajouter un mot, Warwara commença ses emballages. Après l'avoir laissée faire quelque temps, madame Gondola vint regarder la petite malle qu'elle avait traînée dans le vestibule.

      —Tu ne pourras te présenter nulle part, murmura-t-elle; tu n'as pas de quoi te vêtir.

      —J'ai ce qu'il me faut.

      —Tu avais des robes, et tu me les cachais!

      —Fallait-il les laisser prendre aux huissiers?

      —Mais nous les aurions vendues! Comment! tu ne partages pas tout avec ta pauvre mère qui te nourrit? Voilà bien les enfants, sans tendresse, sans reconnaissance!..

      —Écoute donc, maman! et d'abord laisse-moi rire. Je n'aurais rien du tout si je n'avais pas pris le soin de faire disparaître sous une planche du grenier deux de mes robes de soie et ton manteau de velours.

      —Quoi! mon manteau!

      Madame Gondola se jeta sur la malle et tira le vêtement par un bout, tandis que sa fille le retenait par un autre. Ce fut entre ces deux mégères une querelle de chattes en fureur; elles criaient, crachaient, griffaient à l'envi. Enfin la plus vieille perdit haleine:

      —Garde-le donc! va-t'en comme une voleuse! Tu es libre!

      Warwara remit le manteau dans la malle, qu'elle ferma, puis elle secoua une petite bourse devant le visage de sa mère:

      —Vois-tu, j'ai aussi de l'argent!

      Madame Gondola tomba évanouie; sa fille sortit, en quête de quelque moyen de transport. Après avoir longuement marchandé avec un juif qui se rendait à Lemberg, elle rentra chez elle et, appuyée contre la fenêtre, attendit le passage de la butka.

      Madame Gondola, revenue de sa syncope, était en train de chercher la bonne aventure dans les cartes; tout à coup, elle dit d'une voix adoucie et en ayant recours aux cajoleries du diminutif:

      —Warwarouschka, pourquoi le théâtre? Un beau mariage t'attend.

      —Je le trouverai plus aisément au théâtre qu'ailleurs, répondit Warwara d'un ton sec.

      Les roues de la butka ébranlaient déjà le pavé; la longue voiture de forme orientale, couverte d'une toile et chargée de juifs pauvres des deux sexes, s'arrêta devant la porte.

      —Adieu! dit la fille.

      —Adieu! répondit la mère.

      Elles se séparèrent ainsi.

      Warwara, montant lentement dans le chariot, d'où s'exhalait une forte odeur d'ail, prit place entre une marchande de volaille et un boucher. Les chevaux partirent au trot. Après une course de quelques heures à travers la plaine désolée qu'entrecoupaient à de rares intervalles quelques collines basses, un village ou un bouquet de saules, ils s'arrêtèrent devant une auberge juive où, de temps immémorial, les voyageurs pour Lemberg avaient passé la nuit. Warwara n'obtint pas de gîte sans quelque peine; encore était-ce une mauvaise petite chambre humide au rez-de-chaussée; l'unique fenêtre qui ouvrait sur la cour était rapiécée par des morceaux de papier de toutes couleurs; sur le lit, il n'y avait qu'une méchante paillasse et un matelas; mais enfin c'était une chambre. Les appartements habitables se trouvaient être retenus par des personnages de plus haute importance, dont les gens devaient loger dans les calèches qui encombraient la cour. Toute la société juive, parfumée d'ail, s'installa aussi pour la nuit sous la tente de la butka.

      Warwara s'assit devant une des tables de la salle à manger; elle avait faim. On ne put lui offrir que des oeufs, dont elle se contenta en y trempant des mouillettes de pain bis. Non loin d'elle, un jeune homme, le front appuyé sur ses deux mains, semblait dormir. Le bruit que fit un couteau en tombant l'éveilla; il leva deux grands yeux bleus sur la jeune fille et sembla stupéfait, presque effrayé. Peut-être cette blonde image sortie trop brusquement du brouillard de ses rêves se mêlait-elle encore à l'un d'eux. Avec un trouble charmant, il rougit, mit la main devant ses yeux et ôta son bonnet pour saluer l'éblouissante apparition.

      Warwara répondit avec une négligence coquette, comme toute Polonaise de race répond au salut d'un homme. Pendant quelques minutes, ces deux êtres jeunes et beaux ne firent que se regarder, trouvant sans doute à cette mutuelle contemplation un extrême plaisir. Chaque fois que l'étranger tournait les yeux vers Warwara, elle baissait les siens, de même qu'il ne manquait pas de siffler tout bas en étudiant avec attention les peintures de la chambre chaque fois que le regard perçant de la voyageuse se posait sur lui. Il pouvait se laisser regarder sans crainte aussi bien qu'elle-même: grand, svelte, un peu frêle peut-être, il avait cette élégante aisance de démarche et de manières que nul ne peut apprendre et qui plaît tant aux femmes. Les traits n'étaient pas absolument réguliers, mais délicats, spirituels et toujours éclairés par un sourire vainqueur. L'entretien muet de leurs yeux fut interrompu enfin par Warwara, qui demandait à l'aubergiste une carafe d'eau. Aussitôt l'étranger se leva et, s'approchant avec un balancement des hanches coquet, presque féminin, pria la dame de lui faire la grâce de ne pas boire cette eau, sortie d'une mare croupissante où l'on ne pouvait puiser que la fièvre; en même temps, il s'offrait à préparer du thé, ce que la jeune fille accepta gracieusement. Aussitôt il courut chercher de l'eau, la mit sur le feu et, tandis qu'elle bouillait, sortit d'une gibecière des viandes froides et des confitures auxquelles Warwara fit honneur.

      —Maintenant, dit le galant inconnu, pardonnez-moi une question qui risquerait de vous paraître inconvenante si je n'étais pas un homme grave, un homme marié... Vous êtes-vous pourvue de linge de lit?

      —Je n'y ai pas pensé.

      —Permettez-moi donc d'améliorer votre gîte de mon mieux, sans que vous ayez à vous en occuper.

      Warwara resta la bouche entr'ouverte de surprise, ce qui, du reste, lui allait très-bien. Un malaise vague et indéfinissable s'était emparé d'elle.

      —Vous êtes marié? Votre femme est-elle belle?

      —On le dit, répliqua négligemment le jeune homme.

      —Et vous l'aimez, par conséquent?

      —Mon Dieu! dit l'étranger avec un sourire, en jetant du sucre dans une tasse que lui apportait la servante, nous nous supportons!

      Il se fit un silence, pendant lequel la porte grinça piteusement sur ses gonds, pour livrer passage à un nouvel hôte. Coiffé d'un bonnet gris, enveloppé dans son manteau de voyage, il grondait le domestique qui portait ses bagages. Répondant avec hauteur à l'humble accueil de l'aubergiste juif, il se jeta sur le vieux canapé, puis se mit à examiner ses voisins. Warwara reconnut le baron Bromirski; il la reconnut aussi et souleva son bonnet, mais elle n'eut pour lui qu'un regard dédaigneux. Le vieux fat parut courroucé de cette indifférence; il se tourna brusquement vers son domestique et lui demanda sa pipe turque.

      —Vraiment,

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