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Cavois, vous n'êtes point embarrassé pour si peu, ce me semble. «De gré ou de force, il faut que je le voie, entendez-vous. Il le faut!»

      – Dans une heure, il sera aux ordres de Votre Eminence, dit Cavois en s'inclinant.

      Arrivé à la porte, le capitaine des gardes se trouva face à face avec un nouvel arrivant. A sa vue, il s'effaça avec tant de respect et de diligence qu'il était évident qu'il cédait le pas à un éminent personnage.

      Et en effet, au même moment, dans l'encadrement de la porte parut le fameux capucin du Tremblay, connu sous le nom de frère Joseph, ou d'Éminence grise!

      CHAPITRE XII.

      L'ÉMINENCE GRISE

      Le père Joseph était si bien connu pour être la seconde âme du cardinal, qu'en le voyant paraître les plus familiers serviteurs du ministre se retiraient à l'instant même, et que la présence de l'Éminence grise dans le cabinet de Richelieu semblait avoir le privilége de faire le vide autour d'elle.

      Mme de Combalet, comme les autres, subissait cette influence et n'échappait point au malaise qu'inspirait cette silencieuse apparition; en apercevant le père Joseph, elle vint donc présenter son front à baiser au cardinal en lui disant:

      – Je vous en prie, cher oncle, ne veillez pas trop tard.

      Puis elle se retira, heureuse de sortir par la porte opposée à celle qui lui avait donné entrée, afin de n'avoir pas à passer trop près du moine qui se tenait debout, immobile et muet, à moitié chemin de la distance qu'il avait à franchir pour se trouver près du cardinal.

      A l'époque où nous sommes arrivés, tous les ordres religieux, moins celui de l'Oratoire de Jésus, fondé en 1611 par le cardinal Bérulle, et confirmé en 1613 par Paul V, après une longue opposition, étaient ralliés ou à peu près au cardinal-ministre; il était le protecteur reconnu des bénédictins de Cluny, de Cîteaux et de Saint-Maur, des prémontrés, des dominicains, des carmes, et enfin de toute cette famille encapuchonnée de saint François, mineurs, minimes, franciscains, capucins, etc., etc. En récompense de cette protection, tous ces ordres, qui, sous prétexte de prédication, de mendicité, de propagande, de mission, couraient, vaguaient, rôdaient à travers le monde, faisaient pour lui une police officieuse, d'autant mieux faite que le confessionnal était la source principale de laquelle découlaient les renseignements.

      C'est de toute cette police vagabonde, qui exerçait avec le zèle enthousiaste de la reconnaissance, que le capucin Joseph, vieilli dans la diplomatie, était le chef. Comme l'eurent depuis les Sartines, les Lenoir, les Fouché, il eut le génie de l'espionnage. Son frère Leclerc du Tremblay avait été, par son influence, nommé gouverneur de la Bastille; si bien que le prisonnier espionné, dénoncé, arrêté par du Tremblay le capucin, était écroué, emprisonné, gardé par du Tremblay le gouverneur, sans compter que, s'il mourait sous les verrous, ce qui arrivait souvent, il était confessé, administré, enterré par du Tremblay le capucin, et de cette façon, une fois pris, ne sortait plus de la famille.

      Le père Joseph avait un sous-ministère partagé en quatre divisions, dont quatre capucins étaient les chefs. Il avait un secrétaire, nommé le père Ange Sabini qui était son père Joseph, à lui. Lors de son entrée en fonctions, lorsqu'il avait de longues courses à faire, il faisait ses courses à cheval, suivi du père Ange, à cheval comme lui. Mais un beau jour qu'il montait une jument, et le père Sabini un cheval entier, il arriva que les deux quadrupèdes formèrent un groupe où les capuchons des moines jouèrent un rôle si grotesque, que le père Joseph crut de sa dignité de renoncer à ce genre de locomotion; depuis il allait en litière ou en carrosse.

      Mais, dans l'exercice habituel de ses fonctions, quand il avait besoin de garder l'incognito, le père Joseph allait à pied, tirant son capuchon sur ses yeux pour n'être pas reconnu, ce qui lui était facile au milieu des moines de tous les ordres et de toutes les couleurs qui sillonnaient à cette époque les rues de Paris.

      Ce soir-là, le père Joseph avait exercé à pied.

      Le cardinal, de son œil vigilant, attendit que la première porte se fût refermée sur son capitaine des gardes, et la seconde sur sa nièce, puis, s'asseyant à son bureau et se retournant vers le père Joseph:

      – Eh bien, lui dit-il, vous avez donc quelque chose à me dire, mon cher du Tremblay?

      Le cardinal avait conservé l'habitude d'appeler le capucin par son nom de famille.

      – Oui, monseigneur, répondit celui-ci, et je suis venu deux fois pour avoir l'honneur de vous voir!

      – Je le sais; cela m'a même donné l'espérance que vous aviez acquis quelque renseignement sur le comte de Moret, sur son retour à Paris et sur les causes de ce retour.

      – Je ne sais pas encore tout ce que Votre Eminence veut savoir; mais cependant je me crois sur la bonne route.

      – Ah! ah! vos blancs-manteaux ont fait de la besogne.

      – Assez médiocre; ils ont découvert seulement que le comte de Moret logeait à l'hôtel de Montmorency, chez le duc Henri II, et qu'il en sortait la nuit pour aller chez une maîtresse qui demeure rue de la Cerisaie, en face l'hôtel Lesdiguières.

      – Rue de la Cerisaie, en face l'hôtel Lesdiguières? mais ce sont les deux sœurs de Marion Delorme qui demeurent là.

      – Oui, monseigneur, Mme de la Montagne et Mme de Maugiron; mais on ne sait pas de laquelle des deux il est l'amant.

      – C'est bien, je le saurai, dit le cardinal.

      Et faisant signe au capucin d'interrompre son récit, il commença par écrire sur un carré de papier – «De laquelle de vos deux sœurs le comte de Moret est-il l'amant, et quel est l'amant de l'autre?»

      Puis il alla vers un panneau qui s'ouvrit dans toute la hauteur du cabinet, en pressant un bouton.

      Ce panneau ouvert eût permis de communiquer avec la maison voisine, si une porte ne se fût pas trouvée de l'autre côté de l'épaisseur du mur.

      Entre les deux portes se trouvaient deux boutons de sonnette, un à droite, un à gauche, invention tellement nouvelle ou plutôt tellement inconnue encore, qu'il n'y en avait que chez le cardinal.

      Le cardinal passa le papier sous la porte de la maison voisine, tira la sonnette de droite, referma le placard et vint se rasseoir à sa place.

      – Continuez, dit-il au père Joseph, qui l'avait regardé faire sans paraître s'étonner de rien.

      – Je disais donc, monseigneur, que les Blancs-Manteaux n'avaient fait qu'une petite besogne, mais que la Providence, qui s'occupe tout particulièrement de monseigneur, en avait fait une grande.

      – Vous êtes sûr, du Tremblay, que la Providence s'occupe tout particulièrement de moi?

      – Qu'aurait-elle de mieux à faire, monseigneur?

      – Alors, dit en souriant le cardinal, qui ne demandait pas mieux que de le croire, voyons le rapport de la Providence sur M. le comte de Moret.

      – Eh bien, monseigneur, je revenais des Blancs-Manteaux, où j'avais appris seulement, comme j'ai eu l'honneur de le dire à Votre Eminence, que M. le comte de Moret était à Paris depuis huit jours, qu'il logeait chez M. de Montmorency et qu'il avait une maîtresse rue de la Cerisaie; ce qui était peu de chose…

      – Je vous trouve injuste pour les bons pères; – Qui fait ce qu'il peut, fait ce qu'il doit. – Il n'y a que la Providence qui puisse tout; voyons ce qu'a fait la Providence?

      – Elle m'a mis face à face du comte de Moret lui-même.

      – Vous l'avez vu?

      – Comme j'ai l'honneur de vous voir, monseigneur.

      – Et lui, vous a-t-il vu? demanda vivement Richelieu.

      – Il m'a vu, mais ne m'a point reconnu.

      – Asseyez-vous, du Tremblay, et me racontez cela.

      Richelieu avait l'habitude, par feinte courtoisie, de dire

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