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– Continuez de faire ostensiblement votre cour à Marie de Gonzague, mais, secrètement, assurez-vous de la reine. Il faut qu'en cas de mort de notre frère aîné, Anne d'Autriche croie être sûre de garder la couronne, ou sinon, mon très cher Gaston, grâce aux conseils de Mme de Fargis et à l'intervention de Mme de Chevreuse, elle trouvera bien moyen d'être régente, craignant de ne pas être reine

      – Oh! murmura Gaston, sois tranquille, bonne petite sœur, j'y veillerai!

      Et ouvrant un secrétaire, il y enferma la lettre dans un tiroir à secret.

      De son côté, la reine-mère, aussitôt le duc d'Orléans sorti, avait pris congé de sa belle-fille et, étant rentrée dans son appartement, s'était fait dévêtir, s'était habillée de nuit, et avait donné congé à ses femmes.

      Puis, restée seule, elle avait tiré une sonnette cachée dans un pli d'étoffe.

      Quelques secondes après, un homme de 45 à 50 ans, à la figure jaune et vigoureusement accentuée, aux cheveux, aux sourcils et aux moustaches noirs, était, répondant à l'appel de la sonnette, entré par une porte perdue dans la tapisserie.

      Cet homme, c'était le musicien, le médecin et l'astrologue de la reine. C'était, chose triste à dire, le successeur de Henri IV et de Vittorio Orsini, de Concino Concini, de Bellegarde, de Bassompierre, du cardinal de Richelieu: c'était le Provençal Vauthier, qui, pour mieux gouverner son corps, s'était fait médecin, et pour mieux assortir son esprit, astrologue. Richelieu tombé, si Richelieu tombait, son héritage serait disputé entre Bérulle, un sot, et Vauthier, un charlatan; et beaucoup, qui savaient l'influence qu'il avait sur la reine-mère, beaucoup disaient que Vauthier avait au moins autant de chances au ministère que son rival.

      Vauthier entra donc dans une espèce d'antichambre-boudoir qui précédait la chambre à coucher.

      – Eh! vite! vite! accourez, dit-elle, et me donnez, si vous l'avez composée, cette liqueur qui a le pouvoir de faire paraître les écritures invisibles.

      – Oui, madame, répondit Vauthier en tirant une fiole de sa poche; une recommandation de Votre Majesté m'est trop précieuse pour que je l'oublie jamais: la voici. Votre Majesté a-t-elle donc enfin reçu la lettre qu'elle attendait?

      – La voilà! dit la reine-mère, tirant la lettre de sa poitrine, quatre lignes seulement, presque insignifiantes, du duc de Savoie; mais il est évident qu'il ne m'écrit pas si confidentiellement et ne m'envoie pas la lettre par un bâtard de mon mari, pour me dire une semblable banalité.

      Et elle tendit la lettre à Vauthier, qui la déplia et la lut.

      – En effet, dit-il, il doit y avoir autre chose que cela.

      L'écriture apparente, c'est-à-dire celle que l'on voyait, traçait cinq ou six lignes au haut de la page et était bien de la main même de Charles-Emmanuel, ce qui, avec l'avis reçu de toujours chercher dans les lettres autre chose que le texte visible, confirmait la reine-mère dans l'idée que le moment était venu d'appeler à son aide la préparation chimique demandée à Vauthier.

      Or, il y avait une chose certaine, c'est que si quelque recommandation invisible était cachée dans la lettre du duc de Savoie, cette recommandation devait se trouver au-dessous de la dernière ligne et était écrite sur la partie restée blanche, et qui comprenait les trois quarts de la page.

      Vauthier trempa un pinceau dans la liqueur qu'il avait préparée, et il en lava légèrement le papier, depuis la dernière ligne jusqu'en bas.

      A mesure que le pinceau mouillait la surface blanche, on voyait aussitôt apparaître çà et là des lettres plus hâtives les unes que les autres, puis les lignes se former, et enfin, après cinq minutes d'imbibation, on put lire distinctement le conseil suivant:

      «Simulez avec votre fils Gaston une brouille dont son amour insensé pour Marie de Gonzague pourrait être la cause, et si la campagne d'Italie est résolue, malgré votre opposition, obtenez pour lui, sous prétexte de l'éloigner de sa folle passion, obtenez, je vous le répète, le commandement de l'armée. Le cardinal-duc, dont toute l'ambition est de passer pour le premier général de son siècle, ne supportera point cette honte et donnera sa démission; une seule crainte resterait, c'est que le roi ne l'acceptât point.»

      Marie de Médicis et son conseiller se regardèrent.

      – Avez-vous quelque chose de meilleur à me proposer? demanda la reine mère.

      – Non, madame, répondit celui-ci; d'ailleurs, j'ai toujours vu que les avis de M. de Savoie étaient bons à suivre.

      – Suivons-les donc alors, dit Marie de Médicis avec un soupir. Nous ne pouvons être dans une pire position que celle où nous sommes. Avez-vous consulté les astres, Vauthier?

      – Ce soir encore, j'ai passé une heure à les étudier du haut de l'observatoire de Catherine de Médicis.

      – Eh bien, que disent-ils?

      – Ils promettent à Votre Majesté un triomphe complet sur ses ennemis.

      – Ainsi soit-il! répondit Marie de Médicis, en tendant à l'astrologue une main un peu déformée par la graisse, mais cependant encore belle, que celui-ci baisa respectueusement.

      Et tous deux rentrèrent dans la chambre à coucher, dont la porte se referma sur eux.

      Restée seule dans sa chambre, Anne d'Autriche avait écouté successivement s'éloigner, et les pas de Gaston d'Orléans, et ceux de sa belle-mère, puis, quand le bruit s'en fut complétement éteint, elle se leva doucement, passa ses petits pieds espagnols dans des mules de satin bleu de ciel brodées d'or et alla s'asseoir près de sa toilette, dans le tiroir de laquelle elle prit un petit sachet de toile, contenant, au lieu de poudre d'iris, parfum qu'elle préférait à tous les autres pour son linge et que sa belle mère faisait venir de Florence, de la poussière de charbon pilé: de ce contenu elle saupoudra la seconde page, restée blanche, de la lettre de Don Gonzalez de Cordoue et, de même que par des moyens différents le même résultat avait été obtenu pour la lettre de Mme Christine à son frère Gaston, et pour celle de Charles-Emmanuel à la reine mère, en présentant l'une à la chaleur d'une bougie, et en passant sur l'autre une préparation chimique, des lettres apparurent sur celle de Don Gonzalez de Cordoue à la reine, au contact de la poussière de charbon.

      Cette fois, la lettre était du roi Philippe IV lui-même.

      Elle disait:

      «Ma sœur, je connais par notre bon ami M. de Fargis, le projet qui, en cas de mort du roi Louis XIII, vous promet pour mari, son frère et son successeur au trône, Gaston d'Orléans; mais ce qui serait mieux encore, c'est qu'à l'époque de cette mort, vous vous trouvassiez enceinte.

      «Les reines de France ont un grand avantage sur leurs époux: elles peuvent faire des dauphins sans eux, et ils n'en peuvent pas faire sans elles.

      «Méditez cette incontestable vérité, et comme vous n'avez pas besoin, pour vos méditations, d'avoir ma lettre sous les yeux, brûlez-la.

«Philippe.»

      La reine, après avoir relu la lettre du roi, son frère, une seconde fois, afin d'en bien graver sans doute chaque parole dans sa mémoire, la prit par un de ses angles, l'approcha de la bougie, y mit le feu, et la soutint en l'air jusqu'à ce que la flamme vint, en éclairant sa belle main, lécher le bout de ses ongles roses; alors seulement, elle lâcha la lettre, dont la partie intacte se consuma avant même que la cendre, sur laquelle couraient des milliers d'étincelles, eût touché la terre; mais à l'instant même et de mémoire elle transcrivit la lettre toute entière, suivie de la recommandation, sur un papier à part qu'elle enferma dans un tiroir secret d'un petit meuble qui lui servait de secrétaire.

      Puis, elle revint à pas lents vers son lit, laissa glisser de ses épaules sur ses hanches et de ses hanches à terre son peignoir de satin, en sortit comme Vénus sortit d'une vague d'argent, se coucha lentement et laissant avec un soupir tomber la tête sur son oreiller, elle murmura:

      – O Buckingham! Buckingham!

      Et quelques sanglots

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