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madame, répondit froidement le roi, mais en mettant le chapeau à la main, comme doit le faire tout gentilhomme devant une femme.

      – Et à quel heureux hasard, continua la reine, dois-je la faveur de votre visite?

      – Vous m'avez fait dire que vous étiez indisposée, madame; or, inquiet de votre santé, j'ai voulu moi-même venir prendre de vos nouvelles et vous dire que je n'aurai probablement pas, à moins que vous ne preniez le dérangement de me visiter à votre tour, le plaisir de vous voir, ni demain ni après-demain.

      – Votre Majesté chasse? demanda la reine.

      – Non, madame; mais Bouvard a décidé qu'il était bon qu'à la suite de toutes ces fêtes, qui sont pour moi des fatigues, je fusse purgé et saigné; il me purge donc demain et me saigne après-demain. Bonne nuit, madame, et excusez-moi de vous avoir réveillée. A propos, qui donc est de service auprès de vous cette nuit? Mme de Fargis ou Mme de Chevreuse?

      – Ni l'une ni l'autre, sire; Mlle Isabelle de Lautrec.

      – Ah! très-bien, fit le roi, comme si ce nom achevait de le rassurer; mais où est-elle donc?

      – Dans la chambre à côté, où elle dort tout habillée sur un canapé. Votre Majesté a-t-elle le désir que je l'appelle?

      – Non, merci. Au revoir, madame.

      – Au revoir, Sire.

      Et Anne, avec un soupir exprimant un regret feint ou réel, mais que, vu la circonstance, nous croyons plutôt feint que réel, laissa retomber le rideau devant son lit et sa tête sur l'oreiller.

      Quant à Louis XIII, il se couvrit, jeta autour de la chambre un dernier regard dans lequel transperçait un reste de soupçon, et sortit en murmurant:

      – Non, pour cette fois le cardinal s'était trompé.

      Puis, arrivé dans l'antichambre où sa suite l'attendait:

      – La reine est, en effet, très-souffrante, dit-il. Suivez-moi, messieurs!

      Et, dans le même ordre qu'il était venu, le cortége se remit en marche pour rentrer chez le roi.

      CHAPITRE IX.

      CE QUI SE PASSA DANS LA CHAMBRE A COUCHER DE LA REINE ANNE D'AUTRICHE APRÈS QUE LE ROI LOUIS XIII EN FUT SORTI

      A peine le bruit des pas se fut-il perdu dans le lointain de la galerie, et les derniers reflets des torches se furent-ils éteints en tremblant le long des parois des murailles, que la porte du cabinet où s'étaient réfugiés le comte de Moret et sa conductrice s'entrouvrit doucement, et que la tête de la jeune femme se glissa par l'entrebâillement de la porte.

      Alors, voyant que tout était rentré dans le silence et l'obscurité, elle se hasarda à sortir tout à fait, et jeta un regard dans la galerie à l'extrémité de laquelle elle vit disparaître les dernières lueurs des torches des deux pages.

      Puis, jugeant que tout danger était évanoui, elle se rapprocha du cabinet, et, passant devant la porte, légère comme un oiseau:

      – Venez, Monseigneur, dit-elle au comte.

      Et en même temps, se maintenant toujours à une distance et dans une position où le jeune homme ne pût profiter d'une clarté plus grande pour voir son visage, elle ouvrit l'une après l'autre les trois portes qu'avait ouvertes en rentrant, et qu'avait refermées en sortant, le roi.

      Le jeune homme la suivait muet, haletant, éperdu; dans ce cabinet étroit et sombre, la jeune fille avait dû, malgré elle, se serrer contre lui, et, quoique le maîtrisant par la main toute-puissante de la chasteté, elle n'avait pu empêcher le comte de s'enivrer de la vapeur de son haleine, et de respirer par tous les pores cette vapeur voluptueuse qui émane du corps d'une jeune femme, et qu'on pourrait appeler le parfum de la puberté.

      Avant d'ouvrir la dernière porte, elle étendit la main vers le comte, dont elle entendait les pas pressant les siens, et, d'une voix dont un certain trouble altérait la sérénité:

      – Monseigneur, dit-elle, ayez la bonté de vous arrêter dans ce salon; lorsqu'elle voudra vous recevoir, Sa Majesté vous appellera.

      Et elle rentra chez la reine.

      Cette fois, Anne d'Autriche ne dormait ni ne feignait de dormir.

      – Est-ce vous, chère Isabelle? demanda-t-elle, en écartant le rideau, du geste le plus rapide, et en se soulevant sur son lit d'un mouvement plus pressé qu'elle n'avait fait pour le roi.

      – Oui, madame, c'est moi, répondit la jeune fille, en se plaçant de manière à ce que son visage fût perdu dans l'ombre, et par conséquent à ce qu'elle pût dérober sa rougeur involontaire à la reine.

      – Vous savez que le roi sort d'ici?

      – Je l'ai vu, madame.

      – Il avait sans doute des soupçons?

      – C'est possible, mais à coup sûr il n'en a plus.

      – Le comte est là?

      – Dans la chambre qui précède celle-ci.

      – Allumez une cire et donnez-moi un miroir à main.

      Isabelle obéit, donna le miroir à la reine, mais garda la bougie pour l'éclairer.

      Anne d'Autriche était jolie plutôt que belle; elle avait les traits tout petits, un nez sans caractère, mais la peau transparente et veloutée de cette blonde dynastie flamande qui donna les Charles-Quint et les Philippe II. Coquette pour tous les hommes sans distinction, elle ne voulait pas manquer son effet, même sur son beau-frère. – En conséquence, elle rajusta quelques boucles de cheveux froissés par l'oreiller, régularisa les plis du long peignoir de soie dans lequel elle était enveloppée, se souleva sur son coude pour essayer sa pose, rendit son miroir à sa dame d'honneur, et lui fit signe avec un sourire de remercîment, qu'elle pouvait rentrer chez elle.

      Isabelle déposa le miroir et le chandelier sur la toilette, salua respectueusement, et sortit par la porte qu'avait indiquée la reine, en disant à son époux que sa dame d'honneur devait être, , endormie sur un canapé.

      L'appartement demeura éclairé par la double lumière de la lampe et de la bougie, placées toutes deux de manière à projeter leurs rayons sur le côté du lit où Anne d'Autriche avait donné son audience au roi et allait donner la sienne au comte de Moret.

      Cependant, restée seule, la reine, avant de l'appeler, paraissait attendre quelqu'un ou quelque chose, se tournant à plusieurs reprises vers le fond de la chambre, faisant de petits mouvements d'impatience, et murmurant des paroles à voix basse.

      Enfin, et à peu d'intervalle l'une de l'autre, les deux portes que semblait interroger la reine s'ouvrirent. Par l'une entra un jeune homme de vingt ans, au visage coloré et plein, aux cheveux noirs, à l'œil dur, qui en s'adoucissant devenait faux. Il était splendidement vêtu de satin blanc, avec un manteau cerise brodé d'or. Il portait le Saint-Esprit au cou, comme on le portait à cette époque. Il tenait à la main son chapeau de feutre blanc orné de deux plumes de la couleur du manteau.

      Ce jeune homme, c'était Gaston d'Orléans, que l'on désignait généralement sous le nom de Monsieur, et que la chronique scandaleuse du Louvre disait n'être si particulièrement aimé de sa mère que parce qu'il était le fils du beau favori Concino Concini. Au reste, quiconque verra l'un près de l'autre, comme nous les voyions l'autre jour, au musée de Blois, le portrait du maréchal d'Ancre et celui du second fils de Marie de Médicis, comprendra que la ressemblance extraordinaire qui existe entre eux pouvait faire croire à la vérité de cette grave accusation.

      Nous avons dit que, depuis l'affaire de Chalais, le roi le tenait en mépris. En effet, Louis XIII avait une espèce de conscience. Il n'était pas insensible à ce que l'on appelait alors l'honneur de la couronne et que l'on appelle aujourd'hui l'honneur de la France. Son égoïsme et sa vanité, pétris aux mains de Richelieu, avaient presque changé de forme, et de ces deux vices le cardinal était parvenu à lui faire une sorte de vertu; mais

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